Recherche

Quand le MD s'invite dans le luxe

Depuis quelques années, même les marques les plus prestigieuses ont compris qu'elles devaient mettre en place de véritables stratégies de conquête et de fidélisation. Grâce aux outils modernes du marketing relationnel elles rivalisent aujourd'hui d'imagination pour réaliser des campagnes de MD performantes.

Publié par le
Lecture
14 min
  • Imprimer


Longtemps, les marques dites “de luxe” se sont contentées des médias, notamment de la publicité, et de leur notoriété pour développer leurs ventes. Portées par leur prestige, elles ont volontairement délaissé les outils qui pouvaient leur permettre d'entrer en contact, et donc d'établir un lien privilégié, avec le client final. Parallèlement, la plupart des produits de ces marques prestigieuses se sont, ces dernières années, largement démocratisés. En effet, de la haute joaillerie aux voyages de luxe en passant par la cosmétique haut de gamme, toutes ces perles du luxe ne sont plus aujourd'hui réservées à une clientèle élitiste. « Pour la majorité de ces marques, la plus grosse partie de leur chiffre d'affaires est réalisée grâce à des produits périphériques qui sont à la portée du plus grand nombre, explique Benoît Héry, vice-président de Grrrey !. Même si leur cœur de cible reste plus restreint. » Les acteurs du luxe ont donc révisé leur stratégie marketing. «Le luxe a beau être un secteur très particulier qui se distingue par sa cible, par ses valeurs, véhiculées par les marques, et par les procédés de fabrication, il n'en demeure pas moins que son but premier est bien de vendre », affirme Pierre Desangles, directeur général adjoint de Rapp Collins Paris.

Préserver l'esprit “luxe” dans les créations

Et si ces marques ont longtemps hésité avant d'utiliser les techniques traditionnelles du marketing direct, les investissements sont aujourd'hui en plein essor, boostés par les agences qui mettent au point des campagnes jouant sur les notions de plaisir et de rêve, véritables moteurs du luxe. Les campagnes de mailing, canal largement plébiscité par les annonceurs traditionnels du luxe, sont souvent de véritables petits bijoux d'esthétisme. « Mais, parler de la marque, ce n'est pas nier le client. Bien au contraire, on s'adresse à des personnes qui ont une véritable affinité avec les produits. Parler d'elles, c'est donc un peu aussi parler d'eux  », précise Pascal Barragué, directeur associé de DDB Paris. Ainsi, les marques de luxe se créent des univers très personnels qui sont ensuite déclinés sur tous les supports de communication. En outre, la clientèle du luxe s'étant beaucoup diversifiée, les annonceurs doivent sans cesse concevoir des campagnes qui s'adressent à la fois à la clientèle traditionnelle CSP + et à une clientèle plus occasionnelle, plus jeune. Les marques deviennent donc un peu schizophrènes, comme l'indique Pascal Barragué?: « Elles doivent trouver des messages qui vont permettre de séduire ce nouveau type de clientèle sans avoir l'air de brader leur image au risque de perdre leurs clients fidèles.  »

Des secteurs très différents

Bien que les agences planchent depuis déjà quelque temps sur des campagnes de marketing relationnel très “léchées”, il est à noter que toutes les marques de luxe n'ont pas atteint le même niveau de maturité en ce qui concerne les outils du MD. « Il existe des secteurs plus avancés que d'autres, note Catherine Jubin qui dirige Luxury Council, une association regroupant des professionnels du luxe. Parmi les précurseurs, on peut, par exemple, citer la cosmétique, l'automobile et les professionnels du voyage. » En revanche, des secteurs comme la mode, la haute couture et la joaillerie se sont montrés plus frileux. A contrario, le secteur de l'automobile a très vite marqué des points. Depuis toujours, les constructeurs prestigieux, tels que BMW, Mercedes ou Porsche, ont réalisé des mailings très qualitatifs en proposant à leurs prospects des invitations avec un traitement VIP. Autre particularité : la majorité des marques qui ont mis très tôt en place des stratégies de MD ont toutes pour point commun de maîtriser parfaitement leur distribution. C'est notamment le cas de Vuitton, qui bénéficie d'un réseau de distributeurs parfaitement verrouillé. A en croire les spécialistes, la clé du succès résiderait avant tout, pour ces marques prestigieuses, dans la constitution d'une base de données très qualifiée et alimentée par le réseau des boutiques. « Auparavant, le marketing direct avait un côté très artisanal, poursuit Catherine Jubin. Aujourd'hui, les bases de données sont centralisées et des équipes dédiées fleurissent au sein des directions marketing de ces entreprises. »

