Chercher de l'innovation à tous les niveaux. Valérie Accary (BBDO Paris)
Casser le principe des silos, placer BBDO Paris dans un système d'expansion, faire de la connaissance consommateurs et médias les piliers de cette expansion. A la tête du groupe de communication depuis juillet dernier, Valérie Accary puise dans son expérience internationale les leviers du renouveau.
Je m'abonneVous venez d'être nommée à la tête de BBDO Paris qui, en deux ans, a vu se succéder trois présidents. Quelle est votre mission au sein du groupe?
Valérie Accary: Très clairement de refaire de BBDO Paris, et en priorité de CLM, une agence innovante très fortement business et très créative. Dans l'esprit de BBDO Worldwide, la France est un grand étendard. Avant, il y avait l'Europe et les Etats-Unis, aujourd'hui, il y a la Chine, l'Europe de l'Est, la Russie, le Japon. Et même si pour BBDO, le Japon est très fort, tout comme le Brésil, la France reste un des trois pays majeurs.
Et pourtant la France, pour les annonceurs internationaux, est un petit marché…
VA: La France demeure ce pays majeur pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous y avons des gros clients, que ce soient des gros clients français locaux, en particulier ceux du secteur public ou semi-public, ou des gros clients français qui s'exportent, comme Total et Wanadoo, qui sont d'énormes “brands” et entreprises dans le monde. Il y a un marché qui nous fait vivre à partir de la France. La deuxième raison est que, même si des entreprises internationales, c'est-à-dire américaines et asiatiques, ont tendance à mettre leur siège européen en Angleterre, une nouvelle vague se dessine qui tend à faire du global local. La société Wrigley en est un exemple. Avant, elle avait un schéma d'organisation global régional qu'elle a changé pour un schéma global local. La France, qui est un marché très important pour le chewing-gum, est redevenue un marché extrêmement stratégique. La troisième raison, c'est qu'historiquement nous avons toujours développé chez CLM/BBDO de la création qui voyageait plutôt très bien. Enfin, nous avons en France de vrais succès, notamment dans les nouveaux métiers, en particulier les marketing services. Proximity France et Proximity UK sont les deux enseignes les plus avancées dans leur métier et leur savoir-faire et sont des leaders de la pensée.
En quoi votre expérience internationale peut-elle être un atout?
VA: Mon expérience en Angleterre est un atout parce que c'est une expérience sur des marques internationales mais ce n'est pas seulement pour cela. C'est aussi parce que je me suis frottée à une culture différente dans un univers anglo-saxon très exigeant. J'ai pu voir ce qu'étaient les agences en Angleterre, la façon dont elles travaillaient. Dans ce que je fais aujourd'hui, je m'inspire beaucoup d'agences comme Naked & Mother.
Qu'est ce qui est fondamentalement différent?
VA: Leur capacité à chercher de l'innovation à tous les niveaux. Les Anglais créent des marques extraordinaires, comme par exemple Innocent, cette marque de jus de fruits où tout, du produit au packaging en passant par le numéro du centre d'appels, à une tonalité très forte. Et puis, il y a des idées qui m'ont beaucoup inspirée sur le projet que nous sommes en train de conduire pour BBDO Paris et CLM. Aujourd'hui, les groupes comme les agences cassent le système des silos. Ils sont capables de travailler en amont et à partir d'une connaissance très forte de la cible, non pas uniquement dans sa consommation et sa relation à la marque mais aussi dans sa consommation médias. Ce qui permet très en amont de déterminer la stratégie de communication, car ils ont une connaissance parfaite des points de connections. Cette connaissance leur apporte une inventivité non seulement sur le message mais aussi sur la façon dont il va être délivré. Le fondement de ce que nous faisons chez BBDO est très lié à cela. La deuxième chose que j'ai apprise, c'est que, si c'est bien d'avoir des idées, il faut surtout savoir les mettre en œuvre. Et aller vite. Tous les clients parlent de cette vitesse d'exécution. Ils attendent que nous comprenions leur business et que nous agissions en fonction de leurs objectifs business. Si notre valeur ajoutée, c'est clairement la création, qu'il faut continuer à mettre au centre, il faut sans doute la redéployer. Et c'est un point fondamental. Cela m'intéresse davantage de partir de la création que des structures. C'est notre valeur ajoutée.
Vous souhaitez casser le système des silos. Vous vous orientez donc vers un système de communication intégrée?
