DossierL'avènement du marketing 3.0
3 - Petit abécédaire du neuromarketing appliqué aux études
Le neuromarketing fait le buzz. Après les États-Unis, il débarque en Europe. Avec son lot de pourvoyeurs et de détracteurs, il ne laisse pas le monde des études indifférent. Quels en sont les véritables enjeux? Le point avec Étienne Bressoud, de BVA.
Les neurosciences ont progressé de manière importante depuis le début des années deux mille. Le neuromarketing n'est que l'arbre qui cache la forêt des multiples applications qui en découlent. Médecine, apprentissage, justice, aide aux personnes atteintes d'un handicap, les enjeux liés aux neurosciences sont majeurs pour les sociétés contemporaines. Comme tout progrès scientifique, il bouscule les habitudes et contient les germes de sa contestation, qui passe notamment par les enjeux éthiques. Les neurosciences proposent des outils de mesure du système nerveux de plus en plus accessibles pour suivre, entre autres, l'activité cérébrale. Elles permettent notamment de mesurer les émotions, conscientes et non conscientes, en dépassant les limites d'un recueil déclaratif par questionnaire. Or, l'importance des émotions dans la prise de décision est reconnue depuis de nombreuses années. Elle est, plus récemment, mise à l'honneur par le courant montant de la pensée économique qu'est la "behavioral economics" (économie comportementale), Daniel Kahneman, prix Nobel, et Dan Ariely (professeur de psychologie et d'économie) en tête. Les marketeurs s'en inspirent: ils tentent d'intégrer les émotions pour mieux comprendre le comportement des consommateurs. évolutions des neurosciences mérite que soit posée la question de l'association entre ces deux univers.
Les outils du neuromarketing
Toute émotion ressentie provoque des réactions cérébrales et corporelles, conscientes ou non. Et ce, via des afflux sanguins dans certaines zones du cerveau, la transpiration, les contractions musculaires, l'accélération du rythme cardiaque ou, de manière plus visible, les expressions du visage. Les mesures des manifestations cérébrales sont dites centrales tandis que celles de l'activité corporelle sont qualifiées de périphériques. Les valeurs issues de ces mesures ne sont pas bonnes ou mauvaises en elles-mêmes. Elles ne font qu'expliquer le phénomène observé.
- Les mesures centrales appliquées au marketing sont au nombre de deux. - L'IRMF (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle), ou scanner, permet de disposer d'une cartographie détaillée du cerveau, et donc des zones qui s'activent en cas d'exposition à un stimulus, quel qu'il soit (publicité, emballage, dégustation, etc.). Certaines recherches suggèrent que chaque zone du cerveau est attachée à une émotion ou traduit une attention, une activation des sens (olfactif, visuel...), une mémorisation... Plusieurs travaux indiquent néanmoins que de nombreux autres facteurs doivent être pris en compte, comme la séquence d'activation des zones et leur simultanéité.
- L'EEG (électroencéphalographie), casque à électrodes posé sur la tête, permet également de mesurer l'activité cérébrale, mais de manière beaucoup plus superficielle. Une plus forte activité du côté gauche ou droit du cerveau distinguerait les émotions positives des émotions négatives, tandis que, de manière plus consensuelle, l'activation des ondes alpha et bêta fournit une mesure de l'attention portée au stimulus.
- Les mesures périphériques sont plus nombreuses. Seules les principales sont présentées ici.
- L'EDA (Activité électrodermale) mesure la microtranspiration par la conductance cutanée, au moyen de deux électrodes posées sur les doigts. Une augmentation de la transpiration traduit un engagement émotionnel, indépendamment de sa valence (sens positif ou négatif de ce qui est ressenti).
- L'ECG (électrocardiogramme) mesure le rythme cardiaque. Il est souvent associé à des mesures de température et de respiration. Il mesure l'engagement émotionnel et sa valence, selon et les techniques associées.
- L'EMGF (électromyographie faciale) mesure les pré-tensions des muscles du visage à l'aide d'électrodes. Selon les muscles activés,
- zygomatiques et/ ou corrugateurs -, il permet de déterminer la valence de l'émotion. Sur le même principe, le décodage facial analyse les mouvements du visage via un expert ou un logiciel. A condition qu'ils soient visibles (sourire, froncements de sourcils), cette méthode permet de déterminer la nature de l'émotion ressentie (joie, tristesse, etc.).
