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"La culture de la différence est l'une des qualités de l'entreprise"

KIA, marque coréenne de voitures, tente de grignoter une part d'un marché français contrôlé par des mastodontes. Sa force, jouer sur sa petite taille pour attaquer le marché différemment. En se concentrant sur toutes les niches de services peu exploitées par les grandes marques. Explications de son directeur général France, Eric Mathiot.

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KIA et Hyundaï font partie du même groupe coréen...


Oui. Ces deux sociétés concurrentes ont fusionné le 1er janvier 1998 au sein du groupe Mobis dans une période où le marché coréen était en crise. L'idée était d'utiliser des plates-formes communes et des stratégies commerciales différentes, de faire la différence par le marketing et par les réseaux de distribution. Un peu à l'image de PSA et ses deux marques. C'était également une façon d'être plus attractif pour un investisseur étranger. C'est ainsi que le groupe espagnol Bergé (prononcez Béré) a racheté au groupe japonais Itochu le capital de KIA France et distribue la marque, dans l'Hexagone notamment.

Quels sont vos objectifs en France ?


Atteindre 20 000 unités d'ici à cinq ans, soit 1 % du marché. Nous avons vendu 2 600 voitures en 2000. Et 2 100 en 2001, c'est un peu moins bien sachant qu'il y a eu une période de flottement en raison du changement d'actionnaires. Itochu n'investissait plus en publicité. Sur 2002, notre objectif est de vendre 5 000 voitures.

Quelles sont les forces de la marque KIA ?


D'abord d'avoir rénové sa gamme de produits et d'offrir aujourd'hui des véhicules, en ligne, qui correspondent aux attentes des Européens. D'autres l'ont fait comme Hyundaï. Aujourd'hui, ils ne fabriquent plus des voitures coréennes qu'ils essaient de vendre en Europe mais des voitures conçues pour les Européens. Si l'on regarde l'un de nos derniers modèles, la Magentis, en mettant le logo de n'importe quel constructeur européen, on peut faire croire que c'est une voiture européenne. Les constructeurs coréens ont une démarche inverse de ce qui se passait précédemment. Les voitures sont ciblées et définies pays par pays. En Espagne, par exemple, la climatisation est obligatoire et l'ABS secondaire. En revanche, en Allemagne, s'il n'y a pas d'ABS, on ne vend plus de voitures car les Allemands sont beaucoup plus sensibles à la sécurité et leurs conditions de route, en hiver notamment, sont plus dures.

Qu'en est-il en termes de marketing ?


Comme les voitures, il a été adapté au raisonnement et au fonctionnement des Européens. Notre présence est par ailleurs beaucoup plus forte puisque KIA est maintenant franchement impliquée en termes de communication ainsi que sur des événements sportifs, comme l'Open d'Australie dont nous sommes le partenaire principal. La Coupe du monde de football, c'est Hyundaï, mais nous sommes également présents sur d'autres événements. Il y a vraiment une communication européenne bien ciblée. Enfin, nous nous concentrons sur le développement du réseau de concessionnaires qui est la première pierre de l'édifice. Car à quoi bon faire de la publicité si au niveau local, il n'y a pas de concessions pour vendre les voitures ? Nous en comptons 75 aujourd'hui et 120 d'ici à la fin de l'année.

Pratiquez-vous les forfaits tout compris : voiture, assurance, entretien, etc. ?


Bien sûr. Tout le monde s'y est mis, même si, en la matière, la France est un peu en retard. En Angleterre, c'est déjà dans les moeurs, et pratiquement 70 % des voitures sont quasi louées. Dans l'Hexagone, cela s'est développé auprès des sociétés mais beaucoup moins chez les particuliers. Sûrement parce que le Français conserve un certain instinct de propriété. Mais, depuis quelques années, on a vu fleurir de nombreuses offres dans ce sens.

Comment l'automobiliste français a-t-il évolué ?


J'ai démarré dans ce secteur en 1974 et je dirais que, globalement et sans être péjoratif, le Français roulait alors au-dessus de ses moyens. L'automobile était un moyen de se positionner socialement. Aujourd'hui, le consommateur raisonne en termes d'achat intelligent. Il y aura bien sûr toujours le fanatique de l'automobile, celui qui fait un chèque de 1,5 million pour s'acheter une voiture, mais là c'est totalement irrationnel. C'est marginal, mais, Dieu merci, il faut qu'il existe ! Mais, pour le gros de la famille des automobilistes, l'achat d'une voiture est devenu rationnel, même s'il y a toujours une touche d'irrationnel sur le look, le design...



Cette tendance explique aussi que l'offre de location tout compris intéresse de plus en plus les automobilistes qui se disent : « J'ai un budget de 305 euros, je loue ma voiture, elle est assurée, elle est entretenue, j'ai un véhicule de remplacement le jour où elle est en panne .» Il y a beaucoup moins d'emphase qu'auparavant.