Cibler les hauts revenus

Etablir des bases de données performantes est donc devenu une priorité pour ces marques. Et le nerf de la guerre des annonceurs reste la cible des hauts revenus. « Beaucoup de professionnels évoquent l'existence d'un “périmètre du luxe” qui regrouperait tous les clients des marques de luxe. Pourtant la clientèle des annonceurs très haut de gamme est beaucoup plus diversifiée que l'on croit », affirme Catherine Jubin. Certains prestataires se sont d'ailleurs fait une spécialité des fichiers concernant cette clientèle difficile à capter. Archer Type propose, par exemple, des fichiers spécifiques en fonction de deux critères essentiels que sont le patrimoine et les revenus. « Ce qui est important, c'est surtout de connaître le montant des revenus disponibles. C'est pourquoi, pour des produits chers et luxueux, on cherchera plutôt à connaître le patrimoine qui donne une bonne indication de ce que la personne possède et peut donc dépenser », explique François-Xavier Gufflet, dirigeant d'Archer Type. Mais, une fois cette clientèle identifiée (parfois réduite à quelques centaines de personnes sur des secteurs très spécifiques), encore faut-il trouver les bons messages. « Les habitués du luxe sont certes très exigeants sur la qualité, mais ils ont surtout une vraie culture du “chouchoutage”. Il faut donc leur offrir toujours plus de marques d'attention  », assure Pascal Barragué. Et les possibilités sont nombreuses : invitations à des avant-premières, à des soldes privés, des garanties à vie sur des produits de grande valeur, etc. Autant d'arguments qui font mouche.

Internet a la cote

Les modes de contact entre les marques de luxe et leurs clients se sont largement diversifiés. Le boom d'Internet a, en effet, changé la donne. On ne compte plus les exemples de marques très sélects qui ont monté un site de vente en ligne. A l'exemple de Dior, qui a lancé son site web en 2005. Le tourisme surfe aussi sur le Net. Dans la lignée, les hôtels de luxe n'échappent pas à la tendance et les plus grands palaces européens et mondiaux montent des sites de réservation en ligne et orchestrent des campagnes d'e-mailing. « Au début, les hôteliers étoilés n'étaient pas convaincus du canal web pour prospecter ou fidéliser, assure Jean-Louis Boss, directeur marketing de Fastbooking, une société spécialisée dans les systèmes de réservation on line pour les palaces. Ils trouvaient l'outil peu adapté aux profils de leurs clients. Mais ils ont compris que ces derniers exprimaient, eux aussi, une forte demande pour des promotions de dernière minute, que seul le Net permet. » Ainsi, les plus grands hôtels se sont mis à faire des campagnes d'e-mailing très personnalisées. Fastbooking a, par exemple, développé avec Emailing Solution un outil qui permet à l'hôtel d'envoyer un premier e-mail de confirmation au client une fois la réservation effectuée. Puis un second e-mail de bienvenue est envoyé quatre jours avant l'arrivée du client à l'hôtel. Enfin, un dernier message est expédié quatre jours après le passage de l'hôte. Cet e-mail est souvent accompagné d'un questionnaire de satisfaction qui reçoit, en général, un taux de réponse plus élevé que la traditionnelle fiche disposée sur la table de nuit de la chambre. « Internet a permis de démocratiser l'hôtellerie de luxe. Même les hôtels les plus prestigieux ont besoin de remplir leurs chambres en période creuse. Grâce à Internet, ils ont aujourd'hui la possibilité de le faire plus facilement », conclut Jean-Louis Boss. Et ce phénomène touche tous les secteurs du luxe qui vont devoir rivaliser d'imagination pour adapter à cet outil “populaire” et universel qu'est Internet leurs propres codes et valeurs qui se veulent toujours plus chics et prestigieuses.

