La MARQUE & le TERRITOIRE
Les territoires intéressent de plus en plus le marketing. On parle d'image, d'attractivité, et même de marque pour désigner une ville, une région, un pays. Mais la communication n'est que la partie immergée de l'iceberg. Le socle du débat demeure celui de la politique économique de l'Etat.
Sommaire du dossier
L'effet «Bilbao» a touché Metz. Si vous aviez interrogé un citoyen lambda il y a encore un an au sujet de Metz, au mieux aurait-il pu le situer sur la carte de France. Depuis, la ville s'est transformée en capitale culturelle avec l'ouverture du musée Pompidou en mai dernier. 14 ans après la redynamisation de la ville de Bilbao, désormais connue comme l'antenne basque du Guggenheim, Metz devient une ville attractive grâce à ce temple de l'art moderne. L'événement a des retombées économiques majeures. Mais la valorisation des régions désertées a réellement pris de l'ampleur avec la mise en place de véritables campagnes de communication, qui vantent les mérites de ces territoires, à l'instar des produits de consommation. Metz est sortie de sa léthargie aussi grâce à une campagne décalée, «Je veux Metz.com!», remarquée et primée (voir Marketing Magazine n° 147). De même, la création de la marque Bretagne, en janvier dernier, a fait sensation. Le fait qu'une région française adopte une telle posture de marque est une première. Avec un budget de 250 000 euros, le conseil régional et le comité du tourisme promettent de transformer le territoire breton en une «région produit» (voir l'encadré p. 32). Le buzz médiatique qui a suivi son lancement a inspiré non seulement les médias, mais aussi les professionnels du marketing. CoManaging, qui a accompagné le projet, réfléchit en ce moment à une marque alsacienne... La brèche ouverte incite à se poser des questions sur cette nouvelle géographie. Qui décide de faire d'un territoire un objet de promotion? Est-ce qu'une entité géographique peut s'envisager comme un produit qu'on placerait en tête de gondole?
La grande majorité de la promotion des territoires est aujourd'hui touristique puis, par ricochet, revêt un aspect économique. Citons des opérations comme Le Havre, «Je vis ailleurs», Bordeaux, avec son audacieux «Point G comme Gironde» ou encore la Bourgogne et son slogan «Tourist or not tourist». Mais l'attractivité des territoires comme seul objet marketing est un phénomène récent. En effet la transformation de lieux en marques restent rares. Même si quelques exemples émergent. C'est le cas de Hubstart, le hub de Roissy (lire l'encadré p. 30). Avant la Bretagne, l'exemple de Lyon, avec la marque OnlyLyon, a marqué les esprits. C'est le cas le plus benchmarké aujourd'hui. En 2005, le projet a été mis en place par Gérard Collomb, maire de la ville. « C'est une référence, explique Christophe le Bret, directeur de l'agence en marketing stratégique et attractivité des territoires Jacobis. Un partenariat s'est instauré très tôt entre tous les acteurs du développement et la stratégie marketing a été externalisée. Si les territoires ont appris à communiquer, ils ne savent pas encore se vendre seuls d'une manière cohérente. » En effet, la communication territoriale n'est en fait que le glaçage d'un millefeuille économique et politique complexe.
Pour Vincent Gollain
Vincent Gollain: (DADT)
«Un territoire ne devient pas automatiquement une marque.»
