Emotion, quand tu nous tiens... Une nouvelle génération d'études.
Aujourd'hui, l'émotion est partout dans le dispositif des marques. Que ce soit en communication, en point de vente, en relation client... Mais de quelle émotion s'agit-il et comment la mesurer? A ce besoin des annonceurs répond une vraie réflexion des instituts d'études. Tour d'horizon.
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«Nus glissons depuis quelques années d'une société de l'intellect vers une société de l'émotion, de l'affect, du spectacle», disait Jacques Séguéla à Dominique Souchier sur RTL, pour présenter son dernier ouvrage Génération Q.E., coécrit avec Christophe Haag
Depuis longtemps, les publicitaires ont recours à l'émotion de façon tactique, comme un moyen d'augmenter l'efficacité de leur communication: surprendre, taire rire, choquer, faire rêver... Il s'agit là d'attirer l'attention, d'entraîner une implication ou une réaction afin de mieux émerger. Encore faut-il savoir quelles émotions susciter. Une connaissance d'autant plus nécessaire que le consommateur évolue et change, notamment en période de crise. Les études de tendances et les observatoires de la crise sont là pour apporter de premiers éléments de contexte (TNS Sofres, Ipsos, Ifop, Interview, Panel on the Web, DRC...). «Dans un monde d'après-crise, expliquaient Peter Cooper et Simon Patterson, de Cram International dans leur intervention lors du dernier congrès Esomar à Montreux, rémotion, l'irrationalité continueront à jouer leur rôle, mais de façon bien plus complexe». Pour Christine Poliet, directrice générale d'InterView, «en dépit de la crise, la recherche d'émotion est bien vivante en 2009. La voie est ouverte à des émotions plus «vraies» et plus justes, culturelles, sensorielles ou environnementales. Elles doivent avoir du sens et reposer sur de vrais bénéfices consommateurs.»
Les émotions sous-tendent les désirs des individus: elles renvoient aux besoins fondamentaux et se traduisent en termes de ressenti et de besoin d'expression de soi (compétence, assurance, sympathie, proximité, intelligence, supériorité, différence...). Sur certains marchés, comme le luxe ou les boissons alcoolisées, les dimensions émotionnelles sont un facteur déterminant des choix. «Nous voyons bien que Von touche ici des attentes et des aspirations fondamentales, qui sont de réels «drivers» du choix, au-delà des éléments plus identitaires ou fonctionnels des marques», explique Fabrice Billard, directeur Segmentation 8c Positionnement chez TNS Sofres.
Christine Pollet (Interview):
«La recnercne d'émotion est bien vivante en 2009.»
Georges Chétochine (Georges Chétochine Consulting Group):
«Il y a, a I'évidence, la place pour un marketing des émotions.»
Pourquoi mesurer les émotions et comment le faire?
Les récents travfaux des chercheurs en sciences cognitives montrent que le cerveau offre une place importante à l'émotion dans l'ensemble du processus de décision et qu'elle ne peut plus être dissociée de la raison. «C'est l'émotion qui donne l'indication du sens à suivre de la façon la plus adéquate», écrivait Antonio Damasio dans L'erreur de Descartes, la raison des émotions
Devant l'évolution des marchés et face à une banalisation des caractéristiques techniques ou fonctionnelles des produits ou des services, le facteur émotionnel gagne en importance de façon transversale. «Il devient de plus en plus nécessaire pour les annonceurs de travailler sur les dimensions émotionnelles de leurs marchés pour se créer un territoire fort et différencié», constate Fabrice Billard. C'est ce qu'explique Georges Chétochine dans son dernier livre Le marketing des émotions
Danielle Rapoport (DRC):
«Les consommateurs veulent un «retour sur investissement» de toutes leurs dépenses, argent et émotion confondus!»
Pourquoi traiter de l'émotion aujourd'hui?
3 questions à Danielle Rapoport, psychosociologue et fondatrice et directrice de DRC.
MM: L'émotion est partout, dans le discours des marques comme dans les problématiques shopper ou relation client. Qu'en est-il du côté des études?
Danielle Rapoport: La question de l'émotion,de sa valeur, de son statut, de son impact dans la consommation, peut, en effet, être posée à l'aune de l'évolution parallèle des consommateurs et des méthodologies d'études. Celles-ci se sont toujours préoccupées du facteur émotionnel dans leurs techniques classiques propices à l'activation du cerveau droit. Les techniques actuelles ne sont pas en reste (fiImage qui décode les gestuelles, neuromarketing, décodage de l'émotionnel dans les études en ligne, etc.).
