TV, incrémentalité, data collaboration... Quels sont les enjeux du retail media ?
Le marché du retail media, très dynamique depuis quelques années, devrait encore connaître une accélération en 2024, notamment avec l'essor de la télévision connectée et l'arrivée, en avril, de la publicité sur Amazon Prime en France. Focus sur les transformations en cours dans le retail media, à l'occasion d'une conférence organisée par Numberly.
Je m'abonneNé il y a quelque 6 ans, le retail media - la monétisation des espaces publicitaires et des données clients des commerçants - a encore de beaux jours devant lui. Selon GroupM (WPP), le retail media pèsera plus de 175 milliards de dollars à l'échelle mondiale dans les cinq ans. "Le retail media est le sujet de l'année 2024 dans le secteur du digital et du marketing", confirme Thibaut Munier, co-CEO de Numberly, à l'occasion de la série de conférences "Retail Media Mix" organisée par l'agence début février, en présence de ses clients et partenaires. Il voit ainsi se dessiner plusieurs tendances dans le retail media en 2024, à l'instar du rôle de la télévision dans l'accélération de ce levier ; de la multiplication des secteurs intéressés par ce "nouveau" canal lucratif ; de la quête de l'incrémentalité ; de la bataille de l'"in store" ou, encore, de la possibilité d'accélérer la "data collaboration".
La quête de la mesure d'incrémentalité des marques
Comme pour toute activation publicitaire, la notion de retour sur investissement (ROI) est centrale. Pour le retail media, ce ROI est souvent mesuré par le Return On Ad Spend (ROAS), le chiffre d'affaires généré pour chaque euro investi dans la campagne. Sauf que la méthodologie de mesure diffère souvent d'un retailer à l'autre, au grand dam des annonceurs qui lui préfèrent le calcul de l'impact incrémental de ces activations retail media sur leurs ventes.
À l'image de Bonduelle dont la responsable digital, média et relations consommateurs, Catherine Jordy, juge la mesure d'incrémentalité indispensable. Accompagnée par Numberly, la marque a choisi de dérouler une activation retail media en fil rouge avec l'enseigne Carrefour afin de comprendre le comportement des acheteurs de l'enseigne Carrefour sur la catégorie de produits surgelés. 2,1 millions d'individus uniques de la base de données de Carrefour ont été activés, via trois segments : "fidélisation" (les consommateurs achetant déjà un produit Bonduelle surgelé), "recrutement de marque" (les consommateurs achetant dans la catégorie "surgelé", mais pas la marque Bonduelle) et "recrutement catégorie" (les acheteurs de la marque Bonduelle, mais pas encore de la catégorie surgelé). En parallèle, un groupe témoin a été monté, qui n'était pas exposé à la campagne, afin, donc, de mesurer l'impact incrémental de l'activation. Lors d'une première phase de l'activation, des bannières statiques et des vidéos autour de la gamme surgelée de Bonduelle ont été diffusées sur le site de Carrefour, puis lors d'une seconde phase, des bannières animées et des vidéos storytelling ont été déployées. Objectif : renouveler le message envoyé aux consommateurs entre les deux phases et optimiser la pression marketing. Résultat : une hausse de 7,7 % de l'impact incrémental sur le taux de conversion au niveau du recrutement. À la suite de l'activation, Bonduelle a pu constater outre le recrutement, une fidélisation de ses consommateurs et un basculement d'une catégorie vers une autre. La responsable digital, média et relations consommateurs de Bonduelle, souhaite désormais tester des campagnes en TV, plus volumiques.
