Études : l'heure de la résilience
Le secteur des études reprend des couleurs. Malgré une croissance inexistante, les instituts poursuivent leur transformation à marche forcée, face à des annonceurs désireux de solutions clés en main.
Je m'abonne"Stable", "à l'équilibre", "en légère progression", "année encourageante" ou "de transition"... Autant de manières de décrire la résilience des études face à une crise installée. Après deux années de baisse continue, le chiffre d'affaires du secteur aurait progressé de 1,4%, selon l'enquête Flash du Syntec Études Marketing et Opinion (fondée sur le CA réel ou estimé des adhérents). ""Si vous étiez à ma place, que feriez-vous ?", nous demandent désormais sans complexe nos clients, explique Laurent Zeller, p-dg de Nielsen France. Ils veulent de l'opérationnel, des synthèses plus courtes et plus intelligentes, tournées vers le "pour-action" ou le "size the prize", comme disent les Américains."
Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale d'Ipsos France, évoque "un changement de paradigme du métier, qui passe de la posture du sachant à celle de l'accompagnement clients". Laurent Guillaume, CEO de TNS Sofres, parle du virage vital "de l'insight à l'impact". Ce seront "des recommandations actionnables", pour Bruno Botton, directeur général de GfK en France. Marc-Antoine Jacoud, directeur général Europe du Sud de Research Now, le leader mondial des access panelistes, pointe une "accélération des approches tactiques". Il faudra faire preuve d'"agilité pour répondre à l'accélération de la prise de décision des annonceurs", pour Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. En clair, une approche très anglo-saxonne, où chaque euro dépensé pour comprendre un marché doit être immédiatement rentable !
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Tendances métiers
Ouverture et intégration. Deux mots qui résument la posture que les instituts d'études tentent d'adopter. Empiler les outils d'études n'a plus de sens, aujourd'hui. Les annonceurs veulent simplifier leurs indicateurs de performances avec une dizaine de KPI tout au plus. L'approche est aussi résolument centrée client. "Nous tentons de nous glisser dans les chaussures des annonceurs", résume Laurent Zeller (Nielsen). Aujourd'hui, la zone de stress pour les professionnels des études concerne, selon une étude TNS Sofres / UDA, l'analyse des informations non structurées qui viennent du Web, la data, la mesure du ROI des actions marketing et communication, l'articulation des données passives et déclaratives, la gestion de l'e-réputation, le knowledge management, la protection des données personnelles et, enfin, les contenus qui proviennent d'autres sources que leurs études.
Réaliser un grand écart entre l'ouverture à toutes les sources d'informations et l'intégration de celles-ci dans des outils de mesure immédiatement rentables n'est pas chose aisée. L'appropriation est une attente forte du marché, que les instituts ont bien comprise. Les workshops thématiques organisés par les instituts à destination de leurs clients se font donc de plus en plus pédagogiques. Les livrables deviennent également de vrais outils de communication (les studios intégrés se multiplient).
Certains instituts (Nielsen, OpinionWay ou TNS Sofres, notamment) renforcent ainsi le marketing d'eux-mêmes avec des directions communication et marketing de plus en plus efficaces. Autre tendance lourde: l'immédiateté ou, en tout cas, le circuit court. "Un test de concept en six semaines, ce n'est plus possible, explique Frédéric-Charles Petit, président de Toluna. Les annonceurs veulent être livrés en moins de 24 heures ! Les technologies permettent désormais d'étudier le consommateur en temps réel." Toluna ajoute même à ses outils une brique "do-it-yourself " (PowerPosition, par exemple), qui permet de livrer des recommandations en temps réel.
Créer de la valeur... malgré tout
Si le budget études se contracte chez les annonceurs, les instituts continuent à proposer des offres plus agiles, tout en redessinant leurs organisations. Laurent Guillaume (TNS Sofres) avoue, sans dévoiler de chiffres, selon la politique en vigueur chez WPP, que "les objectifs ont été atteints en 2014", notamment grâce à une redéfinition des offres, à une intégration des sources d'information et à l'accompagnement des équipes vers plus de storytelling. "Les clients veulent que l'on se "mouille" en exprimant une opinion. Il n'y a rien de pire que de ne pas en avoir", selon Laurent Zeller.
Ipsos entend inspirer. C'est le sens de sa nouvelle stratégie de groupe, "Game changer", construite autour de quatre valeurs : "security, simplicity, speed et substance". Quatre "S", que Dominique Lévy-Saragossi complète par "Structure" : "Nos clients attendent des éléments de preuve. Les marques, devenues des médias, sont porteuses d'autorité. L'heure est à une approche éditoriale affirmée et ouverte, réunie au sein du tout nouvel Ipsos Connect." Les offres s'enrichissent. Nielsen lancera, ce semestre, un outil de suivi exhaustif des circuits de proximité généralistes (enrichissement du ScanTrack actuel) et un panel CHR. L'institut avait déjà lancé, en janvier dernier, ScanTrack PPC, un outil permettant de mesurer les achats réellement payés par les consommateurs (hors gratuité promotionnelle). Enfin, le dispositif Nielsen Neuro (mesure des émotions inconscientes via des techniques de neuro-marketing) fera son apparition avant l'été pour évaluer la performance des créations publicitaires, des packagings, des noms...
