"La force du design est de provoquer une attraction irrésistible", Sacha Lakic, designer
Signature de renommée internationale dans le domaine du design industriel, automobile et de mobilier, Sacha Lakic est une des références majeures de Roche Bobois avec son canapé Bubble devenu iconique. Il fonde en 2004 sa propre agence de design.
Comment êtes-vous devenu designer ?
Sacha Lakic : J'ai grandi aux côtés de mon père, styliste de mode installé à Paris après avoir quitté la Serbie, et comme tous les gamins, j'ai voulu l'imiter. Très tôt, de manière assez naturelle et spontanée, je faisais comme lui. Le soir avec ma petite lampe, je dessinais. Pendant que lui dessinait des vêtements, moi, je dessinais des moutons et des voitures. Mon premier coup de foudre pour ce métier est lié à une voiture. Petit, sur le chemin de l'école, je me suis arrêté en pâmoison devant une Ford Mustang de couleur vert bouteille, celle de Steve McQueen. C'est comme si finalement, cette voiture me disait "regarde-moi". J'ai commencé à l'observer. J'ai remarqué à quel point elle était différente des autres. J'ai eu envie de la reproduire sur papier.
Cela a-t-il agi comme un déclic ?
S. L. : Oui et bien plus tard, j'ai compris que c'était ça la magie du design. Cela agit comme une attraction irrésistible qui est générée par une forme, par des proportions parfaites, par des couleurs, des matières, des reflets, des lignes très évocatrices. Et c'est vrai que cette voiture, quand on la regarde sous certains angles, avec sa bouche de requin, elle est très agressive. Elle a aussi une prestance que n'ont pas les autres. C'est une voiture de sport conçue pour rouler vite. Et même à l'arrêt, elle évoque la vitesse. C'est magique.
Quelle est votre formation ?
S. L. : Je suis devenu designer industriel en carrosserie automobile. J'ai travaillé chez Peugeot, au design intérieur, aux côtés de Paul Bracq, une grande personnalité, qui m'a beaucoup appris, notamment à créer des maquettes en 3D. Technicien de formation, je comprenais très bien le langage des ingénieurs automobiles, leurs contraintes industrielles et leurs cahiers des charges rigoureux. Ensuite, j'ai travaillé pour l'agence de design d'Alain Carré et j'ai découvert d'autres univers. Puis le groupe japonais Yamaha m'a proposé de développer la marque Motobécane (MBK) pour le marché européen. J'ai aimé l'idée de créer de l'émotion à travers des objets. La culture japonaise m'a beaucoup appris... cette recherche de l'épure, du minimalisme émotionnel, cela m'a fasciné et a renforcé mon coup de crayon. J'ai appris avec eux le storytelling ou comment justifier une création auprès du service marketing, donc du client final.
Quelles sont vos principales réalisations ?
S. L. : J'ai remporté un prix en 1993 pour un scooter ultra-futuriste de MBK le "Black Crystal". En 1994, je m'installe comme designer en freelance et commence à travailler avec Bimota ou Piaggo et les motos Voxan. Puis mes collaborations avec Venturi (marque de voiture de sport française) et Roche Bobois marquent un tournant décisif dans ma carrière.
Racontez-nous l'aventure avec Roche Bobois...
S. L. : J'ai rencontré François Roche qui m'a proposé de travailler l'univers du mobilier. En 2004, j'ai conçu différentes collections pour la marque basées sur la dynamique de l'objet ; des meubles en bois (collection "Speed up") avec un modelage dynamique de la matière, des jeux de volumes carrossés, des rangements high-tech, des reflets laqués. Puis je crée des fauteuils et bien sûr l'iconique ligne "Bubble" jusqu'à devenir le designer phare de la marque avec plusieurs collections par an. Mais à chaque fois, je me remets en question, je crée à partir d'une page blanche. Pour imaginer le sofa Bubble, je suis allé puiser dans mes rêves d'enfant où je m'imaginais sur un tapis volant. Cet objet, c'est la métaphore d'un nuage. C'est tout rond, tout moelleux. On le regarde et on a envie d'être dedans. C'est une création majeure qui a été primée. Vingt ans après, il est connu des influenceuses du monde entier.