Neuromarketing contre marketing du neurone
Il existe deux enjeux associés au neuromarketing. Le premier est celui de la recherche académique, le second celui des professionnels des études et du marketing. Pour la recherche, le neuromarketing est utilisé afin d'éclairer sous un nouveau jour l'impact du marketing mix et le comportement du consommateur Cela va plus loin pour les professionnels, qui souhaitent pouvoir mesurer l'émotion ou l'attention portée à un stimulus donné: publicité, concept, packaging, dégustation... De nombreuses publications scientifiques permettent d'établir que le neuromarketing apporte des connaissances supplémentaires sur les effets du marketing mix et le comportement des consommateurs. Du côté des pratiques professionnelles, le neuromarketing tient-il ses promesses? Tout dépend de celles qui ont été faites. Avoir un regard critique sur ce que peut ou ne peut pas réaliser le neuromarketing, en l'état des connaissances actuelles, est indispensable pour qui souhaite l'utiliser Le mythe du bouton d'achat, véhiculé par certains professionnels, est dévastateur Non, il n'y a pas de zone qui s'allume dans votre cerveau lorsque vous achetez un téléphone portable. Oui, une émotion positive vous attirera plus vers une tablette de chocolat. Lachèterez-vous pour autant? De même, un stimulus doit susciter l'attention. Mais que signifie une forte attention sur un emballage? Un intérêt ou une mauvaise compréhension? Le neuromarketing permet d'observer les émotions et l'attention, c'est indéniable. Mais seules, ces mesures restent difficiles à interpréter En revanche, associées aux traditionnelles méthodologies d'études, elles apportent un réel complément d'information. Par exemple, en démontrant que malgré l'émotion positive suscitée par la publicité, la mémorisation de la campagne n'est pas à la hauteur des attentes. Ou encore: le pack suscite de l'attention et le questionnaire montre clairement que le bénéfice produit n'est pas compris.
- Un regard éthique
Au-delà de l'information apportée par les outils neuroscientifiques, les questions d'éthique sont primordiales. Ethique professionnelle, liée à l'opportunité d'utiliser ces outils pour certaines problématiques. Tant dans la finalité de l'objet de la recherche que dans la légitimité de l'outil utilisé. Est-il acceptable de mobiliser des IRM pour des études marketing, alors que l'attente pour passer une IRM médicale est de 30 jours? De même, le rapport coût /bénéfice, qui arbitre entre le risque pour la santé des participants et les enseignements attendus de la recherche, est-il toujours favorable? Ethique sociétale, dès lors que les neurosciences donnent accès à des informations que le participant n'a pas envie ou pas conscience de partager Que ces informations soient en rapport ou non avec l'étude réalisée, comme la santé du participant. La protection des données privées est ici en jeu. Enfin, le neuromarketing pose la question du librearbitre de l'individu: le consommateur est-il maître de ses décisions ou influençable? En France, le législateur a commencé à s'emparer du sujet: "Les techniques d'imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d'expertises judiciaires" (Loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 - article 45). Elles sont autorisées dans le reste de l'Europe. Leur utilisation peut cependant poser des cas de conscience. Par exemple, si une tumeur cérébrale est détectée au cours d'une IRM réalisée pour tester une publicité. Les mesures périphériques sont moins polémiques, car "elles ne lisent pas dans le cerveau". Ce que ne font pas non plus les mesures centrales, mais cela est sujet à controverse. De plus, alors que l'imagerie cérébrale n'en est qu'à ses débuts, les données qu'elle propose sont souvent soumises à une interprétation. Les neuroscientifiques admettent humblement qu'ils sont encore loin d'avoir percé les mystères du cerveau, mais qu'ils progressent. Finalement, le domaine où cette discipline est le plus facilement accepté est celui de la prévention et de la santé publique. En aidant à identifier les mesures les plus appropriées pour inciter les automobilistes à conduire prudemment et les jeunes à ne jamais commencer à fumer, le neuromarketing rendrait service à la collectivité.
Au final, on peut donc affirmer que le neuromarketing est utile. Par sa capacité à mesurer les émotions et l'attention, il peut apporter un complément d'information qui aide à affiner la décision marketing. Mais pour le mettre en oeuvre, certaines précautions sont à prendre.
Un outil parmi tant d'autres
Pour ne citer qu'eux, l'Esomar (European society for opinion and market research) et l'ARF (Advertising research foundation), suivies par nombre de professionnels, recommandent de l'utiliser en complément d'études classiques, mais jamais seul. Le neuromarketing mesure une réaction que seule l'étude traditionnelle peut expliquer, grâce à un profil d'image, par exemple. Les mesures fiables de l'émotion et de l'attention sont connues. Elles ont fait l'objet d'articles scientifiques publics. Il ne faut pas hésiter à s'y référer pour comprendre les mesures qui sont proposées. Enfin, il faut s'assurer de la compétence et du sérieux du prestataire. Des organisations peuvent y aider, et il ne faut pas hésiter à s'en rapprocher pour en savoir plus. Au niveau international, l'Esomar et la NMSBA (Neuromarketing science & business association) ont édité des documents utiles et accessibles. En France, l'Adetem a créé un club Neurosciences et marketing, qui propose de réfléchir et d'échanger sur le sujet.