Cinéma Hulk et Matrix soignent nos bobos
Prise de pouvoir de la machine sur l'homme, mutation biologique. L'esthétisant Néo et le gore Hulk viennent sauver l'homme de lui même et calmer ses angoisses. Mode régressif en vert et noir.
Je m'abonne
Mais que se passe t-il dans le monde des super-héros ? Non seulement ils ne
se battent plus contre des extraterrestres, ne traquent plus des aliens baveux
ou ne font plus exploser des astéroïdes menaçants à coup de bombes nucléaires,
mais ils se mettent à sauver l'homme de son pire ennemi, lui-même. Car il faut
le dire, si Hulk est bel et bien totalement ridicule dans son petit short bleu,
c'est tout de même le premier humain à faire l'expérience de la transgénie, à
son corps défendant, et à en ressortir vivant. Quant à Néo, le héros de Matrix,
dans un registre bien plus esthétique, il se bat tout de même contre le plus
beau spécimen technologique jamais créé par l'homme, la matrice. Affrontant
par la même occasion une des plus “socratiennes” questions : qu'est ce que la
réalité ? Dans les deux cas, ces héros issus d'un casting improbable, s'en
tirent plutôt bien. Puisque sous ses allures de Godzilla, Hulk triomphe de la
force du mal illustrée par sa colère et que Néo, malgré son air un peu
tristounet, semble bien parti pour tordre le coup à la virtualité et redonner à
l'homme sa très relative liberté. Mais, non contents d'avoir monopolisé les
salles mondiales pendant des semaines, ces deux films, auxquels il faudrait
ajouter Cube, version SF d'un “huit clos” sartrien où l'homme enfermé se
révèle un loup pour l'homme, ont également recolorisé en vert et noir les codes
visuels cinématographiques, télévisuels du moment. Un vert qui n'évoque pas la
nature, mais en garde la symbolique du vivant, et sert à traduire tout autant
la mutation biologique que technologique. Et un noir qui apporte, lui, sa
touche de dramatisation.Quant au sens de ce succès, coup de marketing pour les
uns, il s'apparente plus à un phénomène de société pour les autres. Car les
deux touchent aux mêmes mécaniques anxiogènes de ce début de troisième
millénaire : la peur du progrès par opposition au modernisme romantique des
années 60 et la quête d'identité qui en découle. Qui plus est, il utilise le
mode régressif à travers des super-héros. Un phénomène qui, comme le souligne
Philippe Gabert, directeur artistique chez Wolkoff et Arnodin, « est largement
utilisé dans les codes visuels actuels. Et l'art en particulier. » La
régression permet, en retombant en enfance et en utilisant ses modes propres
comme le jeu, les jouets, les poupées, les monstres…, d'affronter ses
angoisses tout en portant un autre regard sur soi-même. Qui plus est, l'enfance
est une sphère à dimension onirique allègeant n'importe quelle problématique
métaphysique.