Contre la violence, une construction juridique cosmopolitique
Yves Michaud, instigateur et coordinateur de l'Université de Tous les Savoirs, s'attache, dans son dernier ouvrage*, à analyser ce qui a changé dans la violence. Contre elle, il préconise de laisser la place au savoir et d'élaborer un monde "cosmopolitique".
Je m'abonneContre la violence, vous prônez le retour à la règle, tout en disant que, pour l'imposer, les régimes autoritaires sont les mieux placés. Pourquoi ?
Je m'explique. Je travaille depuis trente ans sur la
violence. Les régimes autoritaires ne sont pas des régimes de droit. Ces
derniers produisent une énorme inflation du droit qui gêne la répression avec
des questions techniques. On constate aussi que les sociétés démocratiques sont
timorées, car très riches, elles développent un sentiment de culpabilité. Elles
sont aussi très sensibles, à la complexité des situations, au fait que les
actions dépendent de tellement de facteurs que l'on peut trouver des excuses à
chaque cas. C'est ainsi que toute réflexion devient vertigineuse. Quel que soit
le délit ou le crime, les circonstances atténuantes ne manquent pas. Il faut
savoir qu'une société repue a toujours tendance à développer des valeurs
éminemment non répressives. D'autant plus lorsque le commerce et la production
sont voués au plaisir et que le but de la vie réside dans le bien-être. Si l'on
dépense des milliers d'euros pour sauver un blessé, il est en même temps
difficile de condamner quelqu'un à mort.
Comment expliquez-vous l'incohérence des discours sur la violence ?
La violence est un
objet mythique sur lequel on fait des projections imaginaires. Peu d'entre nous
ont envie de la regarder en face, de constituer un savoir sur elle. Il est, par
exemple, difficile de dire que les attentats du 11 septembre ont fait autant de
morts que Sabra et Chatila. Difficile aussi de parler de la délinquance
routière. De la même façon, il ne faut pas trop reconnaître que la violence est
une affaire de jeunes plus que de vieux, d'hommes en processus d'intégration
plus que de femmes, de ville que de campagne. Un peu comme le sujet de
l'immigration qui est réel, mais traité de manière fantasmatique. La violence
découle de la continuation d'une politique néo-coloniale où certains pays sont
privés de perspectives de développement avec à leur tête des dictateurs
pilleurs. Autre sujet tabou, les risques de terrorisme nucléaire liés à la
dissémination de ces armes.
Ne subissons-nous pas les conséquences d'un sexisme archaïque où la violence est synonyme de virilité ?
Une grande partie du succès du genre humain tient à son agressivité. Les hommes
sont des prédateurs remuants et dominateurs qui aiment se surpasser. Mais
aujourd'hui, nous avons moins besoin de ces valeurs guerrières et héroïques. Ce
sont des valeurs industrieuses plus civilisées et non sexuées qui leur ont
succédé. Mais je crains un retour du refoulé du fonds humain masculin de
violence domestique. Il est certain que la féminisation joue un rôle
fondamental de civilisation des moeurs.
Pourtant, la part des femmes dans les élites est faible, surtout en politique !
C'est
consternant ! A l'Université de Tous les Savoirs, par exemple, les femmes me
recommandent des hommes, mais aucun homme ne m'a recommandé de femme. Et en
politique, le nombre de places est limité, donc faire entrer une femme signifie
faire sortir un homme. Voilà le raisonnement que tiennent certains. Pour eux,
la parité n'est pas indolore. Car malheureusement, beaucoup d'hommes politiques
pensent selon de vieux systèmes.
C'est justement le rôle des élites d'avoir une pensée novatrice. Leur responsabilité est grande dans la dégradation des relations sociales !
Effectivement, il est
étonnant que l'on ait pu penser si longtemps qu'il valait mieux assister les
gens que de leur donner du travail. Nous sommes aussi arrivés au terme d'une
génération politique dont les cadres d'analyse ne sont plus opérants.
Aujourd'hui, il faut surtout s'attacher au lien social qui se défait d'abord
chez les gens vulnérables. Il est essentiel. Il organise leur résolution.
Que préconisez-vous ?
Il faut cesser d'approcher en
termes passionnels la réalité mentale du citoyen. La tyrannie des désirs fait
partie de la réalité. Il faut s'attacher à modifier les termes constitutionnels
qui ne sont pas une simple affaire mécanico-juridique. Ils doivent assurer la
représentation de la diversité de la société sans nuire à l'action. Et les
élites ont effectivement refusé de prendre la peine de réfléchir. Elles ont
géré à coup de gadgets. Ce système de paresse intellectuelle est souvent la
religion des médiocres.
Que pensez-vous de la violence internationale ?
Les stratégies d'alliance doivent être revues
avec rigueur pour construire un monde réellement cosmopolistique. De même en
politique intérieure, le rétablissement de l'ordre et de la règle suppose une
répression. Mais il faudra en même temps donner des signes de discrimination
positive comme cela a été fait, par exemple, à Sciences Po. Je pense qu'il est
urgent de laisser la place au savoir pour s'attaquer à tous ces problèmes qui
en dépendent. Sinon, comme je l'écris dans mon livre, il est à craindre que ce
doive être à l'apocalypse d'être son propre remède. * Changements dans la
violence, essai sur la bienveillance universelle et la peur, Editions Odile
Jacob. A lire également Tolérance zéro ? Incivilités et insécurité, de
Sébastian Roché, Editions Odile Jacob. Un ouvrage sur l'espace d'action entre
la "tolérance par indifférence" et la "tolérance zéro" et sur la question des
"règles d'usage des espaces collectifs".