Internaliser la pub programmatique : oui, mais à quelles conditions ?
À l'occasion du Digital Benchmark organisé par l'EBG à Berlin, Claire Morlon (Air France), Aurélien Deschodt (Décathlon) et Benjamin Courdier (Sutter Mills) reviennent sur l'intérêt d'internaliser son achat programmatique, et les conditions à remplir avant de se lancer.
La publicité programmatique prend une importance croissante dans les budgets des annonceurs, et tire la croissance de l'ensemble du secteur comme le rappelle Benjamin Courdier, head of media du cabinet de conseil data Sutter Mills, en introduction d'une conférence donnée sur le sujet lors du Digital Benchmark organisé par l'Electronic Business Group à Berlin : "les achats programmatiques sont en hausse de 26% l'an passé en France, contre 17% pour l'ensemble de la publicité digitale. Le programmatique pèse près de 50% des budgets display !" Et si l'ombre de Google plane souvent sur le sujet, elle cache une multitude d'autres tendances : "Il y a une premiumisation qui touche près d'un tiers des inventaires disponibles en programmatique, mais aussi l'arrivée de nouveaux acteurs comme Amazon, mais aussi de nouveaux canaux, comme l'affichage digital ou l'audio." Et parmi ces tendances, il y a celle de l'internalisation des achats programmatiques.
Pour les entreprises, elle est censée répondre à un besoin croissant de transparence, mais aussi de montée en compétences des collaborateurs, afin de devenir de moins en moins dépendants des aléas de la vie de couple agence / annonceur. La hausse de la rentabilité est aussi évoquée, mais un tel résultat n'est pas à la portée de tous les annonceurs avance Benjamin Courdier, qui, tout en encourageant une plus grande maturité de ces derniers sur la question du programmatique, invite à savoir placer le curseur au bon endroit.
Une dizaine d'annonceurs vraiment prêts à internaliser
"Prendre le contrôle du programmatique et de sa propre donnée permet de ne plus être passif en déléguant totalement sa stratégie data-driven à son agence et son trading desk. Passer un contrat direct avec une DSP, ce qui revient à devenir propriétaire du tuyau par lequel passent les données et les campagnes, permet d'avoir plus de visibilité et de monter en maturité. Ceux qui le font ont le plus souvent déjà leur propre stack (DMP, datalake, etc.)", constate l'expert, qui compte sur les doigts de ses deux mains les annonceurs assez matures pour internaliser totalement l'achat programmatique : "Sur le Top 20 des annonceurs, la moitié a "pris un siège" chez une DSP, c'est-à-dire passé un contrat avec elle, le plus souvent avec Google, car le reste du stack et l'analytics sont aussi chez Google. Beaucoup le font aussi en dehors du Top 20, mais ils sont beaucoup moins nombreux à aller plus loin et à opérer les campagnes en interne comme Carrefour, Se Loger ou encore Air France, qui a été un pionnier en le faisant dès 2013. Il faut avoir un volume d'affaires et de data conséquent, mais aussi savoir mettre en place et gérer un trading desk. Cela se traduit par des investissements programmatiques à six ou sept chiffres, et au moins un an de préparation pour mettre en place les outils et former ou recruter les équipes. Bref, il faut parfois mieux savoir se concentrer sur son métier de base !"
Depuis le #Digital Benchmark de l'@ebg à Berlin, petit tour d'horizon des acteurs de la #pub programmatique (1/2 des budgets display / +26% en 2018) avant de parler d'internalisation et de maturité des annonceurs. #marketing pic.twitter.com/iwTYTaIpRR
- Emarketing.fr (@Emarketing_fr) 23 mai 2019
Lire aussi : Marketing B-to-B : repenser la programmatique
Illustration avec les témoignages de Claire Morlon et Aurélien Deschodt, respectivement Head of Media Buying et Digital Communication Leader chez Air France et Décathlon, deux annonceurs ayant différents degrés de maturité sur la question de l'internalisation. Alors que l'enseigne de sport gère ses investissements publicitaires pays par pays, empêchant une approche unifiée et donc interne de l'achat programmatique, Aurélien Deschodt explique réaliser 60% de ses achats média en programmatique pour le marché français. "L'internalisation de l'achat média digital est déjà effectif depuis 3 ans chez Décathlon, avec par exemple la mise en place par l'équipe interne d'une stratégie incorporant TVTY afin d'aller chercher des expositions supplémentaires auprès des audiences que nous touchons en TV.Mais il n'y a pas de sujet concernant l'internalisation du programmatique, du fait de l'absence d'un budget monde à gérer, et des compétences en interne qui sont à développer. Et si 50% des gros annonceurs passent des contrats avec des DSP, ce n'est pas encore notre cas", explique-t-il, ajoutant qu'une des problématiques de Décathlon est aujourd'hui d'orchestrer, de cibler et de localiser les communications des centaines de sous-marques de l'enseigne : "Nous avons par exemple lancé des marques de canoyoning ou de course d'orientation récemment. Il faut être très pointu dans le ciblage pour toucher les cibles de ces sports plus confidentiels, c'est pourquoi le DCO (dynamic creative optimization, ndlr) est aussi un sujet important chez nous en plus du programmatique."
Plus de transparence et de performance
De son côté, Claire Morlon a sous sa responsabilité un budget global destiné à 80 marchés différents, et dispose chez Air France d'une équipe de trois traders dédiés à l'achat programmatique, en plus des trois personnes responsables du social buying. "Le programmatique, et le display au global, est utilisé chez nous comme un outil de reach au CPM très compétitif grâce à l'internalisation. Le fait de partager le même open space permet aux équipes de mettre en place des stratégies d'audience, de mener des tests et de trouver des cas d'usage de façon plus fluide qu'avec une agence. De plus, travailler main dans la main avec l'équipe DMP nous offre plus d'objectivité dans l'interprétation des résultats. Nous comparons ainsi tous les canaux, et ne sommes plus tributaires des agences, qui ont parfois moins intérêt à être transparentes sur ce qui ne fonctionne pas !" Reste néanmoins pour elle et ses équipes à faire un travail de veille plus pointu, alors qu'à trois, on est "plus en vase clos que dans une agence qui compte une centaine de traders."
Se pose aussi la question de la gestion de la charge de travail, mais aussi de la formation et de la conservation des traders en interne : "Chez Air France, il nous faut au moins trois personnes pour pallier les congés et faire en sorte d'être constant tout au long de l'année. Mais il faut aussi s'assurer d'avoir suffisamment de business pour occuper trois traders toute la journée ! Heureusement, nous cherchons actuellement à tester de nouvelles campagnes, plus hautes dans le funnel et moins axées sur la performance, et nous reprenons aussi l'activité de la filiale Hop! en central. De quoi se poser la question du recrutement d'un quatrième trader", explique-t-elle, alors qu'Air France a déjà généré en 2018 près de 9 milliards d'impressions via le display. "Quant à la question de la fidélisation de ces profils sur le long terme, nous avons heureusement de nombreux métiers internalisés chez Air France, ce qui ouvre des opportunités de carrière."
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