Catherine Jordy reconnaît l'intérêt de campagnes retail media sur le long terme, plutôt qu'un "one shot". "Plus les campagnes sont longues, plus les résultats sont tangibles", constate-t-elle. Nicolas Trolé, Managing Director d'Unlimitail, la joint-venture retail media de Carrefour et Publicis, partage l'idée qu'un travail sur le long terme doit être mené en retail media, pour adresser, notamment, des clients fidèles qu'il convient ne pas oublier au profit de la conquête de nouveaux clients : "La stratégie de n'aller chercher que des nouveaux clients n'est ni suffisante, ni pertinente", explique-t-il. "Pour un grand acteur de boissons gazeuses multimarques, nous avons construit une stratégie annuelle, de janvier à décembre, sans interruption. 70 % des investissements étaient dédiés à cette stratégie fil rouge, et le reste des investissements venait sur des temps forts, par marque, sur des périodes précises. Nous avons réussi à construire un modèle de mesure dédié à cette stratégie, qui ne soit pas campagne par campagne, mais sur des périodes plus longues. Cette stratégie a permis de générer plus d'1,8 million d'euros de chiffres d'affaires incrémentaux, sur des clients actifs que nous avons fait passer d'occasionnels, à petits, à moyens et enfin à grands", illustre-t-il.
La télévision connectée boosteur du marché du retail media ?
"Le marché du retail media connaît une accélération spectaculaire grâce à la télévision, explique Thibault Munier. La société d'études de marché eMarketer a dû refaire ses prévisions sur les dépenses publicitaires au printemps 2023 en prévision du lancement des Prime Video Ads, des publicités au sein de la plateforme de streaming d'Amazon, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et au Canada début 2024. Le segment TV connectée du retail media devrait ainsi augmenter de + 138 % dès 2024." En France, aussi, le marché du retail media devrait connaître le même effet "booster". Les publicités dans Prime Video arrivent ainsi dans l'Hexagone en avril 2024 (en même temps que l'Italie, l'Espagne et le Mexique). Pour Stéphane Grenier, Managing Director d'Amazon Ads France, les publicités sur la plateforme de streaming d'Amazon "répondent aux besoins des marques de toucher de manière pertinente les consommateurs là où ils sont, avec des reach de quelques dizaines voire quelques centaines, selon les régions dans le monde, de millions de personnes" et de "travailler le haut de funnel en termes de notoriété et de considération". "Mais l'objectif est aussi de pouvoir répondre aux rêves des annonceurs de pouvoir mesurer de manière déterministe l'impact des contenus diffusés sur des comportements et jusqu'aux comportements d'achat".
Groupe Seb compte bien tester ce "nouveau" levier dès que possible. Pour l'heure, le groupe spécialisé dans le petit équipement domestique, historiquement porté sur la télévision linéaire pour ses marques (Tefal, Rowenta, Moulinex, notamment) s'est depuis deux ans aussi tourné vers la télévision segmentée, dans une logique "de complémentarité", partage Jérôme Bénière, media and digital manager France du groupe Seb, "pour aller toucher des audiences différentes en digital qu'avec des plans média TV".
Signify (ex-Philips Éclairage), spécialisé dans la conception et la production d'éclairage, a aussi "dépensé beaucoup d'argent en télévision linéaire", glisse Julien Baranzelli, Commercial Leader - Consumer France, "sans forcément avoir beaucoup d'informations sur la qualité de nos investissements"... avant de se tourner vers le digital. Si la marque a fait un test, il y a un an et demi, sur Prime Video, pendant des matchs de la Ligue 1 de football, les performances ne sont pas encore au rendez-vous. "Nous avons fait de jolis contenus autour de l'éclairage connecté, dans un spot, mais sans cibler une audience particulière. Toutes les personnes qui regardaient le match sur Prime ont vu notre spot, avec des retours mitigés car elles n'étaient pas toutes dans la cible, regrette le Commercial Leader de Signify, qui attend que l'offre de télévision segmentée devienne plus abordable pour "s'y mettre" et pouvoir, ainsi, "cibler la bonne audience, sensible à l'éclairage" et "ajuster nos investissements".
La diversification des acteurs : du retail... au commerce media?
