Recherche

Fourniture d'accès Internet : la cible entreprise courtisée

En termes de rentabilité, la fourniture d'accès à Internet pour le grand public n'a pas encore trouvé son modèle économique. Plus juteux, le marché des entreprises intéresse beaucoup les prestataires, dont plusieurs se sont spécialisés sur cette cible. Néanmoins, cette activité demande une surface financière conséquente, et la crise des secteurs internet et télécoms a fait fuir les investisseurs. D'où cette course à la taille critique, qui a déjà fait des victimes, et devrait s'accentuer dans les mois à venir.

Publié par le
Lecture
10 min
  • Imprimer


Un marché en phase de consolidation. C'est ainsi que les analystes présentent l'activité de fourniture d'accès Internet aux entreprises. En effet, les investissements en matière d'infrastructure sont tellement importants que la course à la taille critique a déjà fait une victime, la société KPNQuest, filiale de l'opérateur télécom néerlandais, dont la faillite a laissé sur le carreau plusieurs dizaines de clients. « Et il y aura encore des morts ! », prophétise Régis Bryman, responsable marketing et communication d'Easynet. Parallèlement, certains acteurs se développent par croissance externe afin d'atteindre cette fameuse taille critique. C'est le cas de LD Com. Cette filiale du groupe de négoce Louis-Dreyfus a en effet procédé à plusieurs rachats ces derniers mois : Belgacom France (filiale de l'opérateur belge), Kaptech, Kertel, Fortel (devenu Squadran et titulaire d'une licence nationale de boucle radio locale ou BLR) et, récemment, 9 Telecom et FirstMark, acteur majeur de la BLR. Cette boulimie d'achats devrait permettre au grossiste en télécoms de rivaliser avec ses concurrents que sont France Télécom (avec ses marques Equant et Oleane), Cable & Wireless ou Colt sur le marché des entreprises. Ces trois opérateurs représentent en effet 80 % du marché de la fourniture d'accès Internet à destination des grands comptes. Les sociétés plus modestes et les PME sont courtisées par Easynet, Wanadoo (filiale de France Télécom), Cegetel Entreprises ou encore Tiscali Business. Chez France Télécom Oleane, on note un tassement du développement de l'accès à Internet de la part des entreprises. « Ces dernières années, on constatait un taux de + 100 % par an en termes d'équipement, il sera plutôt de + 50 % cette année », estime Etienne Bostsarron, directeur marketing. Cette baisse de la demande, associée à la disparition de nombreuses start-up, grandes consommatrices de bande passante, et à l'effondrement du secteur des télécoms, augmente le risque de cette activité. « Il faut s'attendre à une forte concentration du marché et à une baisse des prix moins rapide qu'auparavant », pronostique Etienne Bostsarron.

