Les licences à la rescousse des marques ?
Les licences envahissent tous les secteurs d'activité. Pucca, Winnie, Dora et Oui-Oui caracolent en tête des ventes et se déclinent à l'infini. Les marques se laissent séduire. L'union peut être payante mais à certaines conditions… Un mariage oui, mais sous contrat.
À LIRE AUSSI
En 2004, le marché du jouet a connu une année difficile, enregistrant un
recul de 2,5 % en valeur. En 2005, il a remonté la pente, affichant une
croissance de 6,2 % (Source : Etude EPoS menée par NPD Group). La raison ? Le
succès des licences, pour une grande partie. Car, selon NPD Group, “l'année
2005 a été celle de la licence”, passant le fameux cap des 25 % de part de
marché sur le secteur des jeux et des jouets. Et ce n'est pas le seul marché
touché. « 50 % du marché de la parfumerie est représenté par les marques sous
licences », souligne le vice-président marketing de Coty Beauty Europe, Steve
Mormoris. « De plus en plus d'acteurs font partie de l'univers du licensing,
ajoute Michel Monnier, Sales Executive de l'agence de licences VIP. Car ils ont
compris la manne que pouvaient rapporter les produits dérivés sous licence :
plus d'ayants droit, donc plus de propriétés, et ainsi de nouveaux licenciés
voient le jour. Et ce, dans des secteurs peu voire pas touchés auparavant,
comme la téléphonie mobile. » Ainsi, ITT a sorti un téléphone filaire à
l'effigie des fées Winx, diffusées sur France 3. Preuve que le high-tech est
dorénavant touché par les licences, Disney a également lancé, en 2005, une
télévision Cendrillon et devrait commercialiser en France, à Noël prochain, des
lecteurs MP3 dans sa gamme Disney Princess. Côté textile, Disney a créé une
collection enfant Disney Jeans, disponible depuis février dans les magasins
Carrefour. Quant à la grande consommation, elle aime s'afficher sur des jouets
d'imitation, à l'instar de Tefal, Unilever et Black & Decker chez Smoby
Majorette. Aucun secteur ne semble donc échapper au phénomène des licences.
Dans son “Regard sur l'évolution du marché de la licence en France”, l'agence
d'information et d'anticipation dans le monde de la licence et des produits
dérivés Kazachok souligne qu'entre 2002 et 2004, le nombre de représentants de
marque a évolué de 65 % et qu'en 2004, le guide Kazachok recensait 1 300
propriétés, soit + 35 % depuis 2002. Pour Michel Monnier, « cet engouement
prend de l'ampleur, les produits dérivés sous licences engrangeant plus de
5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France, 3e pays européen à
réaliser les meilleurs scores. C'est un marché qui se réveille, se structure et
progresse sensiblement chaque année. » Pour Nathalie Chouraqui, directrice
associée de Kazachok, le fait que les agents et ayants droit aient accepté
d'officialiser le marché de la licence à travers un guide prouve la maturité de
ce dernier, créant ainsi une rupture avec un secteur plongé jusque-là « dans la
culture du secret ». Si aux Etats-Unis le marché commence à régresser, il est
en France en plein essor. « Les licences ont débarqué aux Etats-Unis au début
du XXe siècle avec l'exploitation des comics américains. Elles sont arrivées en
France dans les années 50 dans le domaine du luxe et de la mode, notamment avec
Cardin et Dior, puis vint la suprématie de Disney et de Snoopy dans les années
70. Le licensing devient alors un business international. Aujourd'hui, c'est un
vrai marché dans tous les secteurs d'activité », explique Michel
Monnier.
