Comment générer des émotions à travers des expériences digitales ?
Du storytelling à la vidéo en passant par les technologies immersives, le digital se révèle un extraordinaire terrain de jeu émotionnel. Retour sur " Les sens du digital ", le programme de conférences concocté par "Net-Managers", un événement annuel organisé par Eventiz.
La création d'émotions est clé pour inspirer et gagner de nouveaux clients autant que pour fidéliser et s'imposer comme une "love brand". " Le consommateur n'est pas rationnel ", affirme d'emblée Nicolas Beretti, co-fondateur de BrainsWatt, agence de consulting spécialisée dans l'innovation. Une assertion qui repose sur un constat scientifique : " Nous sommes biologiquement incapables d'être rationnels : notre cerveau limbique, émotionnel et affectif, décide 7 secondes avant notre cerveau cortical réfléchi. Or, l'état émotionnel conditionne notre appréciation du réel, et donc notre façon de consommer ". Autrement dit, plus une marque capitalise intelligemment sur l'émotion, plus elle sera à même de générer de l'engagement, de provoquer l'achat et de susciter de la recommandation. Et ce, sans faire du prix l'alpha et l'oméga du mix-marketing et de la décision d'achat. " Une marque qui capture votre esprit gagne un comportement ; une marque qui gagne votre coeur gagne un engagement ", résume Nicolas Berreti, citant l'expert et blogueur Kent Huffman. Une stratégie de marque émotionnelle dont Apple constitue un modèle en soi : " Des centaines de personnes qui font la queue devant l'Apple Store pour la sortie d'un iPhone, et le client qui sort victorieux du magasin son dernier modèle à la main comme un trophée, le tout applaudi par les employés, est-ce vraiment rationnel ? ", interroge le directeur associé de BrainsWatt.
Faites appel au cerveau droit de vos clients
Pour Nicolas Berreti, la réussite d'Apple réside entre autres dans cette capacité à adresser le cerveau droit de ses clients, plus émotionnel et créatif. " Les gens n'achètent pas ce que vous faites, lié au cerveau gauche, ils achètent pourquoi vous le faites, lié au cerveau droit ", a-t-il continué. C'est pourquoi les marques émotionnelles inscrivent leur démarche et leur raison d'être au centre de toutes leurs actions, bien avant leurs fonctionnalités produit. " Pour toucher le coeur de ses clients et ses prospects, une marque doit d'abord partir du "Why" (ce pourquoi une marque fait ce qu'elle fait), puis le "How" (comment elle le fait), pour finir par le "What" (c'est-à-dire le produit en lui-même) ", déroule le conférencier. Si Apple convainc et réussit à séduire et fidéliser autant de clients, malgré son prix peu compétitif, c'est en partie parce que les clients sont alignés avec le "Why" de la marque : rendre la technologie belle et simple. Pour traduire son "Why", la marque à la pomme s'appuie sur le design, son "How" : toute l'expérience client est pensée et unifiée à cet aulne, du packaging au produit en passant par le logiciel. Pour parvenir à créer une telle expérience de marque premium, marketeurs et designers doivent faire preuve d'une vraie obsession pour les détails. " Dans la droite ligne de sa promesse de marque de luxe, BMW a ainsi fait travailler 17 ingénieurs pour mettre au point l'identité sonore de sa porte qui, lorsqu'elle se claque, reproduit un bruit feutré propre aux codes du luxe ".
Ne perdez pas de vue votre "Why"
Le pure-player Zappos a également fait sien cette approche : beaucoup plus que son produit - son "What" avec les chaussures -, le site e-commerce racheté à prix d'or par Amazon en 2009 vend d'abord et avant tout une expérience client "whaou". A l'ère du digital et des réseaux sociaux, l'avis d'un client est l'un des meilleurs outils marketing d'acquisition et de fidélisation pour une marque. Nicolas Berreti relate une anecdote qui montre la manière dont Zappos a su transformer une expérience client négative et déceptive en une expérience à haute valeur ajoutée pour le consommateur comme pour la marque : " Confrontée à un problème de livraison, Zappos s'est vue interpellé par une cliente qui attendait en vain son produit pour son mariage. L'entreprise s'est employée à trouver une solution rapide et gratifiante pour sa cliente : outre la livraison express physique en direct, Zappos a remboursé le montant du produit et lui a offert un statut VIP. Résultat : la cliente s'est tout à la fois montrée surprise et ravie, recommandant chaudement la marque. " En creux, cette histoire montre aussi l'importance de la réactivité : " Les marques qui savent répondre rapidement aux attentes et besoins de leurs clients parviennent à se différencier beaucoup plus facilement. Aujourd'hui, 83% des marques ne répondent pas dans les 72 heures. "
Vers une relation client digitale humanisée
Si Zappos a réussi à s'imposer comme un modèle en matière de relation client, c'est parce qu'il s'appuie sur une culture de travail 2.0 qui valorise l'interaction et la relation humaine : les collaborateurs sont tous formés à l'obsession de la satisfaction client. " Plus il y a du digital entre une marque et ses consommateurs, plus le besoin d'émotion et de proximité est important ", analyse Nicolas Berreti. Ces "assets" sont humains et non algorithmiques : en atteste par exemple le service face-to-face visioconférence de Free, lauréat de la Palme de l'Expérience Client 2015 attribué par l'AFRC qui permet à tout client de l'opérateur de faire appel à un "Free Helper". L'activité de Howtank, inventeur du Click to Community® s'inscrit dans la même veine. Pour Rémi Woronkiewicz, Head of Growth de la société créée en 2012, les sites e-commerce doivent être avant tout des lieux de rencontre où l'utilisateur est considéré comme une personne à part entière avec ses envies, ses craintes, ses curiosités. Pour remettre l'humain au coeur du Web, Howtank qui a séduit des marques comme Blablacar, PriceMinister ou AlloResto et La Redoute, mise ainsi sur un réseau social et un tchat communautaire. Quel meilleur moyen pour nouer des relations fortes et rassurer les visiteurs que de construire une communauté des meilleurs clients à qui l'on donne la parole ?!