VA: Non. L'intégration fonctionne dans un système où l'agence fait tout. C'est plutôt une bonne chose mais, du coup, vous n'aurez jamais les meilleurs experts même si vous pouvez être très bons. Les petites agences spécialisées dans le luxe peuvent réussir à le faire et avec beaucoup de talent. Avec notre agence Robinson, qui est capable d'intégrer beaucoup de métiers et d'expertise, nous avons ce modèle centré sur cette multiexpertise. Lorsque, en revanche, on cherche à imposer un système d'intégration dans un groupe, c'est très difficile. Les centres de profits sont différents, des personnes ne veulent pas travailler ensemble. De plus, il n'y a pas tant de clients que cela qui ont envie de mettre tous leurs œufs dans un même panier. En revanche, tous les clients cherchent à ce qu'on les aide à trouver une idée qui guide et irrigue un maximum de points de communication et de contacts. Qu'ils soient dans le groupe ou ailleurs. Et nous, nous avons tout intérêt à garder cette maîtrise en étant assez ouverts pour ne pas essayer de tout dévorer. De fait, le système miracle n'existe pas, je crois à celui que nous allons mettre en place et qui fonctionne sur certains de nos clients comme Pepsi ou Ikea. Dans ce système, nous créons des équipes clés, des équipes ad hoc avec des talents, un “core group“ où l'on trouvera toujours un planneur, un commercial et un créatif mais aussi et immédiatement des experts clés. Le brief de départ intègre une connaissance très pointue de la cible et, à partir de là, il ne s'agit pas uniquement de se mettre d'accord sur le message mais de déterminer dès l'amont à qui l'on parle et par quels moyens on va lui parler. Et du coup d'être sûr que l'on a déjà déclenché les bons canaux; ce qui fait que tout le monde est “on board”. Cela veut dire que l'on a du médiaplanning mais, contrairement à l'époque où Agnès Hautbois et Morgan Faivre (respectivement directrice médias BBDO Paris et directeur du planning stratégique de CLM BBDO - ndlr.) étaient plutôt des électrons libres dans BBDO Paris, ils vont être ramenés dans CLM.
Pourquoi sur CLM?
VA: CLM doit jouer le rôle de booster d'un point de vue créatif. Le schéma que nous mettons en place part du cœur de CLM pour s'ouvrir et s'amplifier sur les autres sociétés du groupe. Nous appelons cela “expansion brand”, c'est-à-dire être dans une logique. Cette logique d'expansion n'est pas une logique de marque. C'est pourtant ce que j'ai toujours fait: des projets de marques, de l'accompagnement de marques. Bien entendu on va continuer à le faire, mais aujourd'hui, on ne peut plus séparer ce travail de celui du business. Il faut être capable de déterminer très profondément la cartographie de la marque, ce que l'on veut représenter, ses valeurs, mais une fois que l'on a fait cela, on a fait que la moitié du chemin. L'autre moitié, c'est la stratégie de communication car aujourd'hui, vous êtes obligé de vous remettre dans une logique compétitive et de business et lister les priorités. Nous sommes dans une logique plus pragmatique qui est de parler d'idée de communication et plus uniquement de territoire de marque. Il faudra toujours faire des grandes campagnes de marques avec des grandes signatures, mais il y a de nombreux moments où l'on doit être dans une logique de business.
Quels outils allez-vous créer pour mettre en œuvre ce schéma?
VA: Dans ce process, il y a un certain nombre d'innovations clés. La première, c'est de développer et d'investir dans tout ce qui relève de la connaissance des consommateurs et des clients. Nous comptons donc développer un BBDO Knowledge, le nom reste à définir, positionné en mutualisation de Proximity et de CLM, dont l'objectif est un approfondissement très fort de la connaissance client consommateur. Ce qui m'intéresse, c'est qu'en amont nous ayons la connaissance consommateurs au regard d'une problématique donnée, par rapport à une cible particulière, mais aussi par rapport à sa consommation médias pour, dès le départ, être capables de faire le meilleur brief possible qui allie aussi bien ce qu'on va dire et comment on va le dire auprès de qui. La deuxième innovation concerne la production multimédia qui doit être capable d'irriguer la création en idées. Aujourd'hui, dans notre métier, c'est intéressant de concevoir de l'Internet, mais on peut avoir envie de le faire et ne pas savoir le faire en création. Sous le nom de code “Factory”, nous avons donc l'idée de créer une nouvelle vision de la production, non pas en faisant tout dans l'agence mais ayant recours aux bons partenaires avec de l'agilité dans l'expertise et l'ouverture.
Quelle compétence allez-vous mettre en face de la fonction “acheteur” des annonceurs?