Une “génération écran”
Car les licences jouent sur la notion de plaisir, chère à notre société de consommation. Et profitent aussi de l'influence croissante de la télévision sur nos petites têtes blondes… Une génération que Christian Taillard, directeur des études chez Smoby Majorette, nomme “génération écran”. « Il y a quinze ans, les enfants n'étaient pas autant influencés par la télévision, renchérit Karine Breuil, directrice marketing chez Smoby. Aujourd'hui, les 12-36 mois passent 2 h 18 devant le petit écran par jour. » L'univers des dessins animés, ils connaissent. Et, lorsqu'ils accompagnent papa et maman faire les courses, c'est tout naturellement qu'ils réclament le jouet de leur héros préféré. La télévision et le cinéma constituent bien les principales inspirations des licences. D'autant que le nombre de chaînes pour enfants ne cesse d'augmenter, bouquets satellites et TNT aidant. Les dessins animés se voient donc invariablement traduits en produits dérivés. « La série TV alimente le système », résume Nathalie Delin, directrice Licences chez Jetix Consumer Products France. Numéro 1 en France sur TF1 et Jetix, les Totally Spies, superhéroïnes féminines, cartonnent également aux Etats-Unis sur Cartoon Network. Diffusée dans près de 200 pays, la série française compte ainsi des millions de fans à travers le monde et une centaine de licenciés. Pourtant, le succès des produits dérivés n'a pas été fulgurant. Nathalie Delin avoue : « La licence a mis beaucoup de temps à s'installer, malgré le succès de la série. » Aujourd'hui, les trois petites espionnes - Sam, Alex et Glover - se déclinent en textile, papeterie, bagagerie scolaire, jeu sur mobiles, rollers, trottinettes… Sont également attendus des sèche-cheveux permettant d'écouter à distance, des plantes en canettes, et, plus classiquement, des poupées.
Pokémon, l'événement déclencheur ?
Mais le phénomène véritablement marquant de ces dernières années, c'est bien le raz de marée des Pokémons, qui a reboosté le marché. Antoine Villeneuve, directeur général de Jetix France, insiste : « Il est très rare qu'il y ait un effet culte chez les enfants comme pour Pokémon. » Car, très souvent, les enfants se lassent rapidement et zappent d'un jouet à l'autre, d'un dessin animé à un autre. Pourtant, Pokémon fête cette année ses dix ans, même si le phénomène s'est indéniablement calmé. A l'origine un jeu vidéo pour Game Boy, Pikatchu et ses amis, a été décliné à l'infini, des peluches à la série TV et aux films, en passant par les cartes à collectionner. Une véritable aubaine pour les fabricants de jouets qui, s'ils ont profité du phénomène, ont aussi bien ressenti le moment où il est retombé. Ainsi, Hasbro a retenu la leçon, ne misant plus sur une seule licence phare. Dans son rapport annuel daté de décembre 2005, Michel Moggio, directeur général d'Hasbro France, note que “le développement d'Hasbro sur le marché français passe par l'élaboration d'une stratégie capitalisant sur la force de marques phares comme Monopoly (…), Trivial Pursuit, Cluedo, Mon Petit Poney, Action Man…, et sur le dynamisme de licences pérennes telles que Star Wars, Disney, Oui-Oui… Il s'agit donc d'opérer un mix entre les grands classiques du groupe Hasbro et les innovations en phase avec les tendances actuelles et de composer, quand cela est justifié, des synergies gagnantes.” Preuve de l'importance croissante des licences, Smoby Majorette a créé, en 2005, un département dédié. Karine Breuil explique cette initiative : « On se doit d'être au courant de tout ce qui se passe dans le monde de l'audiovisuel, que ce soit à la télévision ou au cinéma. Nous sommes toujours à l'affût. » Lego ne s'y est pas trompé en surfant sur la vague Star Wars, dont le troisième et dernier volet est sorti sur les écrans français en mai 2005. Face à la montée des jeux vidéo et des nouvelles technologies, le groupe positionné sur les jeux de construction plutôt traditionnels était en dangereuse perte de vitesse. Il est pourtant parvenu à remonter la pente grâce, notamment, au succès de ses jouets sous licence Star Wars. Pour Miriam Ponce, directrice de la communication et du marketing de Lego, « 2005 a été sans doute l'année de Star Wars. La licence Star Wars a vécu une progression de 500 % (versus 2004) sur le marché français. Son poids sur le segment des licences est passé de 0,2 % à 1,5 % en décembre 2005, se classant comme la troisième licence du marché en 2005. » Et d'ajouter : « Les produits Lego Star Wars ont multiplié par quatre leur chiffre d'affaires en 2005 versus 2004. » Le groupe Lego a ainsi vu son chiffre d'affaires grimper de 12 % en 2005. Hasbro a aussi profité du phénomène, les héros de la Guerre des Etoiles ayant fait augmenter le résultat net du groupe de 56 % au 2e trimestre 2005. De là à dire que les licences viennent à la rescousse des marques, il n'y a qu'un pas… Que Nathalie Chouraqui réfute. « Si Mattel fait du Dora, c'est parce qu'elle se doit d'être en phase avec les programmes télévisés. Ce n'est pas parce que les ventes de Barbie baissent que le groupe s'est replié sur Dora. Ce sont là deux choses indépendantes. Mattel n'a pas besoin de Dora pour valider sa notoriété. De même, lorsque Hasbro s'associe à Oui-Oui, cela ne remplace en rien sa marque Petit Poney, mais la complète. » Donc, il ne s'agirait pas, pour cette dernière, d'un “sauvetage” mais d'un savant mélange entre produits propres et produits sous licences.
