MARKETING COMPORTEMENTAL, L'ART D'OBSERVER LES INTERNAUTES
Reconnu pour sa grande efficacité, le ciblage comportemental suscite l'intérêt croissant des marques et des agences. Dans le petit monde de la publicité, cette technique fait de plus en plus d'adeptes. Une opération séduction réussie... à quelques exceptions près.
Imaginons que l'on puisse lire dans les pensées des consommateurs. Voilà qui ravirait plus d'un annonceur. En cherchant à devancer les attentes des clients, le marketing comportemental n'en est plus très loin. Sa promesse : délivrer le bon message, au bon moment et à la bonne personne. Cette nouvelle méthode de ciblage consiste à personnaliser les contenus promotionnels en fonction des centres d'intérêt de l'internaute et de son comportement sur la Toile, grâce au système des cookies notamment. Les liens cliqués, articles visualisés, recherches effectuées et paniers d'achat font partie des critères utilisés. Contrairement à la publicité contextuelle, qui s'affiche en fonction du contenu de la page visualisée, la publicité comportementale s'adapte au profil de la personne qui se trouve derrière l'ordinateur.
Ainsi, un internaute qui consulte régulièrement des sites de voyages pourra ensuite être exposé à une offre promotionnelle pour une croisière quand il surfe sur un site de cuisine... Lancé aux Etats-Unis au début des années 2000, le marketing comportemental émerge depuis un peu plus d'un an en France. Et il semble promis à un fort développement. La société Weborama, qui a lancé sa propre technologie dans ce domaine, constate déjà un réel engouement dans l'Hexagone. Entre janvier et octobre 2009, les campagnes de ciblage comportemental ont représenté plus de 30 % du total des campagnes diffusées sur sa plate-forme. Authentica fait, quant à elle, partie des annonceurs conquis par cette technique. Avec un budget avoisinant les 20 % de son chiffre d'affaires, ce spécialiste de l'ameublement l'a placée au premier rang de ses investissements marketing en 2009. Reste que toutes les marques n'en sont pas au même stade. «Entre 5 et 10% des annonceurs français utilisent aujourd'hui cette technique, contre 25% aux Etats-Unis, affirme Alain Sanjaume, directeur général de Wunderloop France, fournisseur de services de ciblage intégré. Je pensais que le marché évoluerait un peu plus vite.» Agnès Laval, directrice du marketing chez Orange, constate « une légère domination du sociodémographique sur le comportemental au sein du ciblage».
Alain Sanjaume / Wunderloop France
« Seuls 5 à 10 % des annonceurs français utilisent le ciblage comportemental, contre 25 % aux Etats-Unis.»
Course à l'innovation
Une technique, donc, qui séduit malgré des tarifs souvent plus élevés que ceux des campagnes contextuelles (entre 10 000 et 15 000 euros chez Weborama, en moyenne). «Mais comme on ne diffuse qu'auprès d'une cible utile, il n'y a aucune déperdition», précise Agnès Laval. Concurrence oblige, les prix vont probablement décliner. «Il y a trois ans, il n'y avait que trois acteurs qui proposaient des services de ciblage comportemental. Aujourd'hui, il en existe une trentaine», souligne Simon Perrot, directeur commercial d'OMG Digital. Les poids lourds d'Internet s'y sont donc mis et la course à l'innovation est bel et bien lancée. En novembre dernier, Weborama a ainsi mis sur orbite une deuxième version de sa technologie de ciblage comportemental. La base de «clusters» (groupes de mots correspondant au comportement des internautes à un moment donné) a été élargie et le corpus lexical étudié s'élève désormais à 10 000 mots. Quant à Facebook, le site lancera bientôt en France le «learned targeting». «En analysant la typologie des personnes qui réagissent à une publicité, ce nouvel outil nous permettra d'en déduire une cible pour le reste de la campagne», explique Damien Vincent, directeur commercial de Facebook France.