La lutte pour le Graal: l'attractivité
Sous l'effet conjugué de la mondialisation, de l'intégration européenne et de la décentralisation, les territoires sont entrés en concurrence. On parle aujourd'hui d'attractivité. C'est là que le marketing entre en jeu. L'attractivité renvoie à la capacité à attirer durablement des richesses humaines, économiques et financières. Aujourd'hui le marketing territorial se professionnalise et les moyens de communication lui ont permis de prendre un véritable essor. Mais il existe en réalité depuis la fin du XIXe siècle, avec l'impulsion des chemins de fer et de la promotion touristique. Il a muté à la fin des années 1970 avec des maires à la personnalité très forte, comme Georges Frêche à Montpellier ou Jean Bousquet à Nîmes. D'ailleurs tous deux sont des hommes de «mercatique», comme on disait alors. Le premier sortait de HEC et le deuxième a créé la marque Cacharel. Tous deux ont poussé les villes à se mettre en valeur. On relève cinq niveaux de lecture transversaux dans cet aménagement: les quartiers, les communes, l'intercommunalité (ou communauté de communes), le département, la région et enfin l'Etat. « L'aménagement du territoire est la pierre angulaire de cette question, explique Dominique Mégard, déléguée générale de Cap'Com, réseau des professionnels de la communication publique. Les maires ont deux soucis en tête: comment faire pour que mes habitants soient fiers d'habiter ici et quels moyens mettre en oeuvre pour en attirer d'autres? »
Pour l'agence de conseil et de communication Sennse, spécialisée dans les enjeux urbains et qui accompagne Toulouse dans l'accueil du TGV en 2020, l'exercice est complexe et passionnant à la fois. « Il faut mener le débat public
Les territoires constituent une manne pour le marketing. L'agence Sennse s'est spécialisée dans ces enjeux.
Christophe le Bret: (Jacobis)
«Dans le secteur public, le marketing territorial s'externalise.»
Hubstart Paris: un nouveau territoire créé de toutes pièces
Hubstart Paris est à la fois un nouveau lieu et une marque. Elle couvre un large territoire, qui s'étend sur une partie des départements de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val d'Oise, autour des aéroports de Paris-Charles de Gaulle et du Bourget. La démarche vise à rendre ce territoire plus attractif à l'international. Elle est née sous l'impulsion de L'Agence régionale de développement (ARD) de Paris Ile-de-France et accompagnée par l'agence Beaurepaire. L'objectif est de renforcer l'attractivité de ce territoire, ce qui revient à promouvoir les projets d'aménagements économiques de la zone. Le Grand Roissy est le seul hub en Europe qui ne soit pas saturé. « Avec Hubstart Paris, nous avons pour ambition de positionner le Grand Roissy comme la place aéroportuaire la plus performante de la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique (Emea), mais aussi de réduire, à moyen terme, le bilan carbone par emploi », explique Vincent Gollain, aux commandes de la stratégie marketing de ce nouveau territoire. Plusieurs projets vont naître dans les prochaines années, comme Euro-Carex, premier réseau européen de fret par train à grande vitesse (2015). On peut aussi citer l'extension du parc international d'exposition de Paris-Nord Villepinte, qui atteindra 350 000 m2, et le projet de Cité de l'exposition et de la communication, la création d'un parc d'activités international sur la ZAC Sud CDG, la construction d'un World Trade Center, incluant sept hôtels, l'aménagement de la zone «Triangle de Gonesse», etc. Cette stratégie a permis d'élaborer une offre de services aux investisseurs étrangers et associée à la marque Hubstart Paris, de mener des actions de lobbying et d'élaborer un site de communication dédié. Une entreprise vient de s'implanter, Jet Aviation, créant une vingtaine d'emplois. Plus de 20 partenaires publics et privés sont au coeur de cette démarche.
Les marques-villes
Lors d'une opération de valorisation du territoire, le «millefeuille administratif» se met au service de la com'. « Il ne s'agit plus seulement d'organiser des projets, mais aussi de se faire connaître, en valorisant les ressources locales. A la traditionnelle vente des produits de la ville, comme les biens et les services, s'ajoute la vente de la ville elle-même comme «produit», explique Benoît Meyronin
Pour Xavier de Fouchécour, directeur de l'agence Beaurepaire (qui dispose en son sein d'un département Territoires depuis une dizaine d'années), « un nom et un logo ne suffisent pas. Une marque n'exprimera qu'une intention. Un territoire n'est pas une marque, il ne se vend pas. Ce que l'on crée ne pourra jamais être autre chose que la marque d'un territoire de communication. Paris, par exemple, ne peut pas s'encapsuler dans une marque. Vouloir en bâtir une relève de la vanité ». Ici, la marque ne revêt pas forcément un caractère marchand. On ne s'empare pas d'une parcelle géographique comme d'un produit normé. « Nous nous plaçons dans le champ de l'immatériel, des valeurs de développement humain et non dans le profit, comme c'est le cas pour des marques de consommation courante », continue Dominique Mégard.
