Comment interagir de manière plus authentique sur les réseaux sociaux ?
Le taux d'engagement est-il un KPI "has been" ? Non bien sûr, mais il n'a plus la même signification selon les canaux utilisés, à l'heure où de nouveaux réseaux veulent privilégier les interactions plus authentiques.
Je m'abonneLes réseaux sociaux ne sont-ils plus bons qu'à faire du reach payant, au détriment du taux d'engagement ? Selon Digimind, celui des posts organiques sur Instagram est passé de 4,5 % à 1,9 % entre 2016 et 2019, puis à 0,83 % en 2021. En fonction des réseaux et des outils d'analyse, les taux d'engagement moyens observés sur les principales plateformes social media oscillent désormais toujours entre 1 et 2 %. Les posts vidéo obtiennent généralement des résultats deux fois supérieurs, ceux de TikTok allant jusqu'à 15 %, ce qui pousse Instagram à favoriser de plus en plus les "Reels", ses formats vidéo, au détriment des créateurs de contenus historiques de la plateforme.
"Liker, est-ce forcément aimer ?"
Ainsi, si le taux d'engagement est loin d'être un KPI "has been", son utilisation remet en question la façon d'engager au sein d'un univers social media atomisé. "Au début des réseaux sociaux, il y avait beaucoup d'engagement, puis il y a eu un effet de saturation... Aujourd'hui, Facebook est par exemple une plateforme dédiée à la conversion plus qu'à la conversation", avance Pierre-Maël Galopin, Social Production Executive au sein de l'agence Jellyfish. À l'inverse, Vincent Weber, Head of Operations chez l'agence Helmut, indique suivre autant cet indicateur qu'auparavant : "C'est un KPI plus important que le nombre de followers par exemple, bien qu'il existe une diversité d'actions associées au taux d'engagement qui ne sont pas équivalentes, notamment d'un réseau à l'autre." De quoi remettre en question un indicateur trop généraliste pour représenter la diversité des plateformes et des usages ? "L'engagement est un indicateur que nous essayons de mesurer au quotidien, même si sa nature diffère énormément sur les nouveaux canaux. Liker, est-ce forcément aimer ? La "sémantique" des actions possibles sur les réseaux sociaux est souvent dévoyée, et il est difficile d'en tirer des conclusions. Aussi, liker un post sur Insta est différent de regarder un live pendant des heures...", indique Mathieu Galloux, directeur associé d'Addiction Agency, évoquant ainsi l'arrivée de Twitch, qui a bousculé non seulement l'évaluation classique de l'engagement, mais amène aussi, au même titre qu'un Discord, un surplus d'authenticité, les deux plateformes (la première dédie au live vidéo, et la seconde aux échanges audios) se voulant conversationnel via leurs chats.
"Les réseaux se copient entre eux et se ressemblent de plus en plus. Les algorithmes dénaturent la relation, ce qui pousse les utilisateurs à aller vers des réseaux plus simples, comme Twitch, Discord ou BeReal pour retrouver des interactions plus naturelles. En parallèle, les marques peuvent toujours compter sur la "sainte trinité", soit Facebook, Instagram et Twitter, pour faire du reach", confirme Anthony Delorme, Head of Business de Wunderman Thompson.
Réinventer le community management
Ces évolutions remettent en cause la façon dont les marques interagissent avec les utilisateurs de ces plateformes, après s'être habituées à payer pour apparaître dans les "feed", puis à "sous-traiter" la création de contenus et le fait d'engager des communautés auprès d'influenceurs plus à même de maîtriser les nouveaux usages sur ces plateformes. "Sur les réseaux classiques, les community managers sont devenus des social media managers, en charge de la création de contenus et du reporting, plus que de l'animation d'une communauté. Or, c'est ce qui est à nouveau au coeur de l'expérience de ces plateformes", explique Mathieu Lacrouts, CEO de l'agence Hurrah, spécialiste de l'eSport et du gaming, qui met en avant les nouveaux fondamentaux de Twitch ou Discord : savoir réagir en live et utiliser les nombreuses possibilités offertes par les bots notamment. "Ils peuvent mesurer l'engagement des utilisateurs et leur attribuer des rôles distinctifs auprès de la communauté, ou leur donner accès à des canaux de discussion spécifiques sur Discord par exemple", indique Jean-Nicolas Hinard, co-fondateur de WAGMI Studio, spécialiste de la création de projets NFTs pour les marques.
Autre exemple avec Bilal El Alamy, entrepreneur Web3 à l'origine du jeu Dogami, qui ouvre les tests de ce dernier aux 100 personnes les plus actives sur le Discord du projet : "Un bot a été programmé pour analyser l'activité des membres, et récompenser chaque action par un nombre de points prédéterminés, tant sur Discord que sur d'autres réseaux sociaux comme Twitter notamment. Ensuite, on tire au sort parmi les plus actifs. Les bots sont très intéressants pour mesurer l'engagement global des utilisateurs, mais l'avantage de Discord, c'est la facilité avec laquelle on peut programmer les outils et créer de nouvelles expériences. J'ai par exemple organisé un tournoi de poker sur la plateforme... Si vous avez de bons développeurs, tout est possible !"