Montblanc repense sa stratégie de marketing direct

« En matière de marketing direct, il ne faut pas se leurrer, la majorité des marques de luxe en sont encore aux prémices ! Le client n'a pas toujours été au cœur des préoccupations de ces marques. Le produit a longtemps primé. Mais les mentalités changent et, nous-mêmes, nous commençons à nous poser des questions sur la manière de traiter nos clients », note Mirabelle Jubert, directrice marketing de Montblanc. Montblanc, qui fête ses cent ans cette année, cherche à communiquer, en effet, davantage avec son client final. « Nous ne nous sommes que récemment dotés d'une base de données, car nous nous sommes rendus compte qu'il était très difficile, voire impossible, de gérer un réseau de boutiques sans fichier clients très qualifié », explique la directrice marketing. Mais cela ne s'est pas fait sans mal. Le fichier clients de Montblanc est donc, pour l'heure, encore de taille modeste mais cela devrait changer en 2006. « Jusqu'à aujourd'hui, nous avons réalisé différentes opérations de mailing mais de manière assez décousue. Nous allons, désormais, établir un plan médias sur l'année visant à établir un véritable lien entre la marque et nos clients. » La clientèle des collectionneurs sera, par ailleurs, particulièrement choyée. « Nous leur offrons beaucoup de services à forte valeur ajoutée, et nous les invitons régulièrement à des présentations privées. Les boutiques ont là un rôle très important à jouer en complément des opérations de mailing que nous pouvons orchestrer », affirme Mirabelle Jubert.

Avis d'expert. Marketing direct et luxe : un binôme performant. Par Gérard Clerquin, directeur BU Marketing Factory de Soft Computing et vice-président SNCD Commission Europe.

Les entreprises du secteur du luxe sont de plus en plus friandes des outils spécifiques au marketing direct, car ceux-ci peuvent répondre à leurs besoins spécifiques de haute qualité, d'individualisation des canaux de communication et du contenu des messages, ainsi qu'à leurs contraintes locales et internationales. Le premier levier et axe principal de cette démarche sera la qualité des données et, en particulier, celle de l'adresse. Est-elle conforme aux normes postales officielles en vigueur dans chaque pays ? A-t-on tenu compte des caractères spécifiques, des zones linguistiques, des civilités ? On veillera à adapter le contenu du message au niveau local, tout en conservant la spécificité de l'image de marque véhiculant également une culture, un savoir être. Les traitements d'adresses étant effectués, il est alors possible de rattacher l'ensemble des achats réalisés par un même client au sein des bases de données ad hoc au secteur. Des analyses peuvent être menées pour mieux comprendre ses clients et dégager des actions concrètes qui permettent d'agir sur le recrutement, la fidélisation, l'augmentation des ventes et la rétention. Lors de campagnes muticanal, de mailings ou de fulfillment, un soin particulier doit être apporté à la qualité, en regard des exigences de ce secteur. La modélisation des concepts de communication avec une reconnaissance individuelle du client ou du prospect, quel que soit le lieu ou le moyen de communication, s'adapte parfaitement aux possibilités techniques de personnalisation, que ces opérations soient françaises ou internationales, centralisées ou décentralisées. Sur l'ensemble de leurs besoins, le marketing direct va ainsi permettre aux entreprises du luxe de mettre en œuvre leur stratégie et met à leur disposition conseils, outils, techniques et technologies de pointe, afin d'optimiser la fidélisation de leurs clients. Le marketing direct représente un formidable outil de connaissance client, de fidélisation et de développement pour les entreprises de ce secteur. Pour notre profession, c'est l'aboutissement de l'ensemble de nos savoir-faire et de notre expérience. En clair, un véritable plaisir !

Automobile. BMW mise sur la personnalisation Le constructeur allemand est depuis longtemps un adepte du MD. Sur les modèles très haut de gamme, le mailing personnalisé recueille les faveurs des destinataires.

Comme la plupart des constructeurs automobiles, BMW possède une stratégie de marketing relationnel bien rodée. La base de données des clients “BM” est, comme ailleurs, jalousement gardée. Chaque année, les budgets alloués aux campagnes de mailing sont très importants, au même titre que les investissements publicitaires. « Un mailing permet de communiquer beaucoup plus d'informations qu'une simple publicité, notamment sur les aspects techniques », note Nicolas Gilbertas du service publicité de BMW. Car les clients du constructeur allemand sont souvent des passionnés très exigeants.

