LE DEFRICHEUR
P-dg, père de famille, lobbyiste, enseignant, commercial: Jérôme Stioui peut jouer plusieurs partitions... pour peu qu'il innove et reste libre. L'homme assume son impatience, tout comme il revendique son goût pour la bonne chère et les gadgets digitaux. A 34 ans, il a déjà créé deux entreprises. Un serial entrepreneur?
Il aurait sans doute fait un très bon chef d'orchestre. Ou un excellent entraîneur de foot. Las... Jérôme Stioui n'est ni musicien ni adepte du ballon rond. Son sens de la pédagogie et son esprit d'équipe lui ont tout de même permis de créer deux entreprises en moins de dix ans: Directinet, spécialiste de l'e-mail marketing en 1999 ; et Ad4Screen, l'an dernier. Malgré un timing plutôt serré, ce p-dg de 34 ans prend le temps d'enseigner le marketing digital à Sciences-Po et à HEC. Il prend aussi le temps qu'il faut quand il s'agit d'expliquer à un interlocuteur - néophyte ou client, étudiant ou prospect, partenaire ou collaborateur - les tenants et les aboutissants du marketing mobile. Cet amateur de bonne chère - « Rien ne vaut un vrai millefeuille ou un bon cru de Sauterne », - et de sensations fortes - « Jadore me dépasser lors d'une course en rafting » - a l'art de faire comprendre des choses complexes avec des mots simples. Il sait qu'une métaphore bien sentie vaut mieux qu'un long discours. Qu'il faut expliquer avant de vendre. Cette faculté lui a permis, début 2000, de convaincre la profession (à l'époque plutôt allergique au high-tech) de l'intérêt de l'e-mail marketing. Durant des mois, Jérôme Stioui organise des dizaines de conférences sur les bonnes pratiques et les bienfaits des e-mails. En 2004, quand l'ADSL arrive en France, il a préparé le terrain. Du coup, les chefs d'entreprise, les patrons du marketing et les partenaires font vite confiance à Directinet. En 2006, l'entreprise emploie près de 100 salariés, pour un chiffre d'affaires de 8 millions d'euros. Pourtant, la start-up n'est pas née sous les meilleurs auspices: trois mois après sa création, la bulle internet éclate. « Avec mes quatre associés, nous ne nous sommes pas payés pendant plusieurs mois », se souvient-t-il. Ses parents, ses deux frères - l'aîné, gestionnaire de patrimoine, et le cadet, dentiste - lui suggèrent même de jeter l'éponge. Ils oublient que, derrière une attitude plutôt détendue, l'homme n'aime pas perdre. « Je ne suis pas d'un optimisme béat, mais je ne recule pas devant les problèmes » Comme tout bon matheux, Jérôme Stioui cherche des solutions. Cette prédisposition ne date pas d'hier. Il n'a pas plus de huit ans quand il occupe ses vacances à réparer les vélos des autres. « Tous les ans, en juillet, je partais près de Courtenay, dans le Loiret. Tout le monde se déplaçait à vélo... mais il n'y avait pas de réparateur, explique-t-il. Comme j'étais bricoleur et que j'aimais rendre service, avec un ami, on avait créé ce petit atelier très apprécié des vacanciers. » Ce qui, au passage, permet au gamin d'alors de récolter un peu d'argent de poche Est-ce cette première expérience qui lui donnera l'envie de créer son entreprise? Jérôme Stioui réfléchit... Il ne saurait dire. En revanche, il se souvient qu'il a su, dès HEC, que le salariat ne lui conviendrait pas. Six mois de stage chez Unilever comme assistant chef de produits pour les marques Eléphant et Saveurs du Soir puis six autres mois au sein du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company suffiront à le convaincre qu'il a besoin d'être son propre patron. Si le jeune passionné de modélisme peut se montrer patient lorsqu'il s'agit de construire pas à pas des voitures miniatures, il n'aime pas que les bonnes idées restent lettres mortes. « En entreprise, il faut des années et des années avant de pouvoir concrétiser un projet », explique-t-il. Quand il monte Directinet, avec quatre camarades de promo, il n'a pas encore achevé ses études. De la même manière, il ne lui faut pas plus de deux ans, après la fusion entre Directinet et le Britannique IPT, pour commencer à ... s'ennuyer. « En 2006, nous avons marié les deux entreprises J'ai développé le nouveau groupe sur le marché tricolore dont il est devenu, dès 2008, le numéro un de l'e-mail marketing et la septième agence interactive. » Manque de liberté ou rythme trop routinier? C'est sans doute un mélange des deux qui le mène à quitter ses fonctions. Et à s'offrir six mois de break pour profiter de sa fille de trois ans et de son fils qui vient de naître. Avant... de repartir dans la création d'entreprise.
CE QU'IL AIME
- Un livre
1984, DE GEORGE ORWELL, VISIONNAIRE ET TERRIBLEMENT D'ACTUALITE.
- Des musiques
ALICIA KEYS, SHOLA AMA, ABBA, JACKSON 5, QUEEN, DIRE STRAITS.
- Un spectacle
LA COMEDIE MUSICALE, QUI REUNIT THEATRE, MUSIQUE, CHANT ET MISE EN SCENE.
- Un sport
LE KARTING, POUR L'ADRENALINE ET LA VITESSE.
- Un film
JFK, PARCE QUE « SEULS LES PARANOIAQUES SURVIVENT ».
- Une ville
SAN FRANCISCO, VILLE COSMOPOLITE, A LA FOIS AMERICAINE ET EUROPEENNE, ALLIANT LA DOUCEUR D'UNE CITE BALNEAIRE ET L'EXIGENCE D'UNE GRANDE METROPOLE.
Le serial entrepreneur voit en 1984 un reflet de la société actuelle.
UN GEEK VISIONNAIRE
« C'était une évidence, il fallait monter une activité dédiée au marketing sur l'Internet mobile. Tout était là pour que ce marché explose: la 3G, les smartphones, les forfaits illimités. » Une nouvelle start-up, Ad4Screen, voit le jour en octobre 2010. Tel un explorateur qui part à la conquête d'un nouveau monde, Jérôme Stioui s'enthousiasme: « Nous allons revivre la même aventure qu'avec le Web, mais avec une différence fondamentale: tout le monde n'a pas d'ordinateur, mais personne ne peut se passer de son téléphone mobile. Dans deux ans, quasiment tous les Français posséderont un smartphone. Le mobile sera le seul média permettant de tracer l'internaute depuis la campagne de pub jusqu'à l'achat en magasin et de mesurer le ROI. » Derrière les fines lunettes, les yeux pétillent. « Nous devons être capables de fournir une seule réponse, simple et intégrée à l'annonceur et à l'éditeur » Jérôme Stioui a du pain sur la planche. Cela n'empêchera pas ce pédagogue dans l'âme de continuer à enseigner. Ni à cet épicurien de partir en vacances dans le Lubéron, avec ses enfants, ses parents, et ses frères. Ce geek assumé - « Dès qu'un outil high-tech sort, il me le faut, pas pour flamber, mais parce que j'aime ça » - sait très bien ce qu'il veut: réaliser 30 millions d'euros de CA annuel d'ici à 2015 et devenir le leader européen du marketing mobile. L'humilité et la simplicité n'excluent pas l'ambition.