MELANIE CAGNIART, DIRECTRICE DE LA COLLECTE DE FONDS PRIVES DE MEDECINS SANS FRONTIERES «Nous devons gagner en visibilité»
DANS UN MARCHE TRES CONCURRENTIEL, MEDECINS SANS FRONTIERES TESTE EN PERMANENCE SON MESSAGE POUR OPTIMISER LA COLLECTE DE FONDS. AFIN DE SEDUIRE SES PROSPECTS ET DE FIDELISER SES DONATEURS, L'ASSOCIATION SPECIALISEE DANS L'URGENCE MEDICALE ADAPTE SON OFFRE MARKETING ET PROPOSE DE NOUVEAUX CONTENUS.
Je m'abonneMARKETING DIRECT Quelle est la spécificité de MSF par rapport à d'autres associations humanitaires?
- Notre indépendance d'action et de parole. Nous sommes financés à plus de 90 % par des fonds privés. Concrètement, les Etats n'interfèrent pas dans notre stratégie. Nous évaluons les lieux où nous allons intervenir pour assurer l'urgence médicale. Et nous n'hésitons pas à prendre position, pour dénoncer, par exemple, les détournements de l'aide humanitaire (comme en Ethiopie, en 1985), les exactions dont sont témoins nos équipes (comme lors du génocide au Rwanda, en 1994) ou encore pour interpeller le public sur des problématiques liées à la collecte de fonds (comme l'appel lancé en 2005 pour arrêter les dons affectés au tsunami en Asie du Sud-Est).
Comment fonctionne l'association?
- MSF s'est professionnalisée et a internationalisé son recrutement dans les années quatre-vingt. La collecte de fonds s'est structurée. Les salariés sont à la fois des personnes engagées dans l'action humanitaire et de véritables professionnels du marketing direct. Le département de la collecte de fonds privés est composé de 20 personnes organisées en trois services. Le premier est spécialisé dans la gestion de nos bases de données et l'analyse statistique. Le deuxième gère le marketing direct avec des spécialistes chargés de la prospection, des salariés affectés à la fidélisation et d'autres encore qui travaillent sur l'événementiel et les nouveaux médias. Enfin, le troisième service est dédié aux grands comptes, à savoir les donateurs importants, les libéralités et les entreprises. Pour augmenter les dons, nous avons décidé d'investir dans des opérations de collecte innovantes et dans des campagnes médias de notoriété.
Combien avez-vous levé de fonds l'an dernier?
- 164 millions d'euros, dont un peu plus de 58 millions en France. MSF se classe au cinquième rang dans l'Hexagone, mais sa «part de marché» ne dépasse pas 3 %. Nous sommes sur un secteur ultra-fragmenté et très concurrentiel. Les Etats-Unis, l'Australie, le Japon et les Emirats Arabes Unis représentent 65 % de la collecte, la France, 35 %. Notre éthique nous conduit à lancer des appels aux dons uniquement quand les besoins sur le terrain sont avérés. De fait, c'est notre plan opérationnel qui détermine notre budget annuel ; par ailleurs, nous établissons aussi un business plan à cinq ans.
POINTS-CLES
* Intervention dans plus de 70 pays. * 221,2 millions d'euros de ressources en 2011, dont 164 millions d'euros issus de la collecte privée dans le monde (58 millions pour la France). * 10,5 millions d'euros - soit 4,5 % des dépenses totales - sont consacrés à la collecte de fonds en France. * 360 000 donateurs par prélèvement mensuel en France. * 200 000 donateurs occasionnels en France. * 28 sections et bureaux MSF dans le monde. * 5 000 employés nationaux sur le terrain. * Près de 600 expatriés. * 250 salariés au siège à Paris.
Quelle est votre feuille de route?
- Nous avons pour mission de collecter 62 millions d'euros en 2012 et 75 millions à l'horizon 2015. L'objectif est de conquérir 30 000 donateurs en prélèvement automatique (PA) et autant en donateurs «classiques». Il s'agit de compenser l'attrition naturelle de 15 000 personnes par an en PA et d'augmenter le nombre de donateurs actifs en 2013.
Quels canaux privilégiez-vous pour vos campagnes?