Publicité : cap sur le storytelling émotionnel
L'émotion joue également à plein dans la réception du message publicitaire. A l'instar de Mondial Assistance qui a choisi de raconter une histoire sur le mode d'un court-métrage pour sensibiliser les personnes à son produit : " Plus qu'une remise de prix - élément rationnel s'il en est -, c'est par le biais de l'émotion et en l'occurrence en jouant sur la peur, que nous parvenons à toucher les gens. Si l'acquisition s'appuie sur le levier émotionnel du film vidéo, la fidélisation repose sur du serviciel via notamment notre application mobile ", livre Quentin Poizat, directeur e-commerce du groupe d'assurance voyage.
Afin de proposer une expérience inspirante tranchant avec celle, pauvre et orientée à la performance, que proposent aujourd'hui les sites de recherche et de réservation, et in fine recréer un environnement propice à l'achat d'impulsion, le fournisseur de solutions technologiques Amadeus et la compagnie aérienne United ont travaillé sur une plateforme qui se donne pour ambition d'être le "Shazam du voyage". Retenu et présenté lors du dernier South West by Southwest, le dispositif baptisé TravelCast a pour ambition de s'appuyer sur les contenus médias d'acteurs OTT comme Apple, Netflix ou Amazon pour inciter l'internaute à découvrir de nouvelles destinations. Concrètement, lorsqu'il regarde un film, l'utilisateur a la possibilité d'accéder à des contenus et informations inspirationnelles comme pratiques liés au lieu qu'il découvre sur son écran.
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Buzzman : miser sur l'authenticité et l'effet de surprise
A l'heure où le digital fait de la réclame et du temps de cerveau disponible des concepts éculés et obsolètes, l'émotion est ce qui permet d'émerger et de capter l'attention d'une part, et de créer l'engagement d'autre part. Cette vision publicitaire de nouvelle génération, l'agence de pub Buzzman en a fait son credo. Au départ ancrée sur le territoire du digital, l'agence utilise à fond les codes de la culture du Web pour construire des plateformes et signatures de marque rupturistes. " S'il n'y a pas de recette magique pour qu'une marque touche justement ses consommateurs, la base reste un excellent planning stratégique pour trouver un axe créatif fort ", rapporte Thomas Ceccaldi, directeur du développement chez Buzzman. Et pour que la mayonnaise prenne, deux ingrédients s'avèrent indispensables : l'authenticité et l'effet de surprise. Des ressorts dont l'agence de pub use et abuse pour son plus grand succès : depuis sa création, Buzzman a raflé plus de 150 prix et trophées dont, encore la semaine dernière, le Grand Prix Stratégies de la Publicité pour le second volet de sa campagne "Love your imperfections" (Meetic) et le Prix des Annonceurs pour sa vidéo digitale "Whos is the King" (Burger King).
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" L'authenticité est un ressort émotionnel très puissant : il s'agit de représenter les gens tels qu'ils sont dans la vraie vie ", explique Thomas Ceccaldi. En résumé, pour faire une bonne pub, il faut dépasser le discours publicitaire pour s'ancrer dans le quotidien des consommateurs. La campagne pour Meetic "I love your imperfections" incarne à merveille ce positionnement : pas de mannequins, ni de message fake autour du prince charmant, mais un clip très émotionnel basé sur le ressenti des célibataires en quête de l'âme soeur, et ce, quels que soient leur physique, leur âge ou leur sexualité. Le résultat : + 20% d'inscription et +100% d'amélioration de l'image de marque et du rapport qualité-prix du service, sur un marché ultra-concurrentiel marqué par la montée en puissance des applications mobiles comme Tinder ou Happn.
