« Le succès du numérique a surpris tout le monde »
Même s'il y est venu plus tardivement que ses concurrents, le numéro deux du marché de la photo en France profite de l'envolée du secteur de la photo numérique. Un marché qui supplante désormais la photo traditionnelle, dite "argentique", et qui doit pousser la distribution à reconsidérer ses méthodes. C'est du moins l'avis d'Alain Locqueneux, directeur général de la division photo de Minolta France.
Le numérique supplante désormais l'argentique...
Oui, en chiffre d'affaires, le numérique est passé devant la photo
traditionnelle. Il se vend 600 000 appareils numériques contre près de 2
millions d'appareils compacts et 200 000 Réflex. Mais la valeur moyenne du
numérique étant autour de 760 euros, le numérique représente désormais 55 % du
marché en valeur.
Ce n'est pas encore un produit grand public ?
Cela demande un certain pouvoir d'achat. Mais il est certain que
les appareils photos numériques ne vont pas rester à 1 500 euros. Ils sont de
plus en plus performants et tous les jours moins chers. On parle même
d'appareils numériques jetables.
Des produits plus accessibles et vraiment fiables ?
Il existait un problème de capacité de mémoire
et de résolution. Les appareils ne disposaient pas de capteurs assez sensibles
ou assez puissants pour obtenir une bonne résolution. Ce n'est plus le cas
aujourd'hui. Nous avons été les premiers à sortir un appareil à 5,24 millions
de pixels. Ce n'est pas le maximum, mais on obtient des photos qui sont plus
qu'acceptables.
Le grand public aurait encore une attitude complexe vis-à-vis du numérique...
Le problème, c'est que la grande
distribution n'y a pas cru. Chez Carrefour, pour ne prendre que cet exemple, le
numérique est quasi inexistant. Non pas parce qu'ils ne sont pas spécialistes -
ils sont capables de vendre de la photo argentique aussi bien que des circuits
spécialisés -, mais du fait d'un problème d'organisation et de logistique. Les
appareils numériques sont en effet vendus par le responsable des produits
informatiques. Lui, la photo ça ne l'intéresse pas. Le jour où Carrefour, comme
c'est prévu en 2002, va donner la responsabilité des appareils numériques aux
gens de la photo, le marché va se développer aussi dans la grande distribution.
Auchan a déjà opéré ce passage.
Est-ce qu'il subsiste une peur du technologique ?
Le consommateur n'en a pas peur, mais il le
rejette. Il accepte que cela soit compliqué à l'intérieur, mais il faut que
cela fonctionne facilement et que l'utilisation soit compréhensible
immédiatement. C'est un comportement qui ne se limite pas à l'univers de la
photo. Mais il est vrai que l'appareil numérique donne l'impression d'être plus
compliqué au départ. Or, un appareil comme notre Dimage 7 a été conçu, dans sa
forme, comme un appareil photo classique. C'est, d'un point de vue ergonomique,
l'équivalent d'un 24 x 36. L'amateur averti habitué à un Réflex n'est pas
désorienté, les touches sont aux mêmes endroits, le zoom est manuel. Mais on a
vu beaucoup d'appareils avec des formes très particulières. Pour la personne la
moins avertie possédant un Instamatic, passer au numérique, c'est véritablement
un bouleversement technologique. Or, aujourd'hui, les consommateurs veulent
absolument la simplicité, des appareils très avancés, très performants, oui,
mais pas compliqués.
L'un de vos prochains appareils, gros comme un paquet de Gitanes, va être le porte-parole de cette volonté de simplification ?
Oui, car l'idéal, c'est bien l'appareil qui tient
dans votre poche. Le Dimage X, que nous lançons en janvier et qui sera
disponible en France début mars, représente une révolution technologique. Il
n'y a jamais eu d'équivalent. Même si, en argentique, la miniaturisation existe
avec des appareils comme le Minox, un si petit appareil muni d'un zoom
intérieur qui ne sort pas, c'est une première.