Le ciblage comportemental présente donc des atouts propres à séduire les marques. Il leur permet à la fois d'augmenter l'efficacité publicitaire et de réduire les coûts. Selon un sondage d'eMarketer mené auprès de grands groupes américains et publié en juin dernier, le marketing comportemental serait le quatrième levier de conversion en ligne, derrière le référencement naturel, l'e-mailing et le référencement payant. «En matière de display, c'est la solution la plus intéressante», estime François Garcia, président de l'agence X-Prime ID. En testant l'offre Netcast de Specific Media pour le lancement de la Nissan Pixo, l'été dernier, l'agence OMD recherchait avant tout une meilleure visibilité. «Déplus, nous avons obtenu de très bons niveaux de trafic et un taux de clic de plus de 2%», illustre Simon Perrot. De même, Performics a récemment pu le vérifier lors d'une campagne pour une marque de vente en ligne de bijoux. «Notre cible était composée de femmes qui achetaient sur Internet et vivaient en province, raconte Yann Gabay, directeur général de l'agence. Nous avons obtenu des taux de clic deux à quatre fois supérieurs et des taux de conversion deux fois et demie supérieurs à ceux d'une campagne traditionnelle.»
Yann Gabay / Performics
«Grâce au ciblage comportemental, nous avons eu des résultats supérieurs à ceux d'une campagne traditionnelle. »
Une attente du consommateur
Si les annonceurs y gagnent, les consommateurs y trouveraient aussi leur compte. Le marketing comportemental comblerait leur attente de reconnaissance. Une récente enquête SDL Tridion (automne 2009) montre, ainsi, que 74 % des internautes souhaitent des programmes de fidélité leur offrant des remises basées sur leur comportement en ligne. Selon une autre étude (mars 2009) de la société Coremetrics, 52 % des consommateurs français pensent que le ciblage comportemental aide à découvrir des produits nouveaux et intéressants. « Tout dépend de la manière dont on pose les questions et dont on interprète les chiffres», tempère Yan Claeyssen, président d'ETO, agence qui publie depuis trois ans le Baromètre de l'intrusion. Dans la dernière édition (septembre 2009), 71 % des consommateurs se déclarent dérangés à l'idée que des informations de tous types les concernant soient consignées dans des fichiers numériques. Et 40 % considèrent que le niveau d'intrusion des marques dans leur vie privée est élevé (contre 29 % en 2007). A cet égard, les opérations de retargeting - qui consistent à faire revenir sur le site d'un annonceur un internaute n'ayant pas finalisé de transaction - peuvent poser problème. D'où la nécessité de maîtriser la fréquence de communication et d'avoir recours au «capping», technique qui permet d'éviter la surexposition des campagnes publicitaires sur le Web, qui lassent l'internaute, et d'améliorer le taux de clic. Gagner la confiance des consommateurs passe aussi par plus de transparence. Google l'a bien compris. Son programme de publicité ciblée par centre d'intérêt permet aux internautes de gérer les annonces qui leur sont présentées grâce à une interface spécifique. Ils peuvent aussi les désactiver. Une procédure d'opt-out également adoptée par Weborama. Facebook, lui, préfère jouer la carte de l'interactivité. «Nous sommes l'un des rares sites où les utilisateurs peuvent donner leur avis sur la publicité», affirme Damien Vincent.
Alors, le marketing comportemental est-il la solution idéale ? Pas tout à fait, puisqu'il présente quand même quelques limites. Techniques d'abord. Un ordinateur peut être partagé par plusieurs personnes. Difficile, dans ces conditions, d'établir le profil d'un seul individu. A fortiori s'il décide de supprimer ses cookies... Pour Yann Gabay, l'écueil peut aussi être stratégique. «S'adresser à des segments trop restreints, ce n'est pas rentable. Mais s'ils sont trop larges, cela ne sert à rien», résume-t-il. Bref, ça ne marche pas à tous les coups. «En fonction des résultats, il est intéressant de construire une courbe d'expérience afin d'ajuster et de modifier sa cible», remarque Agnès Laval. «Cela nécessite d'investir dans le temps», ajoute Luc Tran Thang, président du Syndicat des régies internet (SRI). Yann Gabay pointe un autre danger : «Pour l'image d'une marque, apparaître sur un site comme Orange, ce n'est pas la même chose que d'apparaître sur un site comme Kochonland» Pour Pablo Melchor, vice-président Europe de l'agence Nurun, «le ciblage comportemental reste un outil complémentaire à d'autres techniques».
Pablo Melchor / Nurun
«Le marketing comportemental reste un outil complémentaire à d'autres techniques.»