Les PME intéressent les FAI


Même analyse du côté de l'opérateur britannique Cable & Wireless. « Nous assistons à un mouvement de restructuration, de fusions, d'acquisitions et de faillites », constate Romain Blanchet, directeur commercial pour le marché du gros (wholesale). Or, les entreprises recherchent de plus en plus des FAI pérennes, afin d'éviter les déboires de leurs consoeurs clientes de KPNQuest. Cable & Wireless avance ainsi sa stabilité financière, revendiquant un endettement nul et plus de 4 milliards d'euros de trésorerie. Chez France Télécom, on met en exergue la taille et le réseau de l'opérateur historique, tout en précisant que l'endettement conséquent de la société nationalisée n'est pas dû à l'activité Internet. Chez Colt, troisième larron visant les entreprises grandes et moyennes, l'objectif est clair : devenir le second FAI B to B derrière l'opérateur national. « Les investissements à concéder sont énormes, mais nous avons l'avantage d'avoir démarré en 1996. Nous visons la rentabilité à l'horizon 2004 », prévoit Jean-Jacques Vigne, responsable produits accès Internet chez l'opérateur britannique. Pour lui, seuls subsisteront deux ou trois gros fournisseurs d'accès en plus de France Télécom, plus quelques acteurs de niches, comme les ISP (Internet Service Provider) régionaux : Kaptech/LD Com à Bordeaux, Altitude Télécom en Normandie, etc. Comme ses concurrents, Colt met en avant sa taille et ses objectifs de rentabilité pour persuader les grands comptes de sa pérennité sur ce marché. « Chez nous, pas question de casser les prix. Il faut savoir dire non quand l'affaire n'est pas rentable », insiste le responsable produit accès Internet. A côté de ces opérateurs puissants, on trouve plusieurs prestataires de moindre taille qui visent la clientèle des entreprises des PME et des TPE. L'Anglais Easynet, avec ses 78 millions de livres (121,04 ME) de chiffre d'affaires, ne peut rivaliser avec France Télécom ou Colt en termes de puissance financière. Mais son coeur de cible n'est pas le même que celui de l'opérateur historique. « Nous visons les PME/PMI qui n'intéressent pas les Colt ou Cable & Wireless. Nous sommes assez peu nombreux sur ce segment », pense Régis Bryman, responsable marketing et communication. Objectif d'Easynet : devenir un des deux ou trois premiers opérateurs sur la technologie ADSL en Europe. « Nous préférons être le dernier mais rentable, que le premier en déficit », résume le responsable marketing et communication. Si la relative petite taille de ce FAI peut s'avérer être une faiblesse en termes de notoriété, elle permet aussi à Easynet de dépenser beaucoup moins d'argent que ses concurrents plus importants. Déterminé à ne faire que de la fourniture d'accès, cet opérateur vise la rentabilité en 2003, hors amortissement des investissements. Les FAI grand public s'intéressent aussi de près à la clientèle entreprises, particulièrement le segment des PME. C'est par exemple le cas de Cegetel Entreprises, qui a mis au point une offre qui va d'une connexion Numéris jusqu'au haut débit sur fibre optique. « Historiquement, nous visions la cible des grands comptes, mais, progressivement, nous descendons vers les PME et les TPE », décrit François Demeyer, directeur marketing data et Internet. Néanmoins, les grosses sociétés ne sont pas négligées, puisque Cegetel Entreprises va tirer des lignes spécialisées (LS) dédiées aux clients dont les besoins en bande passante se comptent en gigabits.

Des offres packagées


Quant aux PME, François Demeyer estime qu'elles ont compris l'importance du Net en tant qu'outil de business. « Notre réseau de distributeurs nous remonte de nombreuses demandes émanant de ces petites sociétés. » Mais il faut leur proposer des offres packagées, de type plug and play. Tiscali Business, nouvelle entité du FAI grand public, vise également ce segment des SoHo, PME et mid market, à l'exclusion des grandes organisations. Ce prestataire propose une gamme de services qui vont de la connexion à l'hébergement, dont certains produits répondent aux besoins du grand public comme des PME, à l'instar de l'offre "gratuit le jour", qui permet de surfer gratuitement dans la journée. Tiscali a dans ses cartons une offre dédiée aux entreprises en technologie SDSL (avec débit garanti sur la moitié du chiffre annoncé) qui devrait voir le jour au second semestre. Après avoir rassemblé toutes ses marques grand public sous le nom unique de Tiscali, l'opérateur compte faire connaître son offre B to B. « C'est un métier qui réclame une taille critique. On peut augmenter sa marge en améliorant les services », pense Nicolas Prouteau, directeur de Tiscali Business, qui mise sur la taille de son entreprise, deuxième FAI en Europe et en France. « Cela peut sécuriser les PME de savoir que nous avons aussi une offre B to C. C'est une garantie d'individualisation des process et de tarifs compétitifs », estime Nicolas Prouteau. Last but not least, Wanadoo Service Pro revendique le leadership sur la cible PME avec près de 50 % de parts de marché. La cible de la nouvelle offre "Extense Pro", ce sont les TPE et les PME jusqu'à 20 postes connectés simultanément. Cette solution packagée comprend à la fois un accès au Net et une connexion haut débit en ADSL, mais également vingt boîtes aux lettres, une hot line, etc. En option payante : une adresse IP fixe, un nom de domaine, un antivirus et l'installation sur site. Pour les petites sociétés qui ne voudraient que l'accès, il existe l'offre Wanadoo ADSL. « L'essentiel des ventes se fait sur les offres packagées », estime Corinne Difant-Streiff, responsable produits ADSL Pro. A venir : une solution avec pack modem Ethernet, et une autre avec pack modem routeur, quatre ports LAN (réseau local) et l'installation. Qu'elles soient petites ou grosses, les entreprises représentent une cible convoitée par tous les fournisseurs d'accès, orientés B to B ou déjà positionnés sur le segment grand public. Mais les places sont chères, et la différence se fera sur la qualité des prestations offertes en complément de la connexion au Net.