- Le mailing et le téléphone. Nous testons même actuellement une séquence courrier, puis téléphone. Pour le courrier, nous avons deux périodes de recrutement: en mars (1 million d'envois cette année), et entre mi-septembre et mi-novembre, qui est la meilleure période car il existe une bulle de générosité avant Noël (2 millions de courriers). C'est avec ce canal que nous obtenons le meilleur taux de couverture (investissement/recettes). L'opération «un euro par semaine» obtient un retour de l'ordre de 1 %. Comme il s'agit de montants modestes, nous touchons un public très large. En parallèle, nous utilisons le télémarketing toute l'année pour solliciter des profils plus difficiles à convertir par courrier.
Dans quels autres cas le télémarketing se révèle-t-il efficace?
- Il s'avère également performant pour convertir les donateurs classiques en donateurs réguliers ou pour inciter ces derniers à élever le montant de leur contribution. Ce canal représente 350 000 contacts utiles par an. Par ce biais, nous gagnons 10 000 dons ponctuels et 5 000 donateurs par prélèvement automatique.
Quel est le profil du donateur?
- Il est plus jeune que celui des associations concurrentes, 55 ans en moyenne, au lieu de 65 . Il s'intéresse à la géopolitique et aux voyages. Il est impliqué dans les activités culturelles et le bénévolat. C'est un lecteur assidu de la presse, en particulier de titres comme Télérama, Courrier International ou encore le Monde diplomatique. Notre coeur de cible appartient aux CSP+ avec un haut niveau d'éducation et vit en grande agglomération, y compris Paris.
Combien comptez-vous de donateurs? De quelle manière contribuent-ils à votre action?
- Nous comptons 560 000 donateurs actifs. 75 % d'entre eux - 360 000 personnes - ont choisi le prélèvement automatique. Ils versent, en moyenne, huit euros chaque mois. Cela représente une sécurité financière qui assure à MSF une rentrée mensuelle de 3 millions d'euros. Les 200 000 autres donateurs actifs, soit 25 %, sont ceux qui, au cours des deux dernières années, ont versé en moyenne 75 euros. Notre base de données comporte aussi 600 000 inactifs, dont certains ne donnent que lors de catastrophes fortement médiatisées.
Comment enrichissez-vous votre base de données?
- Nous améliorons la connaissance de nos donateurs via l'âge scoré, l'Iris d'habitat... Nous utilisons ponctuellement la méthode des scores pour qualifier les adresses et identifier les coeurs de cible. Cela nous permet de connaître l'appétence de nos contacts à choisir le prélèvement automatique, à devenir de grands donateurs, à faire un don au titre de l'ISF ou encore à faire un legs...
Et pour la segmentation?
- Nous utilisons les critères RFM classiques sur la base de nos donateurs ponctuels. Cela nous permet de distinguer les inactifs des actifs. Nous portons ainsi une attention particulière aux personnes qui ont fait un premier don pour les amener à en réaliser un second. Nous identifions aussi les personnes qui peuvent augmenter le montant de leur don. Nous nous servons de ces segments pour construire un plan de sollicitation différencié.
Nous analysons aussi le comportement d'achat sur notre boutique en ligne, car ce public spécifique est très engagé. Nous avons également une stratégie ISF (fiscalité au titre de la loi Tepa) pour solliciter les grands donateurs. Enfin, nous réfléchissons à segmenter notre base en fonction des centres d'intérêt de nos donateurs, pour leur transmettre une information adaptée via le Web.
Quels fichiers utilisez-vous pour la prospection?
- Nous louons majoritairement des fichiers issus de la presse. En 2012, nous avons décidé de communiquer sur un nombre de contacts beaucoup plus large. Nous avons utilisé des mégabases et nous avons travaillé la méthode de score avec la société de data management Oktos. Jusqu'à ce jour, MSF s'est refusé à échanger les adresses de ses donateurs avec d'autres associations, mais cela fait l'objet de discussions internes aujourd'hui.
Quelle est votre stratégie d'optimisation de la collecte?