Un sondage exclusif
Selon un sondage
Des frontières virtuelles
Le marketing territorial a accompagné l'évolution de la perception des territoires par leurs occupants. La réelle nouveauté, c'est qu'aujourd'hui, la géographie et ses frontières sont mouvantes. « Les territoires sont avant tout issus d'un découpage administratif et celui-ci a de moins en moins de pertinence par rapport à l'usage qu'en font les habitants », explique Xavier de Fouchecour. « En effet, on vit à un endroit, on travaille ailleurs et on traverse d'autres villes. Finalement, se dessine une sorte de géographie du moi, où chacun devient son propre territoire, lequel peut commencer au café du coin et se prolonger jusqu'à l'autre bout de la planète, via Internet. La géographie cesse alors d'être une surface pour devenir un réseau. » De fait, le territoire constitue avant tout un espace imaginaire, lié à certaines valeurs. L'Ardèche s'est positionnée, très tôt, comme un département numérique par exemple. Segonzac, près de Cognac, communique sur un nouveau concept, celui de ville lente... Un tabac! Les urbains et les touristes adorent ce positionnement original. Les commerces, les services et l'immobilier retrouvent des couleurs...
« La communication territoriale est liée à un effet de mode, qui ne va pas durer éternellement, prédit Dominique Mégard. On reviendra ensuite peut-être à une définition plus rationnelle de l'attractivité des territoires. Car cette problématique est politique, au sens premier du terme, donc complexe et passionnante. » Jean-Yves Heyer, directeur général d'InvestInReims, agence de développement économique financée par la CCI, Reims et Reims Métropole, soutient qu'«il faut inventer une petite musique rassurante pour le dirigeant qui décide de s'installer chez nous. Ce qui résume notre action, c'est le sigle FETE, pour Famille-Entreprise-Touriste-Etudiant. Nos cibles de prédilection. Notre campagne avec les ambassadeurs, lancée en 2003, a remporté un franc succès ». En effet, d'Alain Afflelou à Gérard Mestrallet, en passant par Michel Edouard Leclerc et Isabelle Adjani, tous ont accepté de poser pour Reims, sous le slogan «Programmez votre réussite à 45 minutes de Paris». Après vingt ans passés dans le marketing et 57 présentations publiques de sa stratégie, son enthousiasme est intact: « Nous avons misé sur le celebrity marketing, avec 157 people qui ont popularisé la ville. La prouesse était de parvenir à ne pas employer le mot champagne! J'étais lassé d'être pris pour un négociant en spiritueux ». La politique de communication de Reims reste vivante et présente toujours de nouveaux visages. La ville réfléchit également à un nouveau nom pour désigner son territoire. Enfin, l'Adetem a créé, en mars dernier, un club dédié au marketing territorial, preuve en est que le thème anime les marketeurs. Le sujet fait l'unanimité et déchaîne les passions, car tous (citoyens, entreprises et élus) ont un avis, une idée, un attachement aux lieux dans lesquels ils vivent. Personne ne peut être totalement indifférent... Certains peuvent considérer ce soudain intérêt pour le marketing territorial comme éphémère, d'autres s'attachent à le rendre plus accessible. Le député du Var, Jean-Pierre Giran, a déposé en février dernier une proposition de loi visant à encadrer la communication des collectivités, arguant qu'elle serait trop coûteuse. Le marketing territorial est l'un des enjeux des prochaines échéances électorales. Mais le marketing cède ici le pas à la politique...
Deux «villes-marques»: InvestinReims, et ses 157 ambassadeurs et OnlyLyon, le précurseur et le plus benchmarké.
Xavier de Fouchécour: (Beaurepaire)
«La géographie du territoire cesse d'être une surface pour devenir un réseau ; Internet a bouleversé les frontières.»