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Chez Ifop, les nouveautés s'appellent In Life Communities (Web quali) et Instore Vision (instantané de l'expérience client avec des experts en rayon équipés de mobiles).
L'institut d'études et de conseils CSA (qui a cédé son activité de face-à-face au groupe Vevene en février 2014) a lancé cinq offres en 2014 (notamment "Le choix des mots" et "Le pouvoir de la marque"), tout en intégrant le planning stratégique et le conseil au centre de son organisation. Selon son directeur général, Ketty de Falco, il s'agit de " conseils objectivés ". CSA mise également sur trois nouvelles offres marketing concernant les prévisions de lancements ("forecasting"), les promotions et le parcours client.
GfK, pour sa part, se concentre sur le triptyque "marque-expérience client-innovation" avec Brand Vivo (qui étudie l'empreinte relationnelle de la marque), Experience Effect (qui porte sur les interactions entre marques et consommateurs), Customers Harmonics (mesure des love brands), Echo, qui mesure en temps réel la satisfaction client, et Market Builder (testing). Pour Research Now, c'est l'approche Device Agnostic (administration d'une enquête sur tous types d'écrans) qui a mobilisé les énergies en 2014. En parallèle, l'institut a lancé Peanut Lab début janvier. Une offre complémentaire de ses panels historiques. "Il s'agit d'une ouverture sur près d'une centaine de réseaux sociaux partenaires, dont Facebook. Peanut Lab permet de recruter des panélistes afin de participer à une enquête flash unique, pour un coût de 30 à 35% moins élevé que les access panels traditionnels", assure Marc-Antoine Jacoud.
Chez GfK, l'enjeu prioritaire est l'intégration des data - celles de l'institut et celles de ses clients. Ce que Laurent Guillaume (TNS Sofres) résume par "une culture d'intégration des savoirs". L'institut, avec son nouvel outil NeedScope, promet aussi des lancements d'outils digitaux entre mars et décembre prochains (pour répondre aux besoins d'instantanéité des clients).
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Le cas Google
Enfin, question qui intéresse le marché, à défaut de réellement l'inquiéter : Google est-il un institut d'études ? Il y a 18 mois, le géant lançait aux États-Unis Google Customer Survey. Un questionnaire qui coûte de 0,50 dollar (0,40 euro) à trois dollars (2,80 euros) la réponse. Disponible depuis fin 2014 en Allemagne et au Royaume-Uni, l'outil arrivera probablement en France à une date encore tenue secrète. "La taille des échantillons est souvent limitée et passer au niveau supérieur coûte très cher aux entreprises. Nous mettons donc notre audience à leur disposition", explique Tiphaine Goisbeault, directrice des études de Google France.
Signe des temps, les instituts travaillent déjà (presque tous) avec Google (à l'instar de TNS ou de Médiamétrie, qui détient avec lui un panel en copropriété depuis mai 2014). Transparent, Google détaille ses offres sur Thinkwithgoogle.fr (un laboratoire de tendances) et partage ses cas clients depuis fin 2014. Tiphaine Goisbeault, qui fait partie du conseil d'administration de l'Irep, milite pour plus de "transparence et de fiabilité".
Une dose d'optimisme
Deux instituts se distinguent par leurs bons résultats. 2014 a, en effet, été une excellente année pour OpinionWay. Avec un chiffre d'affaires de 12 millions d'euros, en progression de 9,1%, la stratégie d'innovation opérationnelle de l'institut porte ses fruits. Ses deux dirigeants, Hugues Cazenave et Luc Balleroy, respectivement président et directeur général (1), évoquent trois axes de développement : l'appropriation des résultats (avec notamment un studio intégré et la formation systématique des chargés d'études au storytelling), l'accompagnement des plans d'actions (avec la démarche InnovativeWay, lancée cette année) et la réorganisation de l'expertise en mini-pôles à la fois sectoriels et thématiques (engagement, expérience etc.). L'entrée au capital de Soon Soon Soon, en 2014, confirme cette volonté d'élargir son périmètre de compréhension (et d'action) pour "remonter dans la chaîne de valeurs en détectant les bons insights très en amont", selon les termes d'Hugues Cazenave. En 2015, l'institut vise 10% de croissance.
Autre acteur en bonne santé : BVA, qui a progressé de 28%, à 91 millions d'euros, en 2014. Une croissance due à des acquisitions (LH2, Master Consultants et DMS) mais aussi organique (+ 5,5% en 2014), tirée par l'international. Au-delà de ces très bons résultats, Éric Zingler, précise que "l'institut a été récompensé par un Award Esomar pour son approche "nudge" (NDLR : innovation douce), lors du dernier congrès de l'association à Nice en septembre 2014". Il annonce deux grands chantiers en 2015 : Le BVA Data Science (centre névralgique de collecte de données) et le Customer Experience (mesure de satisfaction), en confirmant son intention de "poursuivre les acquisitions en 2015".