Comment expliquez-vous l'intérêt actuel pour rémotion?
L'émotion fascine. Elle est à la fois impalpable et moteur des comportements. Son étymologie réfère au mouvement («movere», corn me pour «motivation»). Positive ou négative, elle structure la relation du vivant au monde.Mais,a-t-elle aujourd'hui une nouvelle fonction, et peut-elle et retraitée corn me «avant»? Avant que le consommateur et son rapport à la consommation n'aient changé, avant qu'il ne refuse de réagir en «stimulus réponse», avant qu'il n'ait décidé de résister aux sirènes de la tentation. Il semblerait qu'il soit capable de plus de retenue, à la fois pour des raisons économiques et éthico-idéologiques mais également pour troquer de l'«avoir»contre du»plus d'être«, pour dissocier sa»vérité«du grand jeu consommatoire dont il retire moins de bénéfices. Mais, l'émotion a-t-elle été engloutie par la vague de la raison dans les nouveaux arcanes de l'acte de consommation, dont la sommation actuelle est d'acheter moins pour consommer mieux? Bien sûr que non. Examinons notre consommateur en train de décortiquer une offre, de se poser la question de son désir, de s'informer, de comparer... Sous sa rationalité, on pourrait voir une posture paranoïde, une victimisation, une curiosité excitante ou simplement une envie de consonance... Mais que d'émotions! Sans compter les suspicieux et les défiants, qui cachent leur fragilité dans la critique du système, et les rebelles et les militants, une projection idéale d'eux-mêmes dans leur refus du «tout consommatoire»...
Comment les marques doivent-elles utiliser l'émotion?
Traiter de l'émotion aujourd'hui revient à questionner la posture des émetteurs vis-à-vis de cet émotionnel là, de ces mises à distance par les consommateurs de ce qui ne convient plus, qui n'est ni indifférence ni pure rationalisation. Dans le flot d'émotions négatives génératrices de freins, réfléchir aux liens n'est pas du luxe, pour apaiser, apprivoiser, approcher mais pas trop, donner confiance, bref chouchouter des individus qui veulent un «retour sur investissement» de toutes leurs dépenses, argent et émotion confondus! Mais, comment créer du lien crédible et support d'émotion, quand les consommateurs visent la simplicité, les petits bonheurs accessibles et réconfortants, attendent de la réassurance et de la «bien-traitance»de la part des acteurs de l'offre? Il ne s'agirait pas de «réveiller» une belle endormie-la consommation-qui ne l'est pas dans tous ses secteurs, d'ailleurs, à coups de stratégies rebattues de sur stimulation, de surpromotions, de fausses innovations... mais d'éveiller des«modes d'être» où l'émotion, la motivation, le mouvement, l'expression, ont leur part, à condition défaire avancer et «grandir» y compris via les techniques les plus sophistiquées. C'est donc l'intention des émetteurs qui est ici en question: favoriser un émotionnel positif pour que les consommateurs deviennent «contributeurs»de l'offre (comme les nomme Bernard Stiegler), de leurs choix, et préservent la vitalité de leur désir. Mieux connaître et comprendre les manières de consommer pour savoir ce qui meut/émeut, fait «craquer», aimer ou adhérer les consommateurs-à une marque, à un lieu, à des objets-comporte toujours une part de manipulation. Comme toute posture de séduction, les appâts sensoriels ne sont qu'un des nombreux exemples. Mais si cette manipulation, qui cesse d'en être une au moment de sa conscientisation, se conjugue au «pas de côté» des consommateurs, si son but n'est pas de phagocyter le désir, d'hypnotiser le jugement, de titiller démagogiquement les valeurs au point d'annihiler leur sens, alors pourquoi pas?
A la question du «Comment traiter l'émotion aujourd'hui»,j'ajouterais celle du «pourquoi?», et poserais l'importance actuelle d'une écologie de l'esprit des actes de consommation, qui passe par un juste équilibre entre émotion, raison, réflexion et action.
Fabrice Billard (TNS Sofres):
«Il devient de plus en plus nécessaire pour les annonceurs de travailler sur les dimensions émotionnelles de leur marché afin de se créer un territoire fort et différencié.»