Le retail media ne semble plus réservé aux seules grandes enseignes ou grands e-commerçants. De plus en plus d'acteurs, de secteurs différents, montrent leur intérêt, à l'instar des services de livraison comme Deliveroo ou Uber Eats, du voyage ou de l'automobile. "Des institutions financières commencent aussi à s'intéresser au retail media, glisse Thibaut Munier. D'abord comme annonceurs, mais probablement aussi, à l'avenir, comme plateformes". Uber Eats a ainsi développé une nouvelle verticale permettant à ses clients de se faire livrer, en plus de repas : des fleurs, du chocolat, de l'alcool ou de l'électronique, notamment. "Nous avons un partenariat avec le groupe Carrefour et le groupe Casino pour permettre la livraison de courses, explique Grégory Blay-Desforges patron de Uber Advertising France. La relation avec les marques CPG (Consumer Packaged Goods, NDLR) est devenue prépondérante et nous les accompagnons sur le développement de leurs ventes sur ce nouveau canal qu'est Uber Eats."
"Face à cette multiplicité des secteurs intéressés par le retail media, on voit aussi émerger des modèles différents, partage Thibaut Munier. Il y a le modèle coeur historique des retailers et des marketplaces, mais, aussi, des modèles multi-retailers avec des plateformes de type buy-side (Citrus Ad, Criteo) ; les non-retail merchants (à l'instar de Marriott ou d'Expedia) et les intermédiaires de commerce (comme Uber et Instacart)."
Du retail media à la data collaboration
Derrière la démarche "média" évidente du retail media, se trouvent aussi des enjeux data. Pour les marques, qui disposaient jusqu'à présent de peu de données transactionnelles, il s'agit ainsi d'accéder à ces données. "Cela sous-entend une data collaboration, sous plusieurs modèles, explique le co-CEO de Numberly, à l'instar des collaborations entre marque et distributeur, comme c'est le cas entre Nestlé et Carrefour".
Autre type de collaboration "data" : entre marques, de secteurs différents. "On parle d'opérations de collectes co-brandées pour lesquelles deux marques décident de raconter une histoire à deux pour mieux collecter de la donnée. C'est le cas par exemple de Purina et Rowenta (marque du Groupe Seb, NDLR) qui se sont associées avec cette évidence : quand on a des animaux de compagnie, on a besoin d'un aspirateur", illustre Thibaut Munier, convaincu que ce type de collaboration va fleurir dans les prochains mois. "Chez Numberly, nous avons une liste longue comme le bras de marques qui nous demandent de les aider à trouver un partenaire", glisse-t-il.
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Troisième exemple de data collaboration : la clean room, "qui est une opportunité pour les marques de fédérer un écosystème, de faire venir les retailers... chez elles", précise encore Thibaut Munier, exemple à l'appui : "Aux États-Unis, Hill's, la filiale de pet foods de Colgate a décidé de lancer une clean room, après avoir vu le déploiement de la clean room de Carrefour. Ils nous ont appelé du fin fond du Kansas pour faire la même chose, avec la contrainte que les retailers avec qui ils travaillaient n'étaient pas équipés pour ce projet. Plusieurs distributeurs ont accepté de partager leurs données dans la clean room, à la condition qu'un tiers de confiance puisse avoir accès à ces données et non la marque, qui avait pourtant payé l'infrastructure." Les résultats sont impressionnants. "Près de 50 % des achats individuels de la marque Hill's aux États-Unis sont rattachés à un individu inclu dans cette clean room et près de 50 % des impressions médias sont rattachés à un individu présent dans cette clean room."
Autre modèle qui pourrait venir au service d'une collaboration "data" : l'abonnement. Le partenariat entre Netflix et Carrefour est un exemple de cette tendance. Le distributeur et la plateforme de VOD ont annoncé le lancement le 15 janvier d'un abonnement commun. Pour 5,99 euros par mois, les clients bénéficient ainsi d'une réduction de 10 % sur les produits des marques Carrefour et d'un abonnement Netflix standard avec publicité - une offre en test dans les agglomérations de Rouen et Bordeaux. Un partenariat gagnant-gagnant puisque Carrefour possède de nombreuses données transactionnelles quand Netflix a en sa possession beaucoup de données régulières, fidélisées, et dont les consentements ont été recueillis.
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