Laurent Florès, président d'Esomar (European Society for Opinion and Market Research) : "Les études ne servent pas à vendre des produits"
Devient-on plus intelligent devant la gratuité des informations disponibles ? "Non, au contraire : les annonceurs sont de plus en plus perdus!, tranche Laurent Florès, le nouveau président d'Esomar au niveau mondial,également associé chez SLPV Analytics. L'un des enjeux du métier des études est de mieux valoriser le savoir-faire d'analyse et de mise en perspective. Mais depuis toujours, les instituts ont du mal à facturer leurs prestations de conseil."
Les spécialistes du conseil et tous les acteurs de la data au sens large s'en sortent mieux que les instituts d'études... Au risque d'orienter le marché selon leurs propres opportunités de business. L'une des missions d'Esomar est de redonner du sens au marché des études, de promouvoir les bonnes pratiques en matière de collecte d'informations (notamment sur la protection des données personnelles) et de redire que les études servent à comprendre les marchés et non à vendre des produits. "Cependant, le chiffre d'affaires du secteur est étroitement lié à la conjoncture économique des pays. Or, le retour de la croissance n'étant pas encore d'actualité en France, les instituts doivent créer eux-mêmes les conditions de leur survie, notamment en simplifiant leurs offres, tout en évitant l'écueil du simplisme", indique Laurent Florès. Un grand écart très difficile à exécuter.
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Luc Laurentin, président du Syntec Études Marketing & Opinion : " Les clients veulent plus d'études... avec moins d'argent "
Que faut-il retenir de 2014 pour le secteur des études en France ?
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Le premier semestre a été plutôt positif et la fin d'année plus difficile. D'après notre enquête flash sur le chiffre d'affaires réel ou estimé de nos adhérents, 2014 s'est clôturée avec une légère progression de 1,4 %. Soit légèrement au-dessus de l'inflation. Les négociations ont été âpres et ont pesé sur les marges des instituts. Les appels d'offres "sauvages" se sont multipliés, mettant en compétition six ou sept acteurs. Ce n'est pas sain ! L'UDA et nous-mêmes préconisons trois instituts maximum sur un même appel d'offres. Sur les méthodes d'enquête, le recueil par Internet progresse encore, au détriment du face-à-face. Le on line génère une diminution des budgets unitaires d'études, ce qui explique, en partie, la faible croissance du secteur. Mais le on line a ses limites en termes de représentativité ou de cibles, ce qui explique certainement la résistance du téléphone.
Concernant les activités du Syndicat maintenant, que faut-il retenir de vos actions ?
Nous continuons à nous ouvrir à tout l'écosystème des études, notamment avec des acteurs de la data ou du planning stratégique, par exemple. Nous travaillons sur une nouvelle cartographie des métiers en référençant tous les acteurs avec leur poids sur ce marché. Ce travail sera livré avant le renouvellement du bureau du Syntec, en juin prochain. Nous avons accueilli de nouveaux adhérents, comme Askia, Orange Data & Analytics, Socio Logiciels et SLPV Analytics. Nous avons créé un label pour distinguer les masters dédiés aux métiers des études. Depuis février 2015, le M2 Le Quali de l'IAE de Grenoble, le master Progis (IEP de Grenoble), le master Management des études Marketing (université de Cergy-Pontoise), le master CESSA (Paris V), le master Mention marketing et stratégie (Paris Dauphine) et le M2 Marketing conseil et marketing stratégique (IAE de Toulouse) ont reçu ce label.
À quoi ressemblera 2015 pour les études ?
Je n'ai pas de boule de cristal... Mais la dynamique que les instituts mettent en oeuvre, notamment sur les neurosciences, sur de nouvelles méthodes d'analyse et d'interprétation de la data, doit logiquement porter ses fruits. Les sujets d'étude ne manquent pas ! La mise en phase du monde social et du monde de l'entreprise est, notamment, intéressante. Nous anticipons aussi de nouvelles fusions, des rapprochements ou des disparitions d'instituts. Il y a trop d'acteurs en France, aujourd'hui.
Les 5 nouvelles postures des études :
- Plus vite, moins cher et... mieux
Les annonceurs sont pressés, impatients, exigeants. Tout cela pour moins cher ! C'est l'ère du court-termisme poussé à l'extrême. Un grand écart difficile, avec le risque d'une simplification destructrice de valeur. - D'autres sources d'informations
Les data en open source, les insights issus du planning stratégique et toutes les informations du Web social (incluant photos et vidéos) sont facilement "aspirables" et les partenariats avec ces nouveaux acteurs se multiplient. - Mesurer l'expérience client
Désormais incontournable pour le marketing, l'expérience remplace la traditionnelle satisfaction client. Le consommateur en a fait une nouvelle brique du marketing mix. - Des livrables plus "digestes"
C'est le chant du cygne pour les Power Point. Place à la data visualisation, aux livrables vidéo et aux workshops thématisés. Agir en accéléré sur un marché qui se complexifie est-il payant ? - Intégrer davantage la dimension business
L'idée n'est pas neuve. Les annonceurs exigent des études encore plus ROIstes et des professionnels à même de les accompagner dans la mise en oeuvre des recommandations.