Quand des marques fortes s'allient à des licences fortes
Le mariage entre une marque et une licence n'est pas gagné d'avance et peut prendre des formes différentes. Christophe Rebours, fondateur d'In Process, distingue plusieurs cas de figures : tout d'abord, les sociétés qui n'utilisent que des licences, à l'instar de l'espagnole Famosa qui a attaqué le marché avec des licences connues, comme Peter Pan, dans le but de concurrencer Playmobil, acteur installé du marché. Autre possibilité : les marques connues qui achètent des licences tout aussi connues, comme Lego et Star Wars. La Grande Récré ne cache pas son goût pour les licences. « Nous avons un engagement très fort sur ces produits-là, affirme Franck Mathais, directeur de la communication du groupe. Nous consacrons une part un peu plus importante que le marché aux licences. » Et d'ajouter : « Les licences, c'est une certaine sécurité pour le fabricant, une certaine garantie de réussite. Les produits dérivés permettent de véhiculer un imaginaire que l'enfant s'approprie. L'enfant revit le film dans le jeu. » Autre avantage : la licence donne la possibilité au fabricant d'élargir son portefeuille de produits. « Dans un produit sous licence, l'intérêt réside d'abord dans le personnage, après dans sa fonction, note Franck Mathais. Alors que pour les autres produits, c'est la fonction du jeu qui prime. » Ce qui vaut pour les jouets s'applique aussi pour le parfum. Coty joue à fond la carte des licences, celles-ci représentant 70 % de ses activités ! « Les licences nous permettent d'offrir aux consommateurs mondiaux des expériences en parfum plus variées », explique Steve Mormoris. De la mode avec Esprit et Miss Sixty, au sport avec Beckham et Adidas, en passant par les “lifestyles” avec Davidoff et Kenneth Cole, et les parfums de star à l'instar de Céline Dion, Jennifer Lopez et Sarah Jessica Parker. Proposant ainsi au passage toutes les tranches de prix. Steve Mormoris poursuit : « Les licences créent des plates-formes de marques qui incitent les consommateurs à davantage rêver, fantasmer et vivre des sensations olfactives nouvelles. En face des marques classiques de mode comme Dior, Chanel et Yves Saint-Laurent, les parfums Coty diversifient les propositions et rendent la beauté plus variée sur le plan culturel et olfactif. Grâce à cette stratégie, nos augmentations de parts de marché sont les plus importantes du monde actuellement, en unités comme en valeur. »
La déferlante Pucca
Evidemment, le succès d'une licence n'est pas assuré dès le départ. Il y a toujours une part de risque. Quand Jetix a acheté les droits de Pucca, la chaîne ne s'imaginait pas le succès que la petite coréenne connaîtrait en France. D'autant que la série dispose d'un format court de deux minutes par épisode où ni Pucca ni Garu (son amoureux) ne parlent. Véritable phénomène en Asie où 100 concepts stores lui sont dédiés, Pucca a en effet séduit les Français via la série diffusée sur Jetix et ses nombreux produits dérivés. En septembre, elle devrait être déclinée en Manwha, sorte de Manga coréen en couleurs. Nombreux sont les nouveaux licenciés, à commencer par Alpa qui lancera une gamme de bagagerie et de papeterie scolaire avant l'été, et les établissements René Lurde qui déclineront le concept en accessoires pour les cheveux et petite bijouterie… « Pucca a touché tout d'abord les plus grands, puis les plus petits », souligne Nathalie Delin. Un phénomène plutôt