Les autorités vigilantes
Enfin, il est clair que le développement du marketing comportemental dépend, aujourd'hui, de l'évolution de son cadre juridique, en France et en Europe. Le 14 avril dernier, la Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction contre le Royaume-Uni. Dans sa ligne de mire : l'utilisation, à l'insu des internautes, de la technologie de publicités ciblées Phorm par plusieurs fournisseurs d'accès internet, dont British Telecom. Le même mois, le «G29», groupe de travail sur la protection des données au sein de la Commission européenne, a décidé de réduire à six mois seulement la durée de conservation des informations des internautes sur les moteurs de recherche. Même préoccupation en France, où la Cnil a décidé de s'attaquer au marketing ciblé, qu'elle qualifie de «carburant de l'économie numérique». En novembre dernier, Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la Prospective et du Développement de l'économie numérique, a organisé un colloque sur le «droit à l'oubli numérique». Deux sénateurs ont alors présenté une proposition de loi «visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique». Il y est notamment question de faire de l'adresse IP une donnée personnelle.
Les acteurs du ciblage comportemental n'ont d'autre choix que de réagir pour faire valoir leurs bonnes pratiques. C'est le cas de Wunderloop, qui met en avant sa certification EuroPrise pour la protection de la vie privée et des données personnelles appliquées aux nouvelles technologies. «Nous aimerions qu'elle devienne obligatoire», assure Alain Sanjaume. «Nous avons pris les devants en faisant des recommandations officielles, en menant des actions de lobbying au niveau européen et en publiant des Livres Blancs», signale Sarah Wanquet, responsable juridique chez Acxiom. Face à la menace d'un cadre législatif trop restrictif, la solution passe sans doute par une meilleure autorégulation.
INTERVIEW
ERIC BOURRIOT / BEAUMANOIR
Erick Bourriot, responsable internet, e-commerce et CRM de Beaumanoir, groupe spécialisé dans la distribution (Cache Cache, Morgan...), la logistique, le conseil et l'e-business.
Quand avez-vous décidé de mener des opérations de marketing comportemental ?
Nous faisions du marketing comportemental bien avant que ce soit à la mode. Nous savons depuis longtemps que c'est en connaissant au mieux nos clients que nous réussirons à leur vendre davantage. Avec le marketing comportemental, nous ne faisons qu'appliquer des méthodes déjà utilisées par la vente par correspondance. Au final, nous essayons toujours d'adapter l'offre à la demande afin de maximiser les ventes.
Quelle a été votre première expérience concluante dans ce domaine ?
Elle remonte à un an. Nous avons d'abord commencé par segmenter notre base grâce aux newsletters. Les personnes qui les ouvraient et cliquaient sur le mot «jupe» recevaient ensuite un e-mail contenant une offre dédiée. Nous avons alors constaté une nette progression des ventes, accompagnée de paniers moyens bien plus élevés que d'ordinaire. Le principe a été étendu à d'autres produits et s'applique à toutes les marques du groupe.
En quoi a consisté l'étape suivante ?
En juillet 2008, nous avons lancé une opération de retargeting avec Criteo pour Cache Cache, enseigne de prêt-à-porter féminin. Les personnes qui s'étaient rendues sur le site internet mais n'avaient rien acheté étaient ensuite exposées à des bannières Flash qui faisaient apparaître les produits de la marque. Pour ce premier test, qui a duré un mois, nous n'avons pas pris trop de risques : nous avons dépensé 5 000 euros et opté pour un coût par clic (CPC). Cette campagne a donné de très bons résultats : un taux de clic sur les bannières deux fois supérieur à celui de nos campagnes habituelles et des paniers deux fois plus élevés. Pour un euro dépensé, nous en avons gagné six. Nous avons donc poursuivi l'expérience jusqu'en octobre.
Vous restez cependant prudent vis-à-vis du ciblage comportemental...
Ce n'est pas parce qu'on utilise une technique qu'on la défend indéfectiblement. Le ciblage comportemental est efficace, mais pas toujours très éthique. Il y a un petit côté «Big Brother» qui me gêne. Cela s'apparente parfois un peu à du forcing, du flicage. Le ciblage comportemental doit rester un outil parmi d'autres. Pour nous, ce n'est pas plus important que d'avoir une bonne logistique ou un bon service clients.