Dans l'esprit d'un Français, qu'est-ce qu'une voiture coréenne ?


En premier lieu c'est "une voiture pas chère", une voiture qui a une image de fiabilité. Toutes marques confondues, les voitures coréennes vendues en France sont garanties trois ans. Depuis janvier, nous sommes les seuls à garantir nos véhicules pendant trois ans sans limitation de kilométrage. Cette garantie est la certitude de la qualité de nos produits. Ce sont des voitures bien équipées. KIA a toujours privilégié l'équipement de ses modèles. Toutes nos voitures, à commencer par la première de notre gamme, la Rio 400 LS à 11 900 euros, ont la climatisation de série, deux airbags, la radio, la peinture métallisée. Des choses que le consommateur français sait déjà. On continue de communiquer dessus, mais les trois points forts, ce sont clairement le prix, la fiabilité et l'équipement.

Et comparée aux japonaises ?


Aujourd'hui, les voitures japonaises sont au même prix que les européennes. Or, il y a vingt ans dans le même segment, il y avait un écart de 15 %, voire plus.

Les gens achètent quoi alors ?


Une image de fiabilité incontournable. Quand on regarde les indices de satisfaction client, toutes marques confondues, on s'aperçoit que, parmi les cinq marques les plus citées en termes de fiabilité, trois japonaises arrivent systématiquement en tête, avant Mercedes ou BMW. Cette image est installée. La voiture la plus fiable pour les consommateurs européens, c'est une Honda et ensuite une Toyota.

Vous êtes beaucoup moins cher ?


On est dans la même fourchette de prix, mais on est plus équipé. Si on met le même équipement que ce que nous proposons de série, cela fait un delta moyen d'environ 15 %. Le Carnival est ainsi le monospace le moins cher du marché et le mieux équipé, avec son prix moyen de 24 400 euros. Le premier de nos concurrents, à équipement égal, est 5 000 euros plus cher soit 20 % de différence. Pour une famille nombreuse aux revenus moyens cela fait un gros écart de prix. C'est aujourd'hui la voiture qui marche le mieux, elle représente 40 à 45 % de nos ventes.

L'image de la Corée ne nuit-elle pas à KIA ?


Non. Les Français connaissent peu la Corée du Sud. Aujourd'hui, le pays est mis sous les feux de la rampe du fait de l'organisation de la Coupe du monde de football. Séoul est quand même la quatrième plus grande ville du monde. Mais on ne peut pas dire que l'image de la Corée nuit à nos ventes, au contraire. Car l'image du pays s'améliore.

Quelle est votre stratégie de communication ?


Une marque automobile génère en trafic en concessions deux fois sa part de marché. Ford ou Opel font 7 %, cela veut dire que 14 % des acheteurs passent chez eux avant de se décider. Nous pesons 0,02 % du marché, donc 0,04 % des acheteurs viennent chez nous, ça n'est pas beaucoup. L'idée est donc d'aller au-devant des prospects et non de les attendre au chaud dans nos showrooms. Pour ça, nous montons des opérations en partenariat avec des sociétés qui génèrent du trafic. Nous avons profité, par exemple, de l'anniversaire annuel de Carrefour en octobre. L'an dernier, l'enseigne avait décidé d'offrir une voiture par semaine ; en échange de quoi nous avons eu l'opportunité d'exposer nos voitures devant ou dans leurs magasins. En moyenne, c'est 80 000 entrées par semaine, un trafic que n'est pas prête d'enregistrer une concession KIA. Aussi, cette année, nous allons renouveler ce type d'opérations.

Quel est le slogan de la marque ?


Depuis janvier 2002, c'est "Conduisez une grande marque". Il sera décliné en pub télé sur le second semestre, lorsque nous aurons passé le cap des 100 concessions.

Vous comptez également sur le parrainage...


Oui, car lorsqu'un client achète une Clio, ça ne génère pas l'émeute. Si vous dites « j'ai acheté une KIA Rio », personne ne sait ce que c'est, vos collègues de travail vont vouloir la voir... Nos clients sont donc nos meilleurs prescripteurs. On est tous pareils, en tant que consommateur, on pense que l'on a fait un bon achat, et on veut le démontrer à son entourage. Ce client acquis fait connaître le produit, il trouve même parfois des arguments qui nous ont échappé. On souhaite donc tirer parti de cette situation, en lui permettant d'être parrain d'autres clients et de bénéficier d'avantages chez nous... Ce qui n'est pas vraiment exploité par nos concurrents.

La distribution automobile évolue lentement en somme...