Le quanti aussi
Très récemment, un certain nombre d'outils de mesures quantitatives, issus d'une R & D approfondie, rendus possible par le développement du on line, a été proposé par les instituts au marché. « En lançant Emotional Advert, nous avons voulu répondre à une demande forte des annonceurs qui n'arrivaient pas à mesurer les valeurs émotionnelles de leurs campagnes et s'assurer que le territoire émotionnel choisi était le bon », explique Martine Ghnassia, directrice du Planning Stratégique à l'Ifop. L'outil a été choisi par Newell Rubbermaid pour tester d'abord en Grande-Bretagne, marché-clé pour la marque, une nouvelle campagne pour Parker, réalisée par l'agence McCann. «Marque d'écriturepremium très ancrée dans la vie personnelle de ses consommateurs, Parker a ressenti le besoin défaire évoluer sa communication en ajoutant encore plus de créativité et d'imaginaire, tout en gardant ce qui faisait la substance de la marque», explique Nadine Cottet, Global Consumer Insight Leader chez Newell Rubbermaid. «Comme cette nouvelle communication (qui faisait appel à Tim Burton) s'éloignait de la communication traditionnelle de la marque, nous avions besoin d'un outil de pré-test pour aller au-delà des enseignements traditionnels et nous permettre de comprendre la qualité des émotions qu'elle suscitait et leur pertinence pour nos consommateurs.»
Chez TNS Sofres, pour mesurer la réaction émotionnelle d'un individu à la publicité, l'institut a recours au modèle «PAD», issu de la recherche clinique, qui analyse les états émotionnels sur trois axes: «Pleasure», «Arousal», «Dominance» (plaisir, excitation, domination) . «Nous allons effectuer une mesure projective, qui reflète le positionnement émotionnel induit pour la marque, et une mesure PAD pour mesurer la réaction émotionnelle instantanée», commente Fabrice Billard.
En mars dernier, CSA a lancé un nouvel indicateur, le Mood Index, désormais systématiquement intégré dans les tests de produit et de publicité. «Nous suivons cet indicateur dans le temps et il nous aide lors de prises de décision stratégiques, qu'il s'agisse de communication, de relation client, de valeur de marque ou d'innovation», fait remarquer Elisabeth Martine-Cosnefroy, directrice générale de CSA. Une bonne partie des nouveaux outils quantitatifs s'appuie sur le recours à des images associées à une émotion. Adriant, qui a mis un an à développer son outil, propose Sense'n Feel, testé sur l'univers des parfums. «Nous sommes partis de groupes quali pour développer des boards, qui ont ensuite été validés on Une», explique Bernard Nazaire, directeur Etudes Consommateurs et Etudes Sensorielles chez Adriant. Philippe Lespinet et Nicolas Raimbault, dirigeants de l'institut PLM Marketing Research qui viennent de créer e-plug Research, ont mis au point une nouvelle approche projective on line via des images administrées en ligne. De son côté, Repères a développé l'Emotional Monitoring, lancé en 2006 et devenu depuis une licence internationale et commence à l'utiliser dans les tests d'évolution de la plateforme de marque. «Aujourd'hui, qui dit marque, dit émotion, puisque c'est une histoire relationnelle, donc émotionnelle», ajoute François Abiven.
De son côté, TNS Sofres fait parler d'une marque ou des attentes sur un marché au travers de portraits de personnes sélectionnées avec des psychosociologues.
Modules et outils de perception
Pour les tests de publicité on line (screening, pré et post-test, tracking), Ipsos, quant à lui, utilise des modules utilisant des images (des personnages dessinés) qui véhiculent une émotion afin d'aboutir à Emotiscape, un mapping d'émotions. «Nouspouvons ainsi voir quelles émotions sont suscitées par la publicité, et ce que cela apporte à la marque», observe Marie-Odile Duflo, dg d'Ipsos ASI France. Par ailleurs, l'institut a développé Perceptor, un outil qui fait partie de Designor (marché test simulé) et qui a nécessité un gros travail de R&D et de statistique pour réduire les 48 besoins universels à 14 «dimensions-clés». «Nous avons intégré la partie «émotion» à la demande de nos clients, afin d'être plus prédictif des parts de marché», fait remarquer Thomas Tougard, directeur général d'Ipsos Marketing. GfK vient de lancer EMO Sensor, un outil développé avec le professeur Andréa Groeppel-Klein, spécialiste des émotions appliquées aux études shopper de l'Institut de recherche en sciences du consommateur et du comportement de l'Université allemande Saarland. «Nous avons identifié 22 émotions de consommateurs les plus pertinentes pour le marketing représentées par des photos validées à l'international»,précise Nathalie Mandavit, directrice du département Marque & Communication de GfK Custom Research France. «EMO Sensor nous permet une double analyse: une analyse compte tenu de la segmentation des émotions par pays et une analyse selon l'objectif de la marque», ajoute-t-elle. Et déjà, GfK va plus loin, menant des recherches avec l'Université de Genève et le Fraunhofer Institute for Intergrated Circuits pour créer un outil qui décodera le type d'émotion ressentie en fonction des réactions musculaires du visage. «Nous cherchons à accompagner nos clients dans V'implémentation«marketing de l'émotion et nous agissons comme des»facilitateurs«entre la marque, l'agence, la R & D et design», fait remarquer Nathalie Mandavit. L'intégration des émotions dans la gestion des marques et des marchés, ouvre donc un champ d'investigation vaste pour les instituts d'études et leurs clients. Les équipes R&D planchent déjà sur de nouveaux développements.