On a des appareils très compacts, mais plus un zoom est puissant, plus il est
long. Il y a une vingtaine d'années, les gens appréciaient ce côté phallique et
se baladaient avec un grand zoom, c'était d'une virilité ! Aujourd'hui, que ce
soit au quotidien ou en randonnée, ils en ont assez de trimballer un
fourre-tout avec 10 kg de matériel.
Vers quoi s'oriente désormais la recherche ?
La question est : est-ce que l'on va faire demain
un appareil qui sera l'agenda électronique, la calculatrice, l'appareil photo,
etc. ? On a déjà la carte mémoire SD, inventée par Panasonic, qui va sûrement
s'imposer du fait de son très petit format. Dans cet esprit, on va essayer de
trouver un système qui fera que tous ces appareils puissent fonctionner
ensemble sans fil et uniquement par infrarouge, comme cela est déjà possible
sur un Palm Pilot. Mais je ne crois pas à l'appareil universel qui fera tout.
L'autre domaine de recherche auquel je crois, c'est de trouver des systèmes de
plus en plus simples. Quand vous changez de voiture, vous pouvez l'essayer tout
de suite. Pour un appareil photo, un nouveau téléphone, un magnétoscope, vous
êtes obligés de lire un mode d'emploi rébarbatif. On a des progrès à faire pour
que, lorsque quelqu'un prend un appareil, dans la minute, il ait compris son
fonctionnement. C'est le plus grand service que l'on pourrait rendre demain au
consommateur. Je crois que l'époque où les ingénieurs se faisaient plaisir sans
penser à l'utilisateur est bel et bien finie.
Comment expliquez-vous l'échec de l'APS ?
En juin 1996, je participais à
une table-ronde pour Le Figaro avec les quatre autres marques qui ont inventé
l'APS avec nous (Canon, Kodak, Fuji et Nikon). A cette époque, j'avais dit « le
24 x 36 est condamné et l'APS va devenir le format de demain ». Et puis l'APS
est mort... Chez Minolta, on y a beaucoup cru, on a développé énormément de
produits et beaucoup investi, peut-être même trop. Le système a quelques
avantages, mais le problème, c'est qu'il fallait aussi que les gens qui
traitent l'image respectent le contrat. Or, Kodak et Fuji, qui sont en charge
du développement de ces films, n'ont pas joué le jeu. Il y a eu une sorte de
rivalité interne où les gens du marketing qui ont conçu l'APS et les appareils
n'ont pas écouté ou entendu les inquiétudes des gens des laboratoires.
Aujourd'hui, Canon, Nikon et Minolta ont arrêté l'APS et nous payons tous ce
genre d'erreurs stratégiques.
Pourquoi avoir tardé à vous lancer dans le numérique ?
Le numérique a surpris tout le monde. La
plupart des fabricants savaient qu'il allait arriver et que, qualitativement,
pour obtenir un bon résultat, il fallait vraiment mettre beaucoup d'argent.
Donc, nous nous sommes dit "cela va se développer, mais gentiment". Or, cela a
été beaucoup plus rapide que prévu. Minolta n'était pas pressé ; on préférait
que les autres essuient les plâtres. Nous pensions faire nous-mêmes quand le
moment serait venu, en sachant quand même que beaucoup d'accessoires et de
parties de pièces détachées sont absolument impossibles à fabriquer chez nous.
On est obligé aujourd'hui d'acheter chez d'autres fabricants car seuls certains
savent faire. Nous avons donc refusé de collaborer avec certains fabricants qui
sont allés voir Nikon, Olympus, etc. Nous avons ainsi perdu deux ans. En 1999,
il s'est vendu 180 000 appareils numériques. En 2000, 332 000. En 1999, nous
avons vendu 800 petits appareils qui n'étaient pas fabriqués par nous. En 2000,
on avait commencé à en fabriquer un peu, on en a vendu 7 000, soit 2 % de part
de marché. Sous-entendu, vous n'existez pas. Et, à fin octobre 2001, il s'en
est vendu 450 000, dont 22 000 chez Minolta, qui a lancé sa gamme en juillet.