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Mais les bots ne font pas tout : "Ils offrent aux community managers de nouvelles façons d'animer leurs communautés, et permettent surtout de se focaliser sur l'échange humain, car la forme ne remplacera jamais le fond", avance Anthony Delorme. "À la différence d'Instagram qui est très top-down, Discord est horizontal. L'intérêt des réseaux sociaux à la base, c'est de permettre aux utilisateurs d'interagir entre eux ! Les marques mettent souvent du temps à comprendre le fonctionnement de cette plateforme, et à visualiser l'investissement en temps et en argent. Souvent, on permet donc aux utilisateurs les plus engagés de devenir modérateurs, un peu comme sur les premiers forums !", explique Jean-Nicolas Hinard. Au-delà de faire émerger des ambassadeurs, la plateforme permet également aux marques d'obtenir de nombreux insights, comme le note Mathieu Gilloux, qui met en exergue d'autres stratégies d'engagement : "Sur Discord, les marques lancent des boîtes à idées qui poussent les utilisateurs à échanger. Ce sont des mini-laboratoires d'expériences et de co-création."
Une autre facette de la creator economy
Un laboratoire qui ne s'adresse néanmoins qu'à une frange restreinte d'early adopters : "Discord est un excellent outil conversationnel, mais il est encore très geek, et s'il est utilisé dans le Web3, c'est en partie par ceux qui veulent spéculer et qui s'engagent de manière intéressée et ponctuelle, plus que sur la durée", indique ainsi Vincent Weber, rejoint par Pierre-Maël Galopin pour qui Discord ou Twitch s'adressent aux marques dotées d'un fort "ADN Web". De plus, il remarque que "sans l'aide d'influenceurs, la croissance de la portée de la marque sur ces réseaux est plus lente, bien qu'elle permette la mise en place d'un noyau communautaire plus solide."
Ainsi, sur les réseaux classiques ou les nouvelles plateformes, le poids de l'influence reste prépondérant, notamment sur Twitch où la grande majorité des opérations sont co-créées avec des streamers. Or, "l'engagement autour d'un stream sur Twitch est tout relatif comparé à l'engagement obtenu sur une story Insta ou Snap du même streamer. Par ailleurs, il n'y a pas que l'influence. Les filtres AR sont de nouveaux formats média qui remplacent la bannière mais favorise aussi l'interaction", juge Vincent Weber.
"Beaucoup de marques pensent qu'une collaboration avec un influenceur leur permet de s'approprier sa communauté, et l'engagement qui va avec, alors que ce n'est qu'un moyen pour le community manager de commencer à échanger avec celle-ci", note néanmoins Mathieu Lacrouts. Pour Anthony Delorme, "il faut avoir en tête la valeur d'usage du contenu", en s'adaptant certes aux formats de la plateforme - Twitch et ses contenus longs pouvant apparaître comme l'inverse de TikTok et ses formats snackables en matière de vidéo - mais surtout à ce qu'attendent les consommateurs : "Un tutoriel règle un problème, un sketch fait rire, un reportage informe... Cela semble logique, mais il faut se demander pourquoi l'utilisateur va sur telle ou telle plateforme à l'instant T. Sur les réseaux, il suit des "influenceurs" avant tout car ces personnes partagent ses centres d'intérêt... C'est la base de leur influence."
Dans ce contexte, une plateforme comme Etsy, ou encore un service comme Substack peuvent être considérés comme des réseaux sociaux, sur lesquels les utilisateurs vont alors adopter une forme ultime d'engagement : l'achat d'un produit ou l'abonnement à un contenu ! "C'est le fondement de la creator economy, qu'on peut aussi appeler passion economy, et qui remplace peu à peu l'économie de l'attention. Pour fédérer une audience, créer la conversation et engager, les marques doivent s'en inspirer, et être plus que jamais intéressantes plutôt qu'intéressées."
Subway mise encore sur la créativité
Pour fêter ses 20 ans en France et s'adresser à sa cible du même âge, Subway a multiplié les opérations engageantes en 2022 : lancement d'une gamme de vêtement avec la marque Tealer ou de son compte TikTok avec Junior JMSS, le breakdanceur star de la plateforme, ou encore le sponsoring d'une vidéo de rap parodique du YouTubeur Théodort... Sans oublier la mise en place du pop-up store CookieWay à Paris début septembre. De quoi créer l'événement sur les réseaux, d'autant plus que les créateurs partenaires de l'enseigne étaient présents à l'inauguration. "Quand on lance une innovation, nous faisons du paid social pour toucher de larges audiences, et nous engageons en développant des concepts avec les influenceurs, de préférence ceux qui aiment la marque et qui ont une relation particulière avec elle, en y ayant travaillé par exemple, et de mettre ainsi en valeur notre ADN, qui reste encore est toujours celui de la créativité !", explique Sandra Chassan, DG de Subway France, Belgique et Luxembourg.
Twitch et Discord profitent de la pandémie
Si le réseau français BeReal doit encore prouver qu'il peut s'imposer sur la durée, les chiffres de Twitch montrent que son usage s'est envolé pendant le crise sanitaire, à plus de 15 millions de visiteurs uniques par jour, dont un million de Français. En 2022, la plateforme attire 2 millions d'utilisateurs simultanés en moyenne, dont 130 000 francophones. Ces utilisateurs consomment en moyenne du contenu pendant deux heures tous les jours, soit le double de TikTok ! Et si les chiffres sont plus rares et les taux d'engagement difficiles à calculer sur Discord, la plateforme a elle aussi bénéficié de la crise, avec un nombre d'utilisateurs actifs chaque mois passant de 70 à 140 millions entre 2019 et 2020, avant de se stabiliser autour de 150 millions depuis.