VA: Idéalement, et c'était le cas chez AMV-BBDO à Londres, nous avions une personne qui s'occupait uniquement de “procurement”. J'ai travaillé avec elle pour comprendre quels étaient les modèles de rémunération, les avantages, les inconvénients. Au final, il n'y a pas de modèle idéal ; il y a des modèles en fonction des clients, du type de prestations, de la longévité du contrat… Il y a donc plusieurs éléments à prendre en compte pour trouver le schéma idéal. Et, avoir une personne qui est vraiment capable d'avoir le niveau de discussion parfait avec l'annonceur, parce que c'est une experte, c'est génial. C'est d'autant plus intéressant et nécessaire car les schémas évoluent. Primo, toute seule, la commission sur achat d'espace paraît de plus en plus désuète. Si aujourd'hui, on dit qu'il n'est plus question de faire de la télévision ou du print, mais d'être dans la neutralité pour être capable d'ouvrir sur les meilleurs points de contacts, on sait aussi très bien qu'on gagne davantage d'argent si on fait de la télévision. Pour casser cette logique, il faut au moins avoir des systèmes mixtes. Il faut donc repenser le système de rémunération. Le système de purs honoraires, où il n'y a pas d'incentive en cas de progression, est un système qui ne marche plus très bien. Comment va-t-on progresser? C'est un vrai sujet sur lequel on n'a pas encore de solutions. Exemple: si CLM est capable de dire dès le départ, et en toute neutralité vis-à-vis des agences autres que BBDO, “Voilà tous les points de contacts”, il faut qu'à un moment donné elle y trouve son compte. Il y a sans doute de nouveaux schémas de rémunération, de compensation qui traduisent, par exemple, le fait qu'on est le pilote de cette grande idée, de cette façon de travailler. C'est un vrai sujet fondamental. Aujourd'hui, ni chez l'annonceur, ni dans l'agence, on n'est complètement apte à faire cela. A partir du moment où on dit “On met des acheteurs”, il faut aussi se mettre d'accord sur cette façon de travailler ensemble, sur ce que cela veut dire en termes de rémunération. Il ne faut pas que l'annonceur impose une façon d'acheter, parce que cela ne marchera pas. En Angleterre, par exemple, les annonceurs disent “On ajoute 15 à 20 % pour que l'agence gagne de l'argent”. Et c'est normal. Du coup, on est transparent sur les coûts; il y a une vraie maturité par rapport aux besoins exacts, à la façon de travailler, à la composition des équipes… Une fois que l'on a déterminé les objectifs clairs, les gens et le système de travail, on va mettre des coûts et sur ces coûts on va pouvoir dire “Voilà, l'agence gagne de l'argent si on ajoute X % et en plus on va avoir un incentive si on atteint tel ou tel objectif quanti ou quali.” Cette façon de faire est très mature, mais en France nous n'en sommes pas encore là.
En termes de consommation, qu'est ce qui vous a marqué en Angleterre?
VA: La vitalité de la distribution. Les boutiques, les magasins, les marques enseignes sont en explosion. Finalement, la consommation est dynamisée par le commerce. Ce qui est impressionnant, c'est la vitalité des endroits où les choses sont mises à disposition. Les Anglais sont dans une gestion des marques du sol au plafond, “retail” inclus. Lorsque je dis que ce que nous cherchons à faire en amont, c'est de comprendre les meilleures façons de communiquer sur tous les points de contacts fondamentaux qui touchent les gens, la distribution est l'un de ceux-ci. On a l'impression d'une mise à disposition complète, alors qu'en France on reste dans un schéma beaucoup plus formel. Cela se retrouve également dans la façon de communiquer. Les Britanniques sont en avance sur les nouvelles technologies et ils ne cherchent pas forcément à imposer un discours mais à faire en sorte que les gens se le réapproprient, à créer des relations interactives. La consommation est décomplexée dans les univers anglo-saxons.
Parcours
40 ans,
diplômée de l'ESSEC. 1987-1996 Saatchi & Saatchi, chef de pub, puis Dga en charge, notamment, des marques du groupe Danone et du groupe Procter & Gamble.. 1996 BBDO Paris,
Dg de CLM/BBDO, puis vice-président
de 2001 à 2003. 2003 Directrice
générale de BBDO Europe en charge
des clients
internationaux. 2005 P-dg de BBDO Paris.
BBDO Paris
Membre du réseau international BBDO Worldwide (Omnicom). Marge brute: 95,90 M$ (2000). Métiers: Communication de la marque: CLM BBDO (président Pascal Grégoire), Robinson (président Christian Destourmieux). Marketing Services: Proximity BBDO (président Eric Pietrini). Information et édition d'entreprise: Créapress et L'édition Epsilon BBDO. Principaux clients: Auchan, DaimlerChrysler, France Télécom, Ikéa, Master Foods, Total, Wanadoo.