Aujourd'hui, nous pesons 5 % en quantité. Canon, Nikon, Sony et Olympus se
disputent quotidiennement le leadership, mais aucun d'eux ne représente 50 % du
marché. Nous sommes donc quand même un acteur.
Ce retard vous a-t-il nuit ?
Pas en argentique car le chiffre d'affaires était
stabilisé. Mais, en ce qui concerne cet apport de chiffre supplémentaire en
numérique, nous avons regardé le train passer, quand Canon, Olympus, Nikon se
sont fait quelques dizaines, voire quelques centaines de millions de chiffre
d'affaires supplémentaires et pas de substitution. Maintenant on commence à
avoir de la substitution, ce qui fait que l'expansion du numérique est
accompagnée d'une diminution de l'argentique. Pour nous, cela a donc été un
manque à gagner, pas une perte.
Le numérique est-il rentable ?
Pour qu'un appareil soit rentable, il faut le fabriquer en
plusieurs centaines de milliers d'exemplaires au niveau mondial. Si l'on en
fait 100 ou 200 000, on perd de l'argent et l'on n'amortit pas les chaînes de
production, les moules, la recherche, etc. C'est ce qui se passe aujourd'hui
dans le numérique. Beaucoup d'appareils sortent et, au bout de 6 mois, ils sont
obsolètes ; alors on les brade et tout le monde perd de l'argent.
C'est la course aux pixels ?
Oui, et pour compliquer la
chose, il y a des façons de compter qui ne sont pas les mêmes. Un fabricant,
Fuji je crois, ayant inventé un pixel qui n'a pas la même valeur que les
autres... Aujourd'hui, on arrive à des produits qui sont de plus en plus
performants et de moins en moins chers, ils s'amortissent mieux, même si un
appareil a une durée de vie très courte du fait des évolutions technologiques.
Cela va s'arrêter à un moment donné sinon, comme avec les lessives qui lavent
toujours plus blanc, c'est sans fin. Il n'y a pas de limite, mais la course à
la technologie pour la technologie, ça ne sert plus à rien. On peut faire plus,
mais cela va devenir cher et difficile à miniaturiser. En plus, parmi les
milliards de photos qui sont prises chaque jour, rares sont celles que l'on va
agrandir en très grand format. De ce point de vue, 5 millions de pixels, c'est
presque déjà trop...
Peut-on prévoir, à terme, une disparition de l'argentique ?
Non, car je ne pense pas que l'on parvienne à la
même qualité que l'argentique en faisant des appareils numériques bon marché.
Un capteur coûte cher à fabriquer. Aujourd'hui, un appareil jetable qui vaut 15
euros vous permet de faire des photos acceptables. Vous n'arriverez pas à faire
un appareil numérique à 15 euros, en tout cas, j'ai du mal à le croire. Un
appareil photo, c'est une plaque sensible et une boîte en carton dans laquelle
vous faites un trou. Vous pouvez faire une photo, sans objectif, sans rien,
c'est comme ça qu'est née la photo il y a 150 ans et c'est peu ou prou le
principe du jetable. En numérique, vous ne pourrez jamais faire ça, il faut
capter l'image. On ne pourra donc jamais arriver à un résultat identique pour
un même prix de revient.
Mais, à terme, le marché du développement photo devrait quand même baisser ?
Le problème de la distribution
d'aujourd'hui, mais surtout de demain, c'est : quid des photos qui sont
enregistrées ? Aujourd'hui, je fais des photos en numérique, je les efface au
fur et à mesure si elles ne me plaisent pas, donc je ne gaspille pas. Stocker
sur un CD-Rom ne coûte rien. Je ne fais pas développer, je les stocke, je ne
les imprime pas, je les envoie éventuellement sur Internet... Or, aujourd'hui,
la distribution gagne beaucoup d'argent en faisant développer des photos. Tous
les magasins de photos vivent non pas de la vente des appareils, mais du
traitement des pellicules.
La distribution n'est pas très en avance sur tout ce qui a trait au développement numérique...
Aujourd'hui, le marché n'est pas prêt et la distribution pas assez organisée.
Mais on commence à voir des mini labos, type kiosques en self-service, dans
lesquels vous mettez votre petite carte mémoire, pour obtenir autant de tirages
que nécessaire dans le ou les formats qui vous conviennent. La difficulté, pour
l'instant, est d'arriver à une consommation suffisante. Le numérique marche
très bien, mais même si on vend 600 000 appareils dans l'année, il y a 30
millions d'appareils argentiques dans les foyers. L'APS est né il y a environ 5
ans, mais ne représente que 10 ou 20 % du nombre de films utilisés parce qu'il
y a une telle masse d'appareils que les magasins et les laboratoires attendent
avant d'investir. La prochaine bataille, c'est qui va s'imposer sur ce marché
des kiosques de développement pour le numérique ? Mais c'est essentiel car, si
on fait a priori plus de photos avec un appareil numérique puisque l'on peut ne
garder que les bonnes, il y a une vraie réflexion à mener sur la façon dont on
gère ces images. Or, on constate que beaucoup de gens se contentent de stocker
leurs photos sur des CD-Rom ou sur leur PC.
Comment définiriez-vous le territoire de communication de Minolta ?
Le
marketing et la communication sont les points faibles de Minolta au niveau
mondial. Minolta est une boîte d'ingénieurs un peu fous furieux qui ont
beaucoup investi dans la recherche & développement. Nous avons inventé des
choses que nous n'avons pas toujours su vendre. Deux ans plus tard, nos
concurrents s'alignaient sur nous sur le plan technologique. On l'a vu dans de
nombreux domaines. Résultat, aujourd'hui, rares sont les professionnels de la
photo qui utilisent un Minolta, alors que nous avons découvert avant Canon et
Nikon des techniques sur les Réflex avec, par exemple, la mesure à pleine
ouverture, l'autofocus - dès 1985 - qui avait laissé à la rue, dans un premier
temps, des concurrents comme Canon. En 1988, nous étions numéro 1 en France,
Canon était 5e. Il nous devance désormais en valeur de 5 %.
Quel est aujourd'hui votre axe de communication ?
La baseline de
Minolta est "Essential of imaging". Dans les années 80, Publicis avait trouvé
le slogan "On n'a jamais fait des photos comme ça". Aujourd'hui, nous
communiquons sur "Les nouveaux photographes". Nous avions un peu arrêté de
communiquer ces derniers temps. Nous reprenons cette année, en nous appuyant
pour la première fois sur les RP.
Biographie
Alain Locqueneux a 57 ans. Il a fait l'essentiel de son parcours professionnel dans la photo. Entré en 1965 comme junior chez Bauchet-Ferrania, qui deviendra 3M France en 1971, il devient directeur commercial de la société Daniel Paillot SA (représentant de Canon, Akai, Photo-hall, Bronica en France). En 1983, il est directeur commercial d'Akai France, avant d'arriver chez Minolta France en 1985 au même poste. Il est depuis directeur général de la division photo.
L'entreprise
Minolta France est le numéro 2 de la photo en France, derrière Canon. Elle compte 30 % de part de marché sur les Réflex, 12 % sur les appareils compacts et 6 % sur le numérique, branche lancée en juillet dernier. Elle réalisera en 2001, 61 M€ de chiffre d'affaires. Dont 45 % grâce au numérique et 55 % sur l'argentique (photo traditionnelle). L'effectif de cette division est de 100 personnes.