Brand content : comme un air de "déjà-vu" ?
Dans un contexte de guerre de l'attention, le brand content tire son épingle du jeu pour générer de l'émotion. Alors que l'intelligence artificielle générative fait souffler un vent de nouveautés dans les pratiques marketing, le socle de la création de contenu doit rester le même : une bonne histoire, en phase avec les valeurs de la marque.
Je m'abonneToujours la même histoire... D'abord imaginer le récit, l'arc narratif. Puis, choisir le prisme par lequel le raconter. Faire entrer le consommateur dans son univers. Et créer de l'interaction avec lui. Les fondamentaux du contenu de marque, ou "brand content", sont, depuis son émergence, toujours les mêmes. Apparu à la fin du XIXe siècle, il a été incarné par Le Guide Michelin, offert pour la première fois en 1900 pour l'achat de pneumatiques, le Guinness Book ou encore Le Chat noir, la revue hebdomadaire du cabaret éponyme. "Le brand content désigne le fait qu'une marque soit éditrice de contenu, occupe l'espace public, voire crée son média. Tout ce que l'entreprise écrit ou produit au nom de la marque de façon construite et scénarisée est du brand content", rappellent Daniel Bô et Pascal Somarriba dans l'ouvrage de référence Brand content : les clés d'une stratégie éditoriale efficace et pérenne (Dunod).
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la tentation est grande pour les marques de se jeter à corps perdu dans la production d'un contenu calqué sur les dernières tendances, du métavers à l'intelligence artificielle générative, et ce, par "peur de rater quelque chose". Un syndrome du FOMO (fear of missing out) dont elles doivent pourtant à tout prix se préserver pour construire une stratégie éditoriale en adéquation avec l'identité de leurs marques et de leurs missions. Intégrer l'IA à sa feuille de route ? Pourquoi pas, mais en gardant en tête que la technologie "ne remplace pas la créativité", soutient Julie Dardour, vice-présidente de la Brand Content Marketing Association (BCMA) en France. Celle qui est aussi fondatrice de The House of Content, un cabinet de conseil en content marketing, brand experience et digital, rappelle qu'aux États-Unis, pays toujours en avance de phase, "l'IA est notamment utilisée pour réduire les tâches fastidieuses et parer aux erreurs de mesure des performances... mais pas pour produire du contenu". C'est ce qui est notamment ressorti d'une étude au sujet des pratiques de brand content pour les marques (voir encadré) menée à la demande de la BCMA par Daniel Bô, auteur, mais aussi P-DG de l'institut QualiQuanti.
Créer un univers de marque
L'IA n'est pas une fin en soi, mais elle peut être "une alliée créative", confirme Lionel Curt, président de l'agence Mnstr et de l'Association des agences conseils en communication (AACC) digital, qui croit, depuis toujours, en la puissance du storytelling comme socle de la création de contenu. "Malgré le fait que le champ des possibles s'élargit avec la technologie, qu'elle prenne la forme de NFT, de Web3 ou d'IA, les fondamentaux du brand content restent les mêmes : à savoir raconter une histoire qui génère des émotions, le moteur de l'action chez les consommateurs", appuie-t-il. Et tant pis si le scénario est du "déjà-vu"... pourvu que le dispositif génère de "l'interaction" avec les consommateurs.
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Parler au coeur des consommateurs. Les faire vibrer. C'est bel et bien la philosophie de l'enseigne spécialiste du poulet frit KFC qui croit en la force de l'émotion pour capter l'attention des citoyens et gagner en considération face aux géants du secteur des fast-foods. Depuis plus de trois ans, l'enseigne travaille, avec Havas Paris, sur une plateforme de marque qui met l'accent sur le "croustillant" du poulet et consacre 80 % de ses dépenses en média à des campagnes... qui ne parlent pas de prix. "Nous avons la volonté, depuis des années, de penser nos campagnes de marque au-delà d'un simple film publicitaire en créant des univers", explique Pierre Cailleau, directeur marketing de KFC en France. Après deux films centrés sur l'authenticité de la marque - dont le film Origins, salué par l'institut Kantar comme la publicité la plus efficace de sa base test dans le monde, en 2022 -, l'enseigne désirait se "renouveler tout en gardant [sa] recette créative "magique"", raconte Pierre Cailleau. En novembre 2023, la campagne "rétrofuturiste" Forever Crispy, qui projette la marque dans le futur, voit le jour. Comme pour ses précédentes campagnes, KFC France cherche à adosser à son film... un objet iconique, qui réponde au même univers et colle aux passions de la Gen Z, à l'instar du football, de la musique et du lifestyle... En l'occurrence, ce sera un manga, format totem des millennials, mais plus seulement. "Nous savons que nous pouvons gagner des points d'attention avec de grands films. Mais, pour aller chercher le supplément d'âme, le supplément de considération auprès de nos cibles, nous pensons nos campagnes comme le développement d'un agenda culturel, qui va bien au-delà de nos initiatives business", confie le directeur marketing.
