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[Entretien] Marketeurs, attention au dérèglement médiatique ! Anthony Mahé, sociologue associé du cabinet Eranos

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Anthony Mahé est un sociologue dont les travaux portent sur l’économie de l’attention. Celui-ci interpelle les marketeurs sur la crise de l’attention et le “dérèglement médiatique”. Sa conviction : rééquilibrer l’usage des médias, notamment en intégrant davantage de papier dans l’équation.

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Anthony Mahé : L’expression, attribuée au chercheur suisse Yves Citton, souligne la nécessité de percevoir l’attention, non pas uniquement en tant qu’objet d’une simple compétition économique, mais sous le prisme d’une dimension écologique globale. Cela sous-tend que l’attention a une valeur qui n’est pas uniquement financière.

 

A.M : L’attention est une ressource rare. Malheureusement, avec l’avènement du numérique, beaucoup de marketeurs ont eu, et ont parfois encore, tendance à surestimer la capacité d’attention, à la considérer comme illimitée. Or, ce n’est pas le cas. L’attention est non seulement limitée, mais aussi fragilisée lorsqu’on la sur-sollicite. C’est d’ailleurs pourquoi nous faisons aujourd’hui face à une crise de l’attention.

 

A.M : Le sociologue français Dominique Boullier distingue quatre niveaux d’attention :

L’alerte, qui saisit une information qui surgit ; c’est la notion de notification, de flash, de breaking news… C’est celle dont use - et parfois abuse - le numérique.

La projection, qui fait appel à la concentration et à l’abstraction, mobilisée notamment lorsque l’on calcule, que l’on regarde un documentaire, que l’on entre dans une réflexion.

L’immersion, qui correspond à l’attention portée lorsque l’on est plongé, absorbé par un jeu vidéo, un livre, un film etc…

La fidélité, qui correspond à une attention de long terme, celle qui construit une relation dans le temps. Elle est plébiscitée par les marques en marketing, qui structurent et rythment leur relation aux consommateurs par plusieurs interactions : un packaging, l’envoi d’un catalogue etc…

La crise de l’attention provient d’un déséquilibre entre ces quatre niveaux, en l’occurrence au profit de l’alerte. Aujourd’hui, dans le monde digital, la moindre information devient une “alerte”, saturant ainsi l’attention des consommateurs.

 

A.M : Il y a trois niveaux d’impact : environnemental, sanitaire et économique. On pense facilement à ce dernier : les performances économiques d’une campagne marketing s'affaiblissent à mesure que l’on perd de l’attention. Mais les impacts écologiques et sanitaires viennent moins à l’esprit, quoique primordiaux. En effet, la multiplication des messages digitaux induit une pollution numérique (lire à ce sujet notre article sur Le choix d’une communication responsable, ndlr). On parle de dématérialisation, mais en réalité les écrans, ordinateurs, portables requièrent l’extraction de minerais, le refroidissement des serveurs mobilise aussi beaucoup d’énergie. Enfin, l’impact humain est également à prendre en compte : le phénomène d’addiction aux réseaux sociaux et aux smartphones est bien réel.

 

A.M : En sollicitant plus équitablement les quatre niveaux d’attention que sont l’alerte, mais aussi la projection, l’immersion et la fidélité. Il faut pour cela que les marques mobilisent l’ensemble des médias à leur disposition. Il ne s’agit pas de remplacer le digital par le papier, mais de trouver un équilibre. Prendre en considération, pour faire passer un message, le digital, le print, la TV, la radio etc… A l’heure du multi-canal, il faut miser sur une communication multi-attentionnelle.

Le plus vieil instrument de communication est la cloche d’église. Cet outil d’alerte est régulé : chaque maire décide avec le prêtre le nombre de fois qu’elle va sonner et à quelles occasions. La cloche numérique, elle, n’est pas réglementée. Il en va donc à chacun de se fixer ses limites, revoir sa réflexion et ses actions. Dans l’univers marketing, il est devenu normal de considérer un taux de clic à 3% et un taux d’ouverture à 15%, là où, en réalité, ce sont 85% de personnes qui n’ont pas ouvert un email, et autant de gaspillage.

 

A.M : Les courriers publicitaires font partie intégrante de l’écosystème de l’attention. Ils offrent des caractéristiques intéressantes. Les catalogues ont notamment un fort pouvoir d’immersion, et les communications papiers sont intéressantes dans le cadre de la projection et de la fidélisation. (lire à ce sujet l’article Paper Emotions 2, ndlr). Il est dommage de constater que certaines marques prennent la décision de réaliser un consumer mag pour n’en proposer qu’une version pdf...

En outre, les process de recyclage du papier en fait un média à prendre en compte dans une logique de minimisation de l’impact environnemental.

Les directeurs marketing pressentent l’écologie de l’attention et ont la conviction que le papier comme moyen de communication doit être défendu, mais peinent à le réintégrer dans leur plan. Or, il en va de la qualité de l’attention et de la relation client. Le véritable enjeu des marques est de faire cohabiter les différents médias afin de préserver la multiplicité et la richesse des expériences offertes.

 

Pour aller plus loin : Les Objectifs de la communication durable

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