Breiz marketing
Pour la première fois en France, une région fait le pari de se doter d'une marque pour valoriser son image et accroître sa puissance d'attractivité dans le monde. Les entreprises, collectivités, universités et associations sont invitées à l'intégrer dans leur communication. « Dans un contexte mondial de concurrence entre les territoires, l'image des régions est déterminante », assure Jean-Yves Le Drian, président du Conseil régional de Bretagne. Et c'est bien pour se démarquer que la Bretagne a lancé le 27 janvier sa marque de territoire. D'autres villes ou agglomérations européennes, comme Lyon, Amsterdam ou Copenhague, ont déjà adopté ce type de démarche, mais il s'agit d'une grande première au niveau régional. Porté conjointement par le Conseil régional, l'Agence économique de Bretagne et le Comité régional du tourisme, le projet est né à la fin 2008. « La Bretagne bénéficie d'un fort capital de sympathie mais il nous semblait important de créer une marque pour exploiter nos atouts et corriger nos faiblesses », explique Jean-Yves Le Drian. Objectif: diversifier, rajeunir et dynamiser l'image de la région. « Celle-ci souffre parfois d'une vision passéiste et d'une méconnaissance de sa dimension économique et technologique », déplore Joël Gayet, fondateur du cabinet CoManaging, qui a été chargé de réaliser une vaste étude sur l'identité du territoire. Celle-ci a permis d'analyser en profondeur la personnalité et les caractéristiques de la Bretagne, afin d'établir son portrait. 4 700 personnes ont apporté leur contribution, parmi lesquelles 200 experts (historiens, géographes, sociologues, conteurs, photographes, conservateurs). A suivi une réflexion sur la stratégie de marque. Une enquête a été menée auprès des acteurs économiques et touristiques régionaux, pour analyser leur perception de l'identité du territoire et comprendre leurs attentes. Le positionnement marketing de la Bretagne, «Le pays qui crée du lien, transforme et donne la force», s'appuie sur quatre valeurs: l'engagement, le sens de l'intérêt collectif, l'ouverture et l'imagination. Le coût total de l'opération s'élève à 250 000 eu ros, financés par le Conseil régional.
Une boîte à outils en libre-service
Le code de marque imaginé par l'agence lyonnaise Communiquez est un système ouvert, conçu comme une boîte à outils à disposition de tout acteur qui souhaite se référer à la Bretagne dans sa stratégie de communication. On peut y puiser un certain nombre d'éléments graphiques et lexicaux, des couleurs typiques et se référer aux sept signes d'expression de la marque qui ont été révélés par l'étude. On y trouve aussi un logo, créé par Xavier Mercier, de l'agence Communiquez. En noir et blanc, il fait référence au Gwenn ha du, le drapeau breton, grâce aux trois bandes qui composent les lettres E. Les futurs partenaires de la marque pourront l'apposer sur leurs supports de communication dans un cadre bien réglementé. Il faut pour cela déposer un dossier de candidature qui sera examiné par le comité de la marque. L'équipe cycliste Bretagne-Schuller a été l'une des premières organisations à adopter la marque Bretagne. Le logo apparaît sur son nouveau maillot et ses véhicules. « A ce jour, la marque Bretagne n'a pas à vocation à apparaître sur des produits », précise Jean-Yves Le Drian.
Et pour cause, puisqu'il existe déjà un autre label, baptisé «Produit en Bretagne». Cette association regroupe 250 entreprises qui ont choisi d'associer leurs produits au logo jaune et bleu avec un phare. A priori, les deux marques n'entreraient pas en concurrence. Produit en Bretagne aurait même été consultée. Selon son président, Jacques Bernard, « Produit en Bretagne s'est tout naturellement associée à la démarche d'attractivité globale développée par la région, sans qu'il y ait, à ce stade, d'interférence entre notre phare emblématique et la marque de territoire ». L'association travaille actuellement avec l'Agence économique de Bretagne à l'élaboration d'une nouvelle marque regroupant des produits et services à haute va leur ajoutée. Une de plus...
Solenne Durox