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«Le prix n'est pas une préoccupation suffisante du marketing»

Publié par La rédaction le

A la tête de TNS Sofres, Denis Delmas est un observateur privilégié de la société de consommation. C'est aussi un expert du marketing. Nous l'avons rencontré pour saisir les raisons du divorce qui s'annonce entre le marketing et les consommateurs.

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MM : A en croire les chiffres publiés ces derniers mois, le pouvoir d'achat des Français serait en chute…


Denis Delmas : Il faut faire attention à la lecture des chiffres. Globalement, le pouvoir d'achat des Français a explosé ces dernières années. Que sa distribution ne soit pas homogène, c'est un fait. Que la part des dépenses subies - santé, logement, éducation... - progresse est une réalité. En revanche, le prix moyen d'une automobile a baissé, tout comme celui des dépenses alimentaires. Quantitativement et qualitativement, les répartitions ont changé. La réalité de l'économie et sa perception sont deux choses différentes. Si les Français pensent que leur pouvoir d'achat a baissé, c'est qu'ils ont en tête des choses qui les travaillent.

MM : Comme un malaise face à la consommation ?


DD : Il existe effectivement un divorce entre les offreurs et la demande. Un divorce qui se situe dans le fait que les offreurs ont une pratique de l'innovation qui tire l'ensemble des produits vers le haut. L'innovation se confond avec les produits plus. Plus performants et donc plus chers. On présuppose que le consommateur attend toujours plus, alors que globalement celui-ci estime que la qualité qu'on lui propose lui suffit.

MM : Mais l'innovation, c'est créer de la valeur…


DD : Certes, il faut créer de la valeur pour les actionnaires et les consommateurs. Mais, lorsque l'on se place vers le haut, il faut aussi se poser la question de savoir s'il y a de la place vers le haut. Le haut de gamme c'est de la niche. Or, la vocation du marketing n'est pas de faire de la niche. D'autant que la logique de niche n'est pas viable financièrement. Revenir sur du volume lorsque l'on a opté pour cette voie, c'est très difficile.

MM : Comment faire pour innover sans se perdre ?


DD : Il faut être très attentif à la variable prix. C'est la variable la plus importante, mais c'est aussi la plus mal étudiée, la plus mal appréhendée. Le rapport du temps passé sur cette variable, par comparaison au temps passé sur un plan de communication, est de 1 à 10. Le prix est la variable qui rassure. Et le consommateur a besoin d'être rassuré. L'hypersegmentation, dans laquelle se sont lancées toutes les entreprises, a rendu terriblement complexe la lecture du marché. Face à l'offre, le consommateur est stressé, il se réfugie dans la variable refuge qu'est le prix. N'oublions pas que les deux variables réductrices du temps sont la marque et le prix.

MM : Faut-il en déduire que le mar-keteur doit revisiter ses pratiques?


DD : Il faut en déduire que les entreprises doivent réinventer leur service marketing. Tous les marketeurs sont clônés, ils ont la même formation, ils suivent les mêmes processus d'innovation qui produisent bien sûr la même logique : l'innovation vers le haut. Il faudrait que les entreprises aient le courage d'aller chercher des gens venus d'ailleurs. Qu'il y ait au sein de chaque service, une sorte de fou du roi. Or, ce fou, elles ne l'ont pas trouvé en interne ni en externe.

MM : Mais le consommateur, lui-même, ne rend-il pas les choses plus difficiles ?


DD: Bien sûr, puisqu'il est de plus en plus dans la transversalité, notion absente chez les offreurs. L'entreprise ne voit que son concurrent direct, elle ne voit pas le concurrent dans le pouvoir d'achat ou dans les pratiques et, notamment, dans les nouveaux rapports au temps. C'est pourtant ce rapport au temps qui va structurer la consommation et le rapport au prix. Acheter vite pour se libérer du temps disponible devient une exigence du consommateur. Les comparateurs de prix sur Internet lui facilitent le travail. Dans un monde de plus en plus complexe, il veut aussi acheter simple. Le hard discount lui offre non seulement des prix bas, mais aussi de la simplicité. Il va à l'essentiel, il y a presque une dimension d'ascétisme dans ce choix. Et puis il y a cette médiatisation de l'achat malin. Le monde médiatique dans lequel il vit l'incite à dépenser le moins possible, à choisir le modèle gratuit.

MM : Le gratuit est effectivement tentant, mais le modèle peut s'avérer dangereux…


DD: Le danger, c'est la perte de perception de la valeur des choses. Une génération arrive qui est née avec le gratuit. La presse, la musique… Pour elle, le gratuit est la norme. Elle va mettre une réelle pression sur les offreurs avec des effets sur l'ensemble des marchés. Or aujourd'hui, personne ne prend la parole sur les conséquences du modèle gratuit sur la société. Il faut une prise de conscience qui n'est pas à niveau.

 
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