[Tribune] La data, nouvelle variable du positionnement des marques
Cela ne fait plus débat : la valeur des données " 1st party " est considérable pour les entreprises et sera de plus en plus déterminante car elle est au coeur de la réussite des expériences client. Toujours plus contextuelles, toujours plus personnalisées, bref, toujours plus consommatrices de data.
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Nous nous sommes penchés avec la délégation Customer Marketing de l'AACC -en partenariat avec Opinion Way- sur la manière dont les Français envisagent leur rapport à la data et ce qu'ils attendent des entreprises en la matière.
C'est un rapport paradoxal. Les Français sont loin d'un caricatural rejet de l'utilisation de leurs données personnelles (62% des 18-24 ans, par exemple, saluent le fait que les marques soient de plus en plus transparentes dans l'utilisation des données personnelles) sans pour autant être pleinement rassurés : 3 Français sur 5 affirment encore ne pas faire confiance aux marques quant à l'utilisation de leurs data sur internet.
Ce qui émerge, en tous les cas est qu'il faut désormais considérer le rapport à la donnée comme une variable du mix marketing à part entière, qui envoie un signal positionnant aux utilisateurs sur les marques qu'ils choisissent. Si je suis une marque, ce que je fais de vos data, ce que je choisis (ou pas) de vous demander contribue à me définir. Au même titre que d'autres attributs de mes produits ou de mes services.
Voilà qui est exigeant, autant que stimulant pour les entreprises. Apple l'a bien compris, qui en a fait le coeur de son positionnement et est ainsi extrêmement bien évaluée en matière de respect des données de ses clients.
A partir des résultats de notre étude AACC, je vous propose quelques pistes sur la manière dont les marques peuvent éclairer leur utilisation de la donnée client et en faire un attribut de leur positionnement.
Donner des clés pour comprendre l'usage qui est fait de la donnée captée
La moitié seulement des Français déclare comprendre la manière dont les marques utilisent leur data. Il est rassurant de constater que ce chiffre monte à 61% chez les 18-24 ans, plus avertis, mais le devoir de pédagogie reste évident. Si je partage une information, à quoi va-t-elle réellement servir ? Et cet usage est-il porteur d'un bénéfice clair pour moi, en tant que consommateur ? Des questions très légitimes.
Une réponse simple : transparence, lisibilité. 76% des répondants de notre enquête affirment être plus fidèles aux marques qui utilisent leurs informations avec justesse et transparence. Il s'agit donc de savoir le leur montrer.
Pour aller plus loin, il me semblerait intéressant d'informer aussi les gens sur l'usage qui est fait de la donnée captée même si elle est 'non déclarative' et issue de leurs comportements simplement observés (sur les sites de marque par exemple). Un bon moyen de pousser plus loin cette logique de transparence et d'envoyer un signal pédagogique fort.
Savoir se montrer généreux
Nous avons interrogé les Français sur ce qui serait le plus à même de les pousser à échanger leurs données personnelles et, avec un écart important vis-à-vis des autres contreparties proposées dans notre enquête, c'est clairement la compensation financière qui l'emporte pour 41% des personnes interrogées, assez loin devant " un service qui vous corresponde mieux " (seulement 30%).
Le message est limpide.
Au-delà des fréquentes offres de réduction contre inscription à une newsletter, par exemple, il y a finalement assez peu d'initiatives de marques qui vont directement dans ce sens. C'est donc un terrain riche à explorer même s'il induit un mode relationnel transactionnel qui ne peut évidemment s'appliquer à toutes les marques. Quoique. Une chose est sûre en effet, les clients sont tous convaincus que leur data a un prix. Et qu'il est donc normal qu'ils soient rétribués pour son partage. Donnant-donnant.
Il reste à chaque marque d'inventer le type de générosité qui lui correspond le mieux pour récompenser ses clients des précieuses informations qu'ils acceptent de partager avec elle.
Aborder le sujet de l'éducation des enfants
Incontestablement, l'apprentissage de la protection des données est un sujet devenu majeur pour les parents qui sont 93% à affirmer être vigilants avec leurs enfants pour qu'ils évitent de partager leurs données sur internet. Cette dimension, émergente, de la protection des utilisateurs est assez peu exploitée aujourd'hui alors que l'éducation des plus jeunes en matière d'usages digitaux est devenu un sujet de préoccupation majeur. Préparer les futurs citoyens à vivre dans un monde de plus en plus digitalisé, où chacun doit comprendre qu'il laisse des traces et qu'elles ne sont pas anodines, c'est une mission dont l'utilité est incontestable. Donner des clefs pour accompagner cet apprentissage représente une opportunité, pour les entreprises, de se montrer en tous cas les alliées des parents.
Dédramatiser les algorithmes
A la question : " Que pensez-vous des algorithmes qui prédisent ce que les consommateurs peuvent aimer le plus, avant même qu'ils l'expriment ? ", 53% des Français déclarent que cela impacte négativement leur relation à la marque.
Nous les avons aussi interrogés sur leur perception plus générale des algorithmes et 24% déclarent qu'ils leur font peur (de manière surprenante, ce sont même 34% des 18-24 ans qui déclarent en avoir peur) et 23% qu'ils devraient même être interdits. Cette défiance témoigne d'une incompréhension de la réalité des algorithmes. On sait par exemple que les recommandations d'autres produits en complément d'un achat font désormais partie, pour les clients, des must-have d'un site e-commerce. Voilà qui est paradoxal : les gens en ont peur tout en en appréçiant l'utilité.
La pédagogie des algorithmes reste à faire. Cela n'est pas chose aisée, mais ne serait-il pas bienvenu de donner des clefs à chaque utilisateur pour lui permettre de mieux comprendre comment l'analyse d'un grand nombre de données d'autres clients lui a permis d'obtenir des suggestions de plus en plus pertinentes ?
Redonner le pouvoir aux gens
2 Français sur 5 seraient intéressés par la mise à disposition d'un trousseau contenant l'ensemble de leurs données qu'ils pourraient partager uniquement avec les marques qui les intéressent, pour qu'elles en sachent plus sur eux (cela monte à 66% des 18-24 ans). Parmi les plus intéressés : les femmes, les moins de 50 ans, les CSP + et les Français qui ont une meilleure connaissance (et confiance) dans l'utilisation des données personnelles.
Il s'agit ici d'usages plus matures, projectifs, et qui dessinent un possible rapport nouveau à la data que nous allons suivre de près...
En résumé
Le rapport des Français à la protection de leurs données est paradoxal ; la défiance demeure en partie, faute de pleine compréhension de ce qui est fait de leurs data -et elle se traduit notamment dans leur réticence vis-à-vis des algorithmes- et, pour autant, leur attitude ne peut pas non plus être qualifiée de rejet : ils sont conscients du bénéfice qu'ils peuvent tirer de l'usage de leur informations personnelles. C'est une question d'équilibre : le " deal " entre ce qu'ils consentent à partager et ce qu'ils en retirent est-il toujours le bon ?
Voilà une question essentielle pour les marques, dont la politique en matière d'utilisation de la donnée clients fait désormais partie des composantes déterminantes du positionnement. La façon dont elles utilisent la donnée clients est un signal fort qu'elles émettent. Il s'agit bien d'une variable du mix marketing absolument pas " technique " mais, bien au contraire un élément " communicant ", une clef du contrat relationnel avec les gens.