Georges Guelfand (qualitativiste):
«Les études qualitatives doivent s'enrichir des nouveaux courants pour rendre leurs diagnostics toujours plus fiables et plus opérationnels.»
Ca secoue dans le quali
Point de vuePar Georges Guelfand, qualitativiste, auteur de Paroles d'images: les méthodes projectiles appliquées aux études marketing.
Aujourd'hui, la crise qui frappe notre modèle économique réclame de véritables mutations dans les entreprises et dans les instituts. Les études qualitatives sauront répondre à de tels défis. Elles n'ont eu de cesse, depuis leur origine, d'intégrer les avancées des disciplines scientifiques (psychologie, théorie des systèmes, sémiotique, éthologie, analyse sensorielle, analyse statistique du langage...) et des nouvelles technologies (Internet, informatique, téléphonie mobile, vidéo, 3D...). Elles sauront d'autant plus répondre à ces défis qu'elles voient leurs fondamentaux réaffirmés par les sciences du comportement. En effet, les neurosciences nous disent que la raison n'est pas séparée du cerveau et qu'elle est soumise à des influences émotionnelles inconscientes. Elles valident ainsi le quantitatif, qui met tout en oeuvre pour déjouer les pièces du langage verbal, et être au plus près des réactions spontanées du consommateur. Elles confirment la corrélation entre univers sensible et univers intelligible. Elles réaffirment le principe d'immanence, au coeur de la méthode qualitative. Elles démontrent enfin le rôle déterminant des émotions sur les comportements d'achat et de consommation. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'émotion ne saurait se réduire à une simple réponse, même complexe, à un stimulus. Une émotion,«ça parle»; c'est aussi une expérience et une mémoire; c'est aussi un processus inconscient relié aux logiques du langage et aux choses mêmes. C'est pourquoi les études qualitatives ne feront jamais table rase des acquis des différents courants de la psychologie, des sciences sociales, de la linguistique ou de l'anthropologie. Elles ont au contraire pour mission de s'enrichir des nouveaux courants pour rendre leurs diagnostics toujours plus fiables et plus opérationnels. Sur un autre plan, les nouvelles technologies fournissent, en temps réel, des informations d'une richesse inouïe. Pourtant, cette hyper-information devient facteur de risque, et oblige à des innovations permanentes en matière de contrôle, d'analyse et d'exploitation des données. L'époque oblige à faire preuve de toujours plus de créativité, à l'image des innovations qui traversent tous le secteur. Devra naître une nouvelle espèce de qualitativiste dont l'expertise et l'expérience soient mises à disposition pour dialoguer sur les problématiques qui leur sont soumises. Face aux peurs qui traversent nos sociétés, l'enjeu sera double. D'une part, ne pas céder à un rêve de toute puissance, qui nous viendrait d'un contrôle de nos cerveaux pari RM, ou par quelque autre instrumentation. D'autre part, laisser s'exprimer les potentiels créatifs de ceux et de celles qui sont en charge de construire les marchés de demain, et de redonner au consommateur le désir de consommer.
TNS Sofres a recours au
«PAD» issu de la recherche clinique. Ce modèle analyse les états émotionnels d'un individu à la publicité sur trois axes: plaisir, excitation, domination.
GfK réfléchit à un outil qui décodera le type d'émotion ressentie en fonction des réactions musculaires du visage
François Abiven (Repères):
«Aujourd'hui, qui dit marque, dit relation émotionnelle.»
Nathalie Mandavit (Gf K Custom Research France):
«EMO Sensor a été testé à l'international et validé localement.»