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Brico Dépôt montre la voie

Des clients à la pelle, un dynamisme à toute épreuve, des frais de structure réduits... Les magasins entrepôts, c'est le rêve du commerçant. Mais c'est aussi une révolution qui remet en cause le marketing traditionnel. Exemple : Brico Dépôt et le groupe Castorama.

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HISTORIQUE


Début des années 90. Le concept Castorama, toujours plus élaboré, a besoin d'une large surface de vente pour s'exprimer. 10 000 m2 voire davantage. Le groupe s'attèle donc à la création d'un concept radicalement différent, destiné aux surfaces de vente comprises entre 3 000 et 5 000 m2. En 1993, à Reims, naît Brico Dépôt, concept discount inspiré des magasins entrepôts anglo-saxons.

CHIFFRE D'AFFAIRES 2000


Brico Dépôt : 750 - 800 millions d'euros.

GROUPE CASTORAMA


Chiffre d'affaires 2000 : 9,91 milliards d'euros TTC (65 MdF), soit une progression de 23 % par rapport au chiffre d'affaires 1999. 33,2 % du CA est réalisé en France, 53,7 % au Royaume-Uni et 13,1 % à l'international. Chiffre d'affaires des 9 premiers mois 2001 : 7,3 milliards d'euros (+ 13,7 % par rapport à la période janvier-octobre 2000).

EFFECTIFS


Brico Dépôt : 2 370. Groupe Castorama en France : environ 19 000 collaborateurs. Total groupe Castorama : près de 60 000 collaborateurs.

PARC DE MAGASINS


Brico Dépôt 1999 : 26 2000 : 34 2001 : 43* (*à fin 2001)

Groupe Castorama**


543 ponts de vente (France et à l'international) **Chiffres au 14 janvier 2002 De tout temps, de nombreuses voix se sont élevées pour affirmer que bricolage et marketing ultra sophistiqué ne faisaient pas forcément bon ménage. Puis, ces voix ont été réduites au silence. Le succès d'enseignes telles que Castorama ou Leroy-Merlin n'était-il pas la meilleure réponse, donnée par le marché lui-même, aux esprits mal placés ? Depuis quelques années pourtant, le refrain a repris de plus belle. Dans l'Hexagone, il a été relancé par le succès d'une enseigne : Brico Dépôt.

Hard brico versus brico déco


Au début des années quatre-vingt-dix, dans la logique d'un groupe comme Castorama, souhaitant apporter une réponse à l'ensemble des besoins en matière de bricolage, le lancement d'une enseigne complémentaire apparaissait comme tout à fait cohérent. Castorama s'exprime parfaitement autour de 10 000 m2 ? Va pour une enseigne couvrant les surfaces inférieures. Castorama épouse les tendances les plus modernes du marché du bricolage, avec des magasins très "rassurants", propres à attirer un public de novices, voire un public féminin ? Il était nécessaire de s'adresser plus directement aux amateurs éclairés, majoritairement les hommes, et aux artisans. Les magasins Brico Dépôt sont le plus souvent implantés à proximité de villes moyennes. Ils donnent leur plein rendement à partir d'une surface de 4 000 m2 (taille des magasins : de 3 000 à 6 000 m2). C'est donc sur les cibles des gros bricoleurs (qui représentent toujours la majorité du CA sur le marché du bricolage) et des artisans qu'ils s'adressent en priorité. Pour les séduire, les magasins Brico Dépôt doivent afficher une image "pro", en rupture avec celle de Castorama. Des magasins dépouillés, des prix discount, tels sont les deux éléments les plus caractéristiques du concept. Magasins dépouillés ? C'est bien sûr le parti pris de base. D'ailleurs, on ne parle pas de magasin, mais d'entrepôt. Pour les clients d'un Casto qui a changé d'enseigne, le choc peut être brutal... Finis les mises en scène coûteuses, les rayonnages et PLV sophistiqués. Place aux palettes, aux racks et aux produits en vrac. Les rayonnages montent très haut et dans les allées, parfois étroites, on se sent un peu écrasé. Au sol, pas de carrelage, comme dans tout entrepôt qui se respecte. Aucune équivoque, ce n'est pas le confort qui est recherché... Côté assortiment, par rapport aux concepts classiques, tout ce qui touche au bricolage lourd a pris de l'ampleur alors que la partie décoration a été réduite. Le sentiment est paradoxal, avec d'un côté, une réduction importante du nombre de références (puisqu'en général, on ne trouve qu'une marque pour une référence donnée), et de l'autre, une impression de profusion due au fait que l'article en question est proposé en très grande quantité. De fait, avec Brico Dépôt, le groupe Castorama a cherché à réduire les stocks. L'impression de désordre, dans le style "excusez-nous, mais impossible de faire autrement, les arrivages sont permanents...", est omniprésente. On aime ou on n'aime pas, mais tout cela est très au point, et diablement efficace. Les prix bas jouent, bien sûr, un rôle déterminant dans ce succès. « L'attractivité des prix se veut permanente », martèle le groupe qui associe le nom de l'enseigne, sur tous les catalogues et les éléments de PLV, à l'accroche "des prix bas tous les jours". Dépouillement extrême, offres de type "remboursement de la différence" et autres arrivages permanents ont pour objectif prioritaire de créer un positionnement discount. Mais, prix bas ou tour de passe-passe marketing ? Le débat reste ouvert sur fond de catalogue. Mais Brico Dépôt fait effectivement la différence sur des produits d'appel fortement promotionnés. On a souvent comparé les magasins entrepôts aux "hard discounters" du bricolage. La comparaison est un peu simpliste. Surtout dans le cas de Brico Dépôt qui, s'il limite le service au strict minimum, n'en développe pas moins une politique de conseils de qualité, les clients ayant en général les réponses aux questions qu'ils posent.