inhabituel. Pimkie a ainsi lancé une ligne de vêtements pour adultes, Etam lui a consacré sa vitrine rue de Rivoli pendant dix jours fin novembre 2005 et Tropico, spécialiste des objets cadeaux, a été jusqu'à créer une bouillotte Pucca ! Pas étonnant donc qu'Antoine Villeneuve affirme la volonté de Jetix « d'en faire une des vedettes dans le portefeuille du groupe ». Et donc une licence pérenne, multicible. Le rêve de tout licencié… Que Disney maîtrise à la perfection avec Winnie l'Ourson, première licence sur le marché français des jeux et jouets. « C'est une valeur sûre », commente Philippe Lavoué, vice-président retail et marketing chez Disney Consumer Products. Preuve qu'une licence n'est pas seulement événementielle. « Pour nous, auparavant, le développement se faisait sur l'événement du moment, ajoute-t-il. Aujourd'hui, le marché s'est complexifié, il y a davantage d'acteurs. Notre stratégie consiste donc à offrir des opportunités sur chaque âge. » Dans la famille Disney, les petites filles entre 3 et 5 ans ont ainsi droit à la gamme Disney Princesse, les 7-10 ans aux Disney Ferries et les pré-ados plébiscitent les Witch. Une tendance que Michel Monnier a également notée. Selon ce dernier, « de plus en plus, les industriels analysent les besoins des enfants, cœur de cible des produits dérivés sous licence. Par l'intermédiaire de ces produits, ils accompagnent leur développement. A chaque stade de développement, un héros ou un personnage l'accompagnent. » Et, pour les plus grands, les licenciés surfent sur la nostalgie de leur enfance, une catégorie dans laquelle l'agence VIP est experte, avec des propriétés comme Snoopy, Casimir ou encore Lassie. Depuis six mois, VIP relance Sarah Kay, grand succès des années 80. Avec 60 000 exemplaires vendus pour “Le grand livre de Sarah Kay”, publié en septembre 2004 par les Editions Hemma, il n'y a pas de raison que la licence ne marche pas dans d'autres secteurs comme la papeterie, le textile ou encore la bagagerie.
Et si la marque créait sa propre licence ?
L'agence TLC s'est ainsi spécialisée dans la licence de marque, travaillant notamment sur Michelin, Perrier ou encore Cosmopolitan. « Nous avons changé la façon d'aborder la licence », affirme Régine Labrosse, directeur général associé. L'agence a lancé pour Michelin des gammes à forte teneur en innovation, allant des produits affectifs autour du Bibendum, à des produits liés à l'automobile, à la sécurité de l'individu et tout récemment au sport. Selon Christophe Rebours, « une nouvelle stratégie plus subtile apparaît : l'invention d'une licence par une marque ». Lego a ainsi créé sa propre licence, Bionicle, inventant tout un univers imaginaire avant même de lancer le produit. Ce qui lui évite tout risque de cannibalisation. « Quand Famosa fait de la licence, elle ne risque rien, ce n'est pas une marque connue, note Christophe Rebours. Mais, quand Lego achète une licence, c'est très dangereux, parce que c'est une marque connue. » D'où l'intérêt de créer sa propre licence. Smoby Majorette s'est aussi engouffrée dans la brèche en créant ses gammes Lilou et Cotoons. « Nous montrons que l'on peut aller du jouet à l'audiovisuel et pas seulement de l'audiovisuel au jouet », explique Karine Breuil. Car l'enjeu des marques, quel que soit leur secteur d'activité, réside bien dans le fait de sortir du lot sans perdre son identité. Les licences, oui, mais avec modération ou sous sa propre bannière.