- L'enjeu consiste à transformer les donateurs ponctuels en donateurs réguliers et à augmenter le montant de leurs contributions. S'agissant des personnes en prélèvement automatique, nous les appelons une fois par an, pour leur proposer de relever le montant de leur don. Quant aux donateurs ponctuels, nous planifions quatre relances courrier par an pour les inciter à renouveler leur contribution. Nous personnalisons la grille de dons en fonction de leur profil. Et nous utilisons désormais l'email pour faire une relance au mailing envoyé. Nous améliorons ainsi nos résultats de deux à trois points.
PARCOURS
Diplômée de l'ESC Rouen, Mélanie Cagniart travaille de 1994 à 2000 pour Ogilvy One. Elle s'occupe du marketing direct, notamment pour des associations. Ensuite, elle travaille comme directrice du marketing direct chez l'annonceur, notamment chez l'industriel Heraeus. De 2007 à 2009, elle est directrice de clientèle pour RMG Connect, spécialiste du marketing direct et de la collecte de fonds pour des associations. De 2009 à 2011, elle est directrice conseil en charge du département fundraising philanthropie et éthique chez JWT.
Comment fidélisez-vous les nouveaux donateurs?
- Nous travaillons sur l'amélioration du cycle d'accueil. Nous allons renouveler les outils de notre «welcome pack». Nous allons également communiquer davantage par e-mail car il est moins coûteux d'envoyer un lien vers une vidéo de remerciement de la présidente de l'association que d'expédier un courrier. Pour les personnes recrutées dans la rue, nous testons actuellement un «welcome call», qui consiste à les appeler pour les remercier de leur don et leur parler de MSF.
MSF innove en permanence sur les contenus, formats, cibles... Comment procédez-vous?
- Nous menons toujours des tests avant de modifier nos campagnes. Nous diversifions aussi les canaux de collecte: nous faisons beaucoup de tests pour améliorer la collecte de rue, que nous associons à une exposition mobile dans les centres commerciaux. Nous explorons le recrutement en porte-à-porte et à domicile façon réunion Tupperware. Nous envisageons d'envoyer des médiateurs (c'est le nom des recruteurs de donateurs chez MSF) dans les gares et aéroports.
Quel type d'offres testez-vous actuellement?
- A la mi-octobre, nous avons testé une nouvelle offre: un courrier contenant un sac avec un logo MSF, sur un échantillon de 100000 contacts issus de notre plan médias fichier. Cette campagne nous coûte certes plus cher en raison de la prime, mais nous escomptons des rendements supérieurs à ceux observés habituellement.
DATES-CLES
* 1971: création de MSF * 1976: première mission de chirurgie de guerre au Liban * 1985: expulsion d'Ethiopie pour avoir dénoncé les déportations massives * 1994: témoignage au Rwanda sous le slogan: «On n'arrête pas un génocide avec des médecins» * 1999: reçoit le prix Nobel de la paix * 2005: demande l'arrêt des dons pour le tsunami en Asie * 2010: mène sa plus importante intervention d'urgence en Haïti * 2012: travaille clandestinement en Syrie.
Cette offre s'accompagne d'une campagne de publicité, c'est nouveau...
- C'est en effet la première fois depuis une dizaine d'années que MSF lance une campagne d'appel aux dons dans les médias. Même si notre notoriété est forte, la direction et le conseil d'administration ont pris conscience que nous devions gagner en visibilité. Notre objectif est de recruter de nouveaux donateurs et de fidéliser les donateurs actuels. Nous avons choisi de faire un «call-to-action» en renvoyant vers le site web. Même si Internet ne représente que 3 à 4 % de la collecte totale, toutes associations confondues, les personnes peuvent cependant s'y informer sur MSF et faire un don.
MSF est présente sur les réseaux sociaux. Pourquoi?
- Facebook et Twitter nous apportent de la visibilité. Les médias sociaux nous permettent de sensibiliser un public plus jeune à nos actions et de recruter des volontaires potentiels pour le terrain. Ils peuvent aussi servir d'outil de mobilisation: nous avons récemment utilisé les réseaux sociaux contre Novartis, qui cherche à freiner l'accès aux médicaments génériques en Inde. Les internautes étaient invités à relayer l'info et à signer la pétition sur un site dédié. Notre stratégie sur les médias sociaux est en cours d'élaboration et nous n'avons pas encore utilisé tout leur potentiel.