DossierLes instituts d'études en pleine tourmente
Le marché français des études est en crise. En cause? De nouveaux concurrents, de nouvelles méthodes de travail, des données qui prolifèrent avec l'abondance des réseaux sociaux. Les instituts sont ainsi obligés de revoir leurs fondamentaux.

Sommaire
- Chiffres d'affaires en berne pour les instituts d'études
- Instituts d'études : un secteur très diversifié
- Les instituts panélistes et spécialistes moins touchés par la crise
- BVA et Ifop tiennent la barre
- CSA en forte baisse, Harris interactive stable, OpinionWay en hausse
- Une nouvelle façon de travailler pour les instituts
- Le storytelling
1 Chiffres d'affaires en berne pour les instituts d'études
L'Ifop a fêté ses 75 ans en 2013, TNS Sofres son cinquantenaire... Nées avec la grande consommation et étendues ensuite à l'opinion et aux services, les études ont accompagné le marketing de masse, puis le marketing de la différenciation, celui de la relation client, le webmarketing. Et, depuis le début de la décennie, le marketing cross canal. La métier des études n'a sans doute jamais disposé d'autant de données potentielles, d'outils pour les recueillir et les analyser, de chantiers de recherche... Mais il n'a jamais connu non plus un tel nombre d'interrogations fondamentales et opérationnelles. "Avis de tempête sur les études", annonçait la Journée nationale des études, le 23 janvier dernier. Les instituts vivent des moments difficiles : leurs clients stabilisent ou diminuent leurs dépenses études, les services études en interne sont réduits... Le marché français, numéro quatre mondial derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ne va pas très bien. Le Syntec études marketing & opinion a publié, à l'automne dernier, son rapport de l'année 2012: 2 milliards d'euros, c'est le chiffre d'affaires cumulé des instituts d'études. Un chiffre qui recule de 1,3 % par rapport à 2011. Et 2013 n'a pas été non plus une grande année, si l'on en croit les nombreuses baisses de chiffre d'affaires chez les instituts.
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Le marché français des études est en baisse. De nombreux instituts ont connu une année 2013 difficile avec des clients qui stabilisent ou diminuent leurs dépenses études, des services en interne réduits...
2 Instituts d'études : un secteur très diversifié
Le marché français des instituts d'études est particulièrement atomisé, avec plusieurs centaines de sociétés aux profils très divers. Plusieurs catégories peuvent cependant être identifiées. La première regroupe les grands groupes internationaux qui réalisent entre 100 et 130 millions d'euros de chiffre d'affaires comme Ipsos (le numéro un depuis le rachat de Synovate), TNS Sofres, GfK, Nielsen.
La seconde catégorie compte des instituts généralistes tels que BVA ou spécialistes et panélistes : Médiamétrie, IRI, Kantar Worldpanel... dont le CA oscille entre 60 et 100 millions d'euros. Une troisième catégorie, qui réalise autour de 50 millions de CA, est composée d'acteurs internationaux spécialistes comme IMS Health, Millward Brown... suivis de marques locales historiques (20 à 40 millions: Ifop, CSA, Cegma Topo...) et du peloton des acteurs pesant 10 à 15 millions: Harris Interactive, Strategir, OpinionWay, Repères, Sorgem...
Mais de nombreux petits instituts spécialisés (en quali, notamment), moins connus, s'en sortent bien. Chez les plus importants, on note une petite année 2013, à l'image du groupe Ipsos (monde), qui a accusé une baisse de 4,3%, due en partie au rachat de Synovate. "2013 a été une période de grands chantiers, de recrutements importants avec maintien des effectifs et de nouveaux services, comme ASI Trends ou Ipsos Trust", commente Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale d'Ipsos France. La crise est plus profonde pour TNS Sofres, qui a vécu des départs (dont celui de Denis Delmas, CEO Europe du Sud, France et Benelux, évincé par le groupe WPP à la fin de l'été), la réduction de son activité téléphonique... "L'année s'est divisée en deux temps: un premier semestre très difficile et un second avec de vrais signes de changement", déclare Édouard Lecerf, directeur général.
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Le marché français des instituts d'études est particulièrement atomisé, avec plusieurs centaines de sociétés aux profils très divers.
3 Les instituts panélistes et spécialistes moins touchés par la crise
Globalement, les panélistes s'en sortent mieux que les instituts ad hoc. "Même en temps de crise, on ne coupe pas les panels! Pourtant, pour les clients, les frontières sont de plus en plus tenues. Et les panélistes, comme Nielsen ou nous-mêmes, ont de plus en plus de produits susceptibles de remplacer des études ad hoc", argumente Pascal Avignon, directeur général de Kantar Worldpanel France. Même discours du côté de Laurent Zeller, président et directeur général de Nielsen: "Il s'agit de la seconde année où Nielsen France est en croissance et les compétitions remportées en 2013 nous laissent optimistes pour 2014. Nous avons gagné six gros clients, nous n'en avons perdu aucun et nous avons recruté. Cette victoire est le fruit d'une stratégie d'intégration entre nos panels distribution (notre ADN) et nos panels consommateurs."