Equilibre rompu


Ainsi, quel que soit l'angle sous lequel on se place, les concepts Brico Dépôt et Castorama apparaissent comme parfaitement complémentaires. Ce qui n'était pas forcément prévu, c'est un différentiel de performances aussi important entre les deux enseignes. Progression soutenue pour Brico Dépôt, activité mitigée pour Castorama... trimestre après trimestre, le constat reste le même : c'est à Brico Dépôt que le groupe doit son dynamisme sur le marché français. Côté parc de magasins, on note 8 ouvertures de Brico Dépôt en 2000, 9 en 2001. Chez Casto, il y avait 115 magasins français le 1er février 2000, il y en a 106 deux ans plus tard. Pour la rentabilité, la balance penche du même côté. Avec des effectifs moindres, les coûts opérationnels sont mieux maîtrisés chez Brico Dépôt que chez Castorama dont le concept "3e génération", lancé en 1998, est, de l'aveu même des dirigeants, très coûteux au plan humain. Si bien qu'aujourd'hui, l'atout majeur de la stratégie de développement du groupe Castorama en France ne s'appelle plus Castorama mais bel et bien Brico Dépôt. Cette nouvelle donne fait débat. Brico Dépôt cannibalise-t-il Castorama ? Peu importe tant qu'il s'agit d'une "auto-cannibalisation", tant que l'argent sort de la poche droite pour entrer dans la poche gauche, avec au passage un bénéfice, et tant que le groupe dans son ensemble "performe" plus que le marché. Après tout, pourquoi pas ? En 2000, Castorama a réalisé, en France, une progression de 6,1 %, correspondant à + 4,6 % à surface constante, supérieure à celle du marché du bricolage qui a, lui, progressé de 2,8 %. Et puis il y a ceux qui estiment que Castorama ne remplit plus son rôle de leader. Rôle qui serait non pas de tirer le marché vers le bas avec un concept misérabiliste et des prix cassés, mais au contraire, de valoriser le marché à la fois en termes d'image, de chiffre d'affaires et de rentabilité pour les acteurs. Les tenants de ce discours, dont certains concurrents de Castorama, estiment que si le groupe peut tirer bénéfice du dynamisme d'une enseigne à court terme, il se saborde sur le long terme, en même temps qu'il saborde son enseigne phare. L'aspect "marketing philosophique" sur le rôle du leader est secondaire. En revanche, dans tout groupe de distribution, la panne d'une enseigne leader est rarement sans conséquences. Et, panne il y a. Panne de concept, avec celui "3e génération" qui n'a jamais vraiment pris son essor, et avec la création d'une nouvelle enseigne, Casto l'Entrepôt, sorte de magasin entrepôt de 10 000 m2 qui pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions. Panne organisationnelle, avec une nouvelle façon de structurer les achats et un centralisme parfois mal perçu. Panne de moral, avec des cadres qui ont perdu leurs repères. Panne de parts de marché, enfin. Sur les dernières années, les performances de Castorama sont inférieures à celles de Leroy-Merlin ou de Bricomarché. Des événements aussi importants que l'intégration fin 1998 de B & Q dans le groupe Castorama et que l'entrée de Kingfisher au capital pouvaient-ils se faire de façon indolore ? Il semble que non... Après avoir repris en main l'organisation courant 2001, Castorama fonde désormais ses espoirs dans le concept de "4e génération". Bientôt dévoilé, celui-ci devrait être un mix des différentes enseignes du groupe, qu'elles soient traditionnelles ou de type entrepôt.

Le bricolage change de visage


Si Brico Dépôt a trouvé la formule gagnante, Castorama la cherche toujours... Mais les remous propres au groupe ne sont pas les seuls responsables. Comment, en effet, ne pas évoquer l'irrésistible montée en puissance des magasins entrepôts au détriment des concepts traditionnels sur le plan international ? La France suit donc un mouvement global qui profite à Brico Dépôt tout aussi certainement qu'il pénalise Castorama dans sa formule actuelle. Les autres distributeurs français ont compris le message. Bricorama (avec l'enseigne Batkor) et Leroy- Merlin (enseigne Bricoman) s'intéressent également aux magasins entrepôts. Les grandes surfaces classiques de bricolage à la Française ont décidément du plomb dans l'aile.

Jean-François Cristofari

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