Le manga, Crispy 2052, une épopée cyberpunk de 164 pages dans laquelle une IA tente de contrôler le monde et de s'emparer d'un restaurant de poulet croustillant, a nécessité huit mois de travail. Un projet mené tambour battant par la marque et son agence qui ont su s'entourer d'experts du manga : la maison Editis et le duo d'auteur-illustrateur Stanley et Dalmasso. Un parti pris. "Nous veillons chaque fois à respecter les codes de la catégorie que nous souhaitons préempter tout en y infusant le meilleur de KFC, et de ses valeurs. L'enjeu est de recréer un imaginaire positif sur notre marque, de la faire entrer dans la pop culture, mais sans dénaturer son histoire", développe Pierre Cailleau. En novembre 2023, le manga a fait son apparition dans 530 points de vente en France et en Belgique, et sur les plateformes e-commerce des incontournables Fnac, Cultura, E. Leclerc et Amazon. Un volume 2 pourrait-il voir le jour ? "Ce n'est pas impossible", répond le CMO de KFC, qui ne croit pas à la campagne "one shot" ou "game changer".
Transmettre de l'émotion... et penser rationnel
Cela tombe bien. Une "bonne" stratégie de brand content "s'inscrit dans un narratif à moyen/long terme", rappelle Lionel Curt. Pour cela, constituer une "Content factory s'avère un élément clé de la stratégie de contenu, assure Julie Dardour, car elle permet de réfléchir à l'utilité de la production massive de contenus, à la possibilité de son optimisation, de sa réutilisation, de son stockage". La vice-présidente de la BCMA France fait ainsi de cette entité responsable de la réflexion, de la production, de la rationalisation et de la diffusion du contenu, un indicateur de la maturité des marques dans leur stratégie de contenu. Le Groupe Seb, qui produit l'intégralité de ses contenus en interne, est l'un des pionniers de cette pratique.
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Wethenew, plateforme de ventes de sneakers, a, elle aussi, déployé une content factory comprenant une vingtaine de personnes. Dès la création de la marketplace, mi-mars 2018, le contenu a été placé au coeur de sa stratégie, comme le raconte Louise Bourne-Martinez, head of brand content de Wethenew : "J'ai été la première employée de la marque, en avril 2018, ce qui en dit beaucoup sur l'attention particulière portée par les cofondateurs de Wethenew au contenu et à la communication." La head of brand content s'attelle à nouer des partenariats d'influence, pour "faire grossir la communauté de la marque et acquérir de nouveaux clients", puis, très vite, elle prend conscience de la nécessité de nourrir cette audience de "contenus qualitatifs et inspirants". Puisqu'une grande partie de ses potentiels clients sont sur les réseaux sociaux, la marque - qui compte désormais un million de followers sur Instagram - s'attache ainsi à publier des posts esthétiques, quatre par jour, reflétant son positionnement premium. C'est dans l'optique de proposer "du beau contenu à sa communauté Instagram, mais aussi du bon contenu, intelligent et éducatif qui ne soit pas que des photos de sneakers", glisse Louise Bourne, que Wethenew a créé... un média, courant décembre 2021. Baptisé Le Blueprint, le média est hébergé sur le site e-commerce de Wethenew, pour bénéficier de son trafic de plus de deux millions de visiteurs mensuels (en moyenne), et les articles relayés sur son compte Instagram. Sa ligne éditoriale ? Des textes ou des vidéos sur des thématiques liées à l'univers des sneakers : la musique, la mode, les séries, le sport et l'e-sport, la food... "Tous les sujets qui touchent la nouvelle génération", résume Louise Bourne. En 2023, plus de 500 articles ont été publiés sur Le Blueprint pour 700 000 visiteurs uniques. "Nous avons l'ambition de devenir un média reconnu", confie la head of brand content, qui travaille à ouvrir cette audience à d'autres marques qui pourraient "acheter du contenu pour mettre en avant leurs projets, si ces derniers entrent dans notre ligne éditoriale". La boucle du brand content est ainsi bouclée ?
Renault se dévoile dans un court-métrage
La clé de l'intervention de forces de sécurité et de protection, ou d'équipes de soin, pour sauver des vies ? Le temps. De ce facteur crucial a germé, dans l'esprit de Marco Venturelli, CCO de Publicis France et CEO de Publicis Conseil, Time Fighters, un documentaire qui montre le quotidien des sapeurs-pompiers de Montigny-le-Bretonneux (Yvelines) et la collaboration entre les équipes de secours routier et Renault, seul fabricant au monde à intégrer un sapeur-pompier dès la conception de ses véhicules. Arnaud Belloni, global CMO de Renault, a planté la graine de ce "chef-d'oeuvre", réalisé par les frères Naudet (New York : 11