La situation est moins rose pour GfK France. "Le chiffre d'affaires de GfK a reculé de 3% mais notre croissance organique est à + 0,8%", précise Bruno Botton, directeur général, tout en reconnaissant que "l'année a été difficile, surtout en ad hoc. Attentisme de la part des clients, forte pression sur les délais... La dictature du Web pousse certains instituts à promettre des tests en 24 heures!"
2013 a été une bonne année pour Médiamétrie, la situation des spécialistes étant décidément meilleure. Même chose pour les multispécialistes car, comme en 2012, BVA obtient de bons résultats. Grâce à une stratégie de consolidation de sa croissance externe, le groupe a su se créer une place à part.
Même en temps de crise, les panélistes s'en sortent mieux que les instituts généralistes, en raison de produits de plus en plus susceptibles de remplacer des études.
4 BVA et Ifop tiennent la barre
Avec le rachat des actifs de LH2 et des deux sociétés de mystery shopping, BVA devrait représenter un chiffre d'affaires d'environ 95 millions d'euros cette année. "Cela se passe bien pour l'instant mais 2014 va être l'année de l'intégration. Nous allons faire participer les quelque 470 personnes du groupe et apprendre à travailler ensemble", développe Gérard Lopez, président. Un chiffre d'affaires en croissance mais une année difficile pour l'Ifop, après des difficultés en 2011 et 2012: "Nous nous sommes redressés sur le derniers tiers de l'année mais le marché est dur, avec une très forte agressivité commerciale", constate son président, Stéphane Truchi, (qui réaffirme que l'Ifop n'est pas à vendre!) "Nous avons dû adapter nos méthodes, poursuit-il. Après quelques départs en 2012 liés à la perte d'un contrat, nous avons allégé notre structure de direction. Nous nous sommes repositionnés sur notre offre services: énergie, transport et banque/assurances/finances."
Face à un marché difficile, les deux grands groupes doivent adapter cette année leurs méthodes de travail.
5 CSA en forte baisse, Harris interactive stable, OpinionWay en hausse
La plus forte baisse, parmi les ténors, incombe à CSA. Et son président, Bernard Sananès, ne se voile pas la face: "Le premier semestre a été très difficile mais l'éclaircie est arrivée en fin d'année. Nous avons réduit les coûts sur certaines activités et lancé de nouveaux chantiers, en distribution notamment, sur le parcours client." En parallèle, la croissance à deux chiffres pour Harris Interactive est terminée, même si l'institut est positif. Patrick Van Bloeme, directeur associé, promet d'y revenir en 2014. "Nous nous sommes renforcés en opinion, corporate, santé... En transversal, le digital, le mobile et les réseaux sociaux sont intégrés mais le mobile peine à décoller. Il n'est pas facile d'être un généraliste de taille moyenne." De son côté, Hugues Cazenave, président d'OpinionWay, se réjouit de la très bonne année réalisée par l'institut (+8%), que ce soit en marketing, en opinion où même dans le secteur plus récent du corporate: "Nos forces correspondent aux attentes du marché. Autre point positif: notre capacité à innover, à intégrer de nouvelles méthodologies. Nous sommes montés en puissance chez de gros clients. J'ai le sentiment que certains instituts de taille moyenne souffrent et qu'une partie de notre croissance se fait à leurs dépens."
CSA a connu une forte baisse en 2013, tandis que pour Harris interactive la croissance est restée stable cette année. Seul OpinionWay augmente son chiffre d'affaires.
6 Une nouvelle façon de travailler pour les instituts
Les instituts doivent faire face à une double concurrence interne (entre les gros internationaux, les moyens et les plus petits) et surtout externe (access panélistes, agences digitales...). On leur demande de ne plus être que des fournisseurs de chiffres, sans forcément se mettre au conseil, et d'apporter de la valeur ajoutée. Leur expertise dépasse de plus en plus les frontières des domaines du marketing produit ou service. De nouveaux modèles se créent, plus légers. L'Ifop, par exemple, est dans une logique de partenariats: en data-visualisation, en web design, en digital... Pour Bernard Sananès (CSA), "l'institut doit constituer une sorte de hub. Il est impossible aujourd'hui d'intégrer toutes les expertises."
7 Le storytelling
Autre chantier engagé par beaucoup: la mise en forme des rapports. Finis les pavés de 500 pages et les présentations de trois heures. La mode est au storytelling. Avec des études transmissibles et lisibles par les services concernés, pas uniquement par le service études. La data visualisation permet de présenter des rapports de façon plus claire et plus ludique (vidéos, infographies, etc.).
L'accompagnement en aval devient lui aussi primordial: workshops pédagogiques et stratégiques. L'institut est désormais impliqué dans la restitution des études et les décisions qui en découlent. "La forme modifiera le fond", lâche Gérard Lopez (BVA).
Les instituts d'études ne doivent plus être que des fournisseurs de chiffres, sans forcément se mettre au conseil, ils doivent à présent apporter de la valeur ajoutée dans leur expertise.
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