DossierL'avènement du marketing 3.0
5 - Ces méthodes qui bouleversent les études marketing
Économie comportementale, coaching, hypnose, sketching, analyse des verbatims... Ces nouvelles approches des études permettent d'aborder des sujets intimes et de générer des insights émotionnels. Révélations sur ces approches atypiques au Printemps des études.
Les neurosciences et l'économie comportementale permettent de décrypter les émotions pour mieux comprendre le processus de décision d'un consommateur profondément irrationnel. "Ces approches révolutionnent les études", a déclaré Éric Singler, directeur général de BVA, lors d'une conférence proposée à l'occasion de Printemps des études, organisée en avril dernier, sur "Ces autres approches qui enrichissent les études". Elle a eu lieu avant l'intervention de Lalin Anik, spécialiste américain de l'économie comportementale qui travaille avec Dan Ariely à la Duke University. BVA vient de lancer un programme de recherche expérimental en magasin avec Dan Ariely et son équipe.
"Les humains ne sont pas rationnels ", a rappelé Lalin Anik, en citant l'exemple d'une étude internationale sur les dons d'organe. L'objectif était de savoir comment améliorer ces dons. L'étude a révélé qu'un seul mot dans la formulation de la question (avec intonation positive ou négative) faisait grimper, voire doubler les taux de réponse positive. Autre exemple (extrait d'un ouvrage de Dan Ariely(1)): une proposition d'abonnement pour "The Economist". Avec une version on line à 59 dollars, une print à 125 ou les deux pour 125 dollars. La majorité a choisi la troisième offre (logique, l'abonnement internet étant considéré comme gratuit). En parallèle, un test mené avec seulement deux offres, off +Web et on line seule, l'offre on line seule arrive en tête des préférences! "Les gens ne savent pas ce qu'ils veulent", déclare Lalin Anik. Même constat sur les emballages de produits, entre la mention "10 % de matières grasses" ou "90 % sans matières grasses", qui crée davantage l'adhésion. "Les choix obéissent à des réactions émotionnelles", insiste Lalin Anik. Du pain bénit pour les marketeurs!
Approche différente avec KP/AM: le cabinet de conseil propose aux marques d'analyser en profondeur les verbatims de leurs clients, des lettres de réclamations aux e-mails entrants, en passant par le contenu des forums et les échanges téléphoniques. KP/AM s'appuie sur une forte expertise dans le domaine des sciences du langage. "?Ces données non structurées, qui émanent de consommateurs, clients, citoyens, des idées exprimées en toute liberté, sans biais, représentent un corpus linguistique très intéressant", explique Laurent Garnier, directeur général de KP/AM. L'institut quantifie les données, les trie, les analyse, fait ressortir les insights qui ont du sens et qui sont collectivement partagés et identifie les attentes des consommateurs. Depuis cinq ans, KP/AM a analysé 2 millions de verbatims.
S'impliquer dans l'expérience
Pour Nicolas Jaries (ex-Opinion Way), qui vient de créer Neo Positive, "il ne faut pas chercher à connaître seulement les attitudes et les comportements, mais les expériences". Ce militant d'un marketing positif estime que "l'expérience du vrai permet d'aller au-delà du questionnement. Ainsi, les techniques de coaching placent l'interviewé dans une démarche cocréative". Nicolas Jaries a justement travaillé avec Isabelle Fabry, directrice générale d'ActFuture.com, pour mettre au point des études atypiques mixant quali, démarches créatives, coaching, hypnose... Ce travail de R & D a permis de dégager, pour les éditions Atlas, des "moteurs d'engagement" dans les collections. "Nous avons utilisé une méthode de semi-hypnose fondée sur la régression vers l'enfance, explique Isabelle Fabry. L'idée est de voir jusqu'où vont les émotions et les souvenirs, pour en tirer des insights de réancrage par rapport aux collections Atlas." Deux expériences ont été menées dans ce cadre par Isabelle Fabry: l'une a été réalisée sur une personne passionnée de nains de jardin et l'autre sur une personne qui racontait un voyage au Maroc.
Le lâcher prise est aussi à l'origine de l'expérience de questionnement narratif menée par Nicolas Jaries auprès d'un collectionneur de montres de luxe. "Les rencontres qui durent une heure et demie, se font sans guide, en laissant se dérouler le fil rouge de l'expérience, affirme Nicolas Jaries. Ce procédé permet de travailler sur les freins et les points d'engagement. C'est particulièrement intéressant sur des sujets intimes."
Aller au-delà des mots
Mais, comme le note Nicolas Jaries, "l'hypnose et la pratique narrative ne sont que des moyens qui permettent d'aller chercher des insights personnels quali en profondeur. Ces techniques, plus proches du coaching que de la psychothérapie, peuvent être aussi utilisées en animation de groupe". L'animation des focus groupe, c'est justement un des sujets de prédilection de Laure Boisier, directrice études qualitatives de Lb Qualitative Research.
Démonstration on live lors de la conférence au Printemps des études: le sketcheur professionnel Matt Lawrence a dessiné sa perception des différentes interventions et de l'assistance. Résultat, les images enrichissent au fil des minutes les prises de paroles et permettent de rebondir. "Très utilisé dans les pays anglo-saxons, le sketching permet d'aller au-delà des mots, de stimuler des focus groupes de façon plus interactive qu'avec des photos", insiste Laure Boisier. Les avantages du sketching sont nombreux: le dessin révèle des insights plus aboutis qu'avec des mots, c'est un langage international, il permet d'aborder des thèmes tabous dans certains pays, l'annonceur repart avec des documents additionnels... "Matt dessine des émotions", résume Laure Boisier.
Aller plus loin dans la délivrance d'informations personnelles, dévoiler une autre facette de soi, rebondir sur des émotions... Incontestablement, ces approches nouvelles sont complémentaires des méthodes d'études classiques. Dernière approche relevée au Printemps des études: celle de la société anglaise BrainJuicer (qui a ouvert un bureau en France). Ce pionnier de l'utilisation des "behavior economics" dans les études fait intervenir des jeux et des clowns.
(1) Cf. C'est vraiment moi qui décide??, de Dan Ariely, Flammarion.