"Productising" : matérialité et expérience sensible
L'effet de surprise constitue un autre levier de poids pour générer de l'émotion et de l'adhésion. Paradoxalement, qui dit digital, dit matérialité : si les réseaux sociaux et de manière générale le earned et owned media sont clés pour viraliser et amplifier le message, rendre tangible et palpable l'expérience de marque projette les consommateurs dans une expérience sensible à même de marquer les esprits... et de provoquer un "good buzz" et raz-de-marée social. La boucle est bouclée. Cette démarche dite de "productising", qui consiste à utiliser le produit pour faire vivre la promesse de la marque, irrigue les recos de l'agence Buzzman qui en a tiré des campagnes singulières et innovantes : le "Carré manquant" de Milka, la "Love Kit" d'Ikea, l'"Insomny Coffee" de CanalPlay.
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Réalité virtuelle et technologies immersives
A l'autre extrémité du spectre digital, à la croisée de la réalité virtuelle et des neurosciences, les technologies immersives ouvrent un champ des possibles prometteur en matière d'expérience et d'engagement client. Poussées par des géants technologiques et publicitaires comme Facebook avec son Oculus Rift ou bien Google et sa Google Cardboard, les technologies de réalité virtuelle intéressent de plus en plus les marques. Pour promouvoir son nouveau modèle automobile connecté SUV XC90, qui va intégrer Android Auto, Volvo a lancé une application appelée Volvo Reality qui, via l'utilisation de la Google Cardboard, met l'utilisateur virtuellement sur le siège avant du nouveau véhicule, afin de lui donner un avant-goût très immersif à travers quelques scenarii.
Le secteur du tourisme est l'un des premiers à multiplier les expérimentations : afin de valoriser les atouts de son territoire, le Conseil général du Val d'Oise s'est appuyé sur le masque Oculus Rift pour concevoir un film immersif qui part à la découverte de sept hauts lieux du département. La Monnaie de Paris s'est également saisie de la technologie Oculus pour proposer la visite virtuelle de ses bâtiments. Etihad Airways est la première compagnie aérienne à réaliser une campagne publicitaire vidéo basée sur la réalité virtuelle.
Loin de se restreindre à la seule vue, l'immersion se fait aussi tactile via notamment la technologie haptic qui permet de recréer la sensation du toucher. Pour créer plus d'interactivité et de mémorisation du message, TF1 Publicité propose à ses clients annonceurs de faire vibrer leurs publicités diffusées en pré-roll sur smartphone et tablette. Un dispositif technologique qui a séduit Allianz dans le cadre de sa campagne "Allianz, conduite connectée" en octobre 2015 ou bien encore Carte Noire dans sa dernière campagne en mars dernier.
Pour se différencier sur le marché concurrentiel des tablettes tactiles, Fujitsu travaille de son côté sur une technologie qui permet d'éprouver des sensations tactiles sur une tablette grâce à des effets haptiques produits par des vibrations ultrasoniques. En faisant varier la friction entre l'écran tactile et le doigt de l'utilisateur, cette technique reproduit des sensations de relief et de rugosité.
Et demain ? Robots, iOt et téléportation
Pour Sophie Lacour, directrice générale d'Advanced Tourism spécialisée en prospective touristique et en robotique, nous n'en sommes qu'au début d'une ère technologique où robots, iOt et téléportation changeront progressivement mais radicalement l'expérience client. Visiter un lieu à travers les yeux de personnes télécommandées est déjà possible comme le montre l'initiative de l'office de tourisme de Melbourne qui propose à des internautes de télécommander à l'aide de Twitter et de Facebook deux touristes équipés de micro et caméra.
A l'oeuvre dans les laboratoires de recherche et de développement du monde entier, l'intelligence artificielle et l'interaction homme-machine sont l'objet de nombreux travaux et expérimentations, que l'on pense à l'e-peau, à la capacité de bouger des objets par la pensée (en 2014, une personne paraplégique équipée d'un exosquelette et d'un casque EEG(1) a donné le coup d'envoi de la Coupe du monde de football), ou bien encore au "body surfing", qui permettrait à tout a chacun d'échanger son corps !
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Si cette perspective donne des allures de science-fiction à l'avenir qui attend les marques et les consommateurs, et l'homme en général, elle n'en demeure pas moins réaliste pour la prospectiviste. Au titre des arguments : la vitesse d'accélération des technologies sous l'effet conjugué de la loi de Moore, des processeurs 3D et neuromorphiques (inspirés du fonctionnement du cerveau) et l'informatique quantique. A moyen et long termes, c'est ni plus ni moins qu'un basculement complet des stratégies de marque et d'innovation produit que prophétise Sophie Delcourt, qui prévoit ces changements structurels d'ici 2030.
(1) La télékinésie devient peu à peu une réalité grâce aux casques EEG, synonyme d'électroencéphalogramme, c'est-à-dire utilisant les signaux électriques du cerveau pour traduire nos "pensées" - sous la forme de connexions neuronales - en signaux binaires.
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