C'est vrai. J'ai travaillé pour pas mal de constructeurs et j'ai toujours été frappé par le décalage entre l'argent dépensé pour conquérir de nouveaux clients - c'est énorme - et le faible montant proportionnellement investi pour les garder. Or, si votre produit est bon, il est beaucoup plus facile d'essayer de garder quelqu'un que de le conquérir. Peu de constructeurs travaillent dans ce sens, ça vient peu à peu. Mais, pendant des années, dans de nombreuses sociétés, on ne s'en occupait absolument pas. On avait même pas un fichier clients. La voiture vendue, on passait au suivant. Nous avons l'avantage d'avoir peu de clients, c'est donc plus facile et notre stratégie est de se servir de ces clients comme base de communication et de développement. Nous allons dépenser autant d'argent avec ces 20 000 clients qu'à essayer d'en conquérir 20 000 nouveaux. Pour nous, c'est un axe privilégié.

Allez-vous faire le même type d'effort vers la force de vente ?


Oui, car de la même façon, j'ai toujours été choqué par la disproportion entre l'argent investi dans la chaîne, des milliards à chaque fois, et le peu de moyens donné au vendeur. En général, c'est une semaine au Club Med pour les dix meilleurs et point. Or, c'est le seul qui soit en contact avec le client final. Là aussi KIA a une approche complètement différente. Cet été, nous avons créé un club des vendeurs en France. On souhaitait les fédérer et les reconnaître en tant que tels, en les impliquant, en les consultant sur nos campagnes car ce sont eux qui entendent les réflexions des clients. Bien sûr, encore une fois, c'est plus facile quand on est petit comme nous. On s'adresse à 70, 75 personnes quand, chez Renault il y a peut-être 4 000 ou 5 000 vendeurs en France. Mais je serais curieux de connaître le budget que dépense Renault pour ses vendeurs par rapport à ses budgets marketing. C'est certainement un chiffre qui doit être en troisième ou quatrième position après la virgule. Alors que nous allons y consacrer 6 à 7 % du budget marketing de l'année (3,5 à 4 millions d'euros). C'est un effort colossal.

Cela semble courageux, voire téméraire, de vouloir s'imposer sur un marché français où règnent des mastodontes.


Je ne sais pas si c'est courageux mais, à mon avis, la clé du succès c'est d'être différent de ces mastodontes. Hormis le fait de vendre des voitures, on ne peut pas avoir la même démarche ni le même process. Moi, je vais dépenser dans l'année peut-être ce que certains dépensent par jour. Donc, forcément, on doit être différent. Et la différence, c'est toute la stratégie de l'entreprise. Je le dis tous les matins à mes collaborateurs : nous devons être différents, dans notre approche, dans nos relations avec nos concessionnaires, nos clients. Cette culture de la différence est l'une des qualités de l'entreprise.

Allez-vous accroître votre offre de services ?


Oui, nous comptons offrir une à deux fois par an de nouveaux services à nos clients et en faire bénéficier non pas uniquement les nouveaux acheteurs mais aussi les clients existants. Il n'y a rien de plus frustrant lorsque vous achetez une voiture, de voir trois semaines après une offre alléchante dont vous n'avez pas bénéficié. Notre stratégie est d'impliquer à chaque fois tout le parc existant dans les offres qui sont faites. Là encore, c'est plus facile quand le parc représente 20 000 voitures, que lorsque l'on en vend 500 000. Mais, en proportion, le coût reste très important. Par ailleurs, nous préparons un contrat où les membres de la famille seront assurés quels que soient l'âge et le niveau du conducteur. Aujourd'hui, on s'aperçoit que, lorsque l'on veut assurer un de ses enfants, jeune conducteur, c'est 20 % supplémentaires dans le meilleur des cas. Avec cette assurance, il n'y aura pas de majoration pour un nouvel entrant qui, a fortiori, est un jeune conducteur. Il y a une demande et une logique.

Etes-vous un vrai amateur de voiture ?


Oui.

Qu'achèteriez-vous si vous aviez le budget ?


Sans doute une Porsche Boxster... une voiture extrêmement sympathique.

Que veut dire KIA ?


L'Asie qui se lève.

Biographie


Diplômé en "technique de commercialisation" à l'Université de Montpellier, Eric Mathiot, 47 ans, débute sa carrière en travaillant dans des concessions automobiles. Il rejoint General Motors France, de 1986 à 1992, en tant que chef de district puis chef de service développement réseau pour Opel. En 1992, il entre chez Daewoo comme directeur commercial chargé du lancement de la marque en France. Il est ensuite directeur général du groupe de concessions Hess à Lyon de 1998 à 1999. Il assure ensuite, jusqu'en 2001, la direction des ventes et du marketing de Bridgestone-Firestone France SA avant de devenir, le premier juillet dernier, directeur général de KIA Automobiles France.

L'entreprise


KIA compte, début 2002, 75 concessions en France et emploie 28 personnes en son siège de Gennevilliers. Les KIA sont fabriquées en Corée du Sud. Le pays est le quatrième producteur automobile au monde après les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne. Viennent ensuite l'Espagne puis la France. Le groupe Bergé qui a acquis le capital de KIA France est spécialisé dans la distribution automobile (40 % de son activité), les énergies alternatives (40 %) et à 20 % dans la logistique portuaire, le transport et le maritime, son activité historique.

Valérie Mitteaux

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