Quelles sont vos sources d'inspiration ?
S. L. : Très vite, j'ai compris que tout ce que j'aime se passe entre les années cinquante et jusque dans les années soixante-dix. Toute cette période est une grande source d'inspiration à tous les niveaux. Cinéma, musique, architecture, automobile, moto, mobilier, etc... En fait, je me sens à l'aise avec tout ce qui vient de cette période. J'aurais adoré avoir 30 ans, 35 ans dans les années soixante. J'ai le sentiment qu'il y avait une créativité complètement débridée. C'était vraiment un feu d'artifice créatif, je trouve, à tous les étages. Il y avait de l'élégance partout, il y avait de l'émotion partout, il y avait de la créativité partout. Socialement, je trouve que c'était fantastique aussi. J'avais l'impression que le monde entier était en paix.
Quel est votre rapport avec les autres services intégrés de l'entreprise ?
S. L. : Je tiens absolument à ce qu'il y ait un travail d'équipe. C'est important pour moi. Il y a de toute évidence une phase où je me retrouve seul avec mes idées. Il faut alors que je propose concrètement des choses. Mais très vite, il faut que ça fusionne avec une forme d'adoption de mes idées par les équipes. C'est important qu'il y ait cette notion de partage parce que seul, je ne peux pas faire grand-chose. J'ai besoin de leurs avis. Et tout comme eux, j'ai besoin que le produit soit un succès. Et pour que ça marche, il faut que je sois à l'écoute des aspects techniques, des aspects marketing, etc. C'est une aventure collective, mais je suis dans le process du début à la fin. Je modélise mes créations en 3D, je transfère tous les fichiers et cela rentre dans le programme industriel. Je suis, étape après étape, l'évolution du produit et j'interviens de manière plus intense à la fin du process, quand on est en phase de lancement et qu'il faut communiquer sur le produit, lancer le shooting des images, etc.
Quel impact le design a-t-il selon vous sur la notoriété et la désirabilité des marques ?
S. L. : Je suis bien obligé d'admettre que c'est la partie la plus importante. C'est devenu la partie la plus importante ces dix, vingt dernières années, je pense. Et c'est valable dans tous les domaines. Et je pense qu'il y a une explication très simple à ça, c'est que l'esthétique, c'est ce qu'on voit en premier lieu. Et vous êtes attiré ou pas à un produit parce qu'il ressemble à ça. Donc, soit il se passe un truc, soit il ne se passe rien. C'est d'autant plus vrai dans l'univers du luxe, sur des produits très innovants où l'esthétique joue un rôle majeur. Je pense que la découverte d'un produit passe par trois étapes : l'attirance, la découverte et le contact physique avec l'objet.
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Comment gérez-vous, traduisez-vous d'un point de vue artistique les attentes, les demandes des marques ?
S. L. : Je n'ai aucun problème, si c'est justifié, à adapter mon design. Je peux garder l'esprit initial tout en captant les critères, les exigences de confort et de fabrication du produit. Et c'est exactement ce qui s'est passé avec tous les canapés précédents, et y compris le Bubble. Et donc le Bubble, c'est simple. C'est-à-dire que non seulement il est confortable, mais en plus, il est confortable de différentes manières. Le produit continue d'évoluer (tissus, sangles, mousses...) avec des déclinaisons très premium et continue d'élargir son public.
Quels sont vos projets ?
S. L. : J'ai lancé en 2022, avec deux amis, la marque Bogarel, une ligne de mobilier pour chats, inspirée par les courbes célestes des planètes. Les produits sont faits de façon artisanale en France et en Italie. Je remarque souvent que les gens mettent énormément d'énergie et de goût à décorer leurs intérieurs, mais très souvent, il y a des meubles décevants pour les animaux. Je viens de créer une marque lifestyle, Blacktrack, présentée en pop-up store au Printemps Haussmann. Enfin, je travaille sur des projets de bateaux électriques, le lancement d'un club d'amateurs de vins et de passionnés d'automobiles, la création d'une carafe qui permet de maintenir le vin à bonne température tout au long de la dégustation.
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