Enquête : Les PME attendent de meilleures offres de connexion


Tiscali Business (services Internet aux professionnels) et Pouey International (gestion du risque client et renseignements d'affaires) se sont associés pour réaliser une enquête sur les PME et Internet. Effectuée du 23 au 30 avril dernier auprès de 857 PME des secteurs de l'industrie, du commerce et des services, l'enquête aborde les thèmes du taux d'équipement, de l'usage et de l'intérêt pour le Net, mais aussi de la problématique de l'accès au réseau. Si 89 % des PME françaises sont équipées d'Internet, et 81,3 % de leurs salariés sont connectés (62,3 % via un poste individuel, 37,2 % sur des postes en libre service), leur avis sur les moyens d'accès au Net sont partagés. Parmi les dirigeants des PME interrogées, 28,7 % jugent les offres de connexion "simples et claires", mais 26,7 % les trouvent "complexes ou confusantes", et 27,6 % n'en pensent rien. A noter que 17 % des PME estiment les offres d'accès "a priori toujours plus alléchantes", preuve que ces patrons ont intégré la tendance aux rabais concédés par les FAI pour gagner des clients. Cette stratégie pourrait être gagnante, tout au moins auprès des PME, au vu du faible budget consacré par ces sociétés à Internet : moins de 7 000 euros par an pour 75,8 % des entreprises interrogées. Mais la crise du secteur est passée par là, et les fournisseurs d'accès comme les hébergeurs vont devoir continuer à déployer des efforts pour convaincre les PME que le Net est indispensable. En effet, elles sont encore 68 % à considérer que l'Internet n'est pas "un facteur clé du développement ou de la compétitivité de leur entreprise".

Témoignage : Fluxus, de l'accès à l'hébergement


Fluxus a débuté son activité de fournisseur d'accès Internet sous le nom de FranceNet. D'abord orienté B to C, le FAI français s'est très vite tourné vers l'accès aux professionnels. « En accès grand public, le point d'équilibre dépend du volume d'internautes connectés, d'où la guerre des prix pour attirer les clients. Par ailleurs, les budgets marketing et communication sont nettement plus élevés qu'en B to B. C'est pourquoi nous nous sommes dirigés vers une offre aux entreprises cohérente et complémentaire par rapport à notre activité d'hébergement », analyse Arnaud Faivre, directeur commercial. Mais, n'étant pas lui-même opérateur télécoms, Fluxus doit louer des lignes et de la bande passante chez ses confrères et néanmoins concurrents. « Fournir de l'accès, c'est remplir des câbles. Il n'y a pas vraiment de valeur ajoutée », pense Arnaud Faivre. Or, la stratégie de Fluxus est aujourd'hui orientée vers la fourniture de services à valeur ajoutée, l'accès n'étant plus qu'une composante de ce bouquet. Désormais filiale de British Telecom, Fluxus ne veut plus apparaître comme un fournisseur d'accès, mais comme un prestataire capable d'être l'interlocuteur unique des entreprises pour toutes leurs activités liées au Net. « La bande passante est surdimensionnée. Même après le 11 septembre, le réseau a très bien absorbé les pics de connexion. L'Internet peut supporter cent fois plus de trafic. Les prévisions d'une croissance phénoménale de la demande ont été démenties. Résultat : les investissements considérables consentis par les FAI seront très difficiles à rentabiliser », analyse Arnaud Faivre. C'est pourquoi Fluxus se retire progressivement de ce marché de la fourniture d'accès pour se concentrer sur des métiers plus rentables : hébergement, sécurité, messageries. Une stratégie imitée par nombre de ses concurrents, qui s'aperçoivent que les gisements de rentabilité ne se trouvent pas forcément dans la seule connexion au réseau des réseaux.

Patrick Cappelli

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page