Des mailings luxueux

« Les mailings visent la conquête, même si nous les adressons aussi à nos clients les plus fidèles pour ne pas les vexer », poursuit Nicolas Gilbertas. La société se base donc sur le fichier AAA (celui des cartes grises) et les propriétaires de véhicules concurrents se situant sur le même segment de marché. « Une opération de mailing a beaucoup plus de chances d'atteindre sa cible, précise Nicolas Gilbertas. La cible des hauts revenus est, cependant, très difficile à capter. Il faut donc miser sur la qualité de nos mailings qui doivent être irréprochables et trouver des moyens inédits de retenir l'attention d'une cible sursollicitée. » Pour le lancement de la nouvelle série 7, par exemple, environ 1 000 courriers ont été acheminés aux chefs d'entreprises par porteur spécial, directement sur leur lieu de travail. « Le mailing remis en main propre a produit son petit effet, confie Nicolas Gilbertas. Certains présidents d'entreprises cotées au CAC 40 nous ont même appelés pour le recevoir ! » Dans le cadre du lancement de ce modèle, la marque a aussi mis l'accent sur l'événementiel en invitant ses clients privilégiés à des essais privés.

L'essor de l'e-mailing

Mais le support papier n'est pas le seul canal dont la marque se sert pour prospecter. Depuis quelques années, Internet a fait son apparition. Ainsi en 2005, quelque deux millions d'e-mails de recrutement ont été envoyés par BMW. « Nous privilégions, cependant, le téléphone auprès de la clientèle haut de gamme », reconnaît Jérôme Laplace, responsable du marketing Online pour le constructeur. En ce qui concerne le ciblage, la stratégie est très différente de ce que la marque pratique avec le mailing. Les campagnes d'e-mailing prennent en compte des critères beaucoup plus variés que ceux qu'offre le traditionnel fichier AAA. « Ainsi, nous louons souvent des fichiers sur des thèmes très variés comme, par exemple, les amateurs de vin », note Jérôme Laplace. Un ciblage très précis donc qui s'inscrit dans des campagnes à la mécanique bien huilée.

Tour Operateur Jet Tours fait ses premiers pas dans le voyage de luxe Le célèbre tour opérateur a lancé, il y a un an, une marque de voyages très haut de gamme

«Secret”: c'est le nom de la marque de voyages de luxe lancée par Jet Tours fin 2004. Le concept est simple : il s'agit de présenter deux fois par an au travers d'un livre, qui se veut “l'anti-brochure” de voyage, des hôtels luxueux répartis à travers le monde. Ces établissements ayant tous pour point commun d'avoir été conçus par des architectes ou des designers. « Nous nous adressons à des clients très différents de notre clientèle habituelle, explique Laurence Berman-Clément, directrice générale de Jet Tours. Là où les clients traditionnels de Jet Tours vont dépenser environ 1 000 euros par personne pour un voyage, la clientèle visée par Secret peut en dépenser trois ou quatre fois plus. » Et cette cible est estimée par la direction à environ 2 % de la population française, soit environ 1 million de personnes. « Ce sont des personnes qui ont des revenus supérieurs à 80 000 euros par an et qui ont donc des exigences très particulières concernant leurs voyages », poursuit Laurence Berman-Clément. La base de données du voyagiste, qui compte environ 3 000 adresses, a été essentiellement constituée par le biais du réseau de connaissances de la direction et par le réseau des cinq mille agences qui distribuent les produits Jet Tours.

Créer de l'événement pour se démarquer

« Deux fois par an, nous leur adressons un mailing sous forme de magazine d'une vingtaine de pages présentant les nouveautés et mettant certaines offres en avant », explique la directrice générale. Secret a aussi été partenaire de la Fiac (Foire internationale de l'art contemporain) et a donc réservé à cette occasion un traitement VIP à ses clients et prospects. « Si nous voulons rivaliser avec les plus grandes marques du luxe, nous devons adopter leurs codes, c'est-à-dire émerger de la masse en personnalisant la relation à l'extrême », affirme Laurence Berman-Clément. Enfin, Internet a été largement impliqué dans la stratégie de conquête mise en place. Un site dédié, qui présente toute la gamme des hôtels de manière interactive, a été créé dès le lancement de la marque. « Nous allons bientôt mettre en place un système de newsletters pour établir une communication plus régulière avec nos clients. » Un bon moyen d'alimenter la base de don-nées de manière efficace et peu coûteuse.

Enquête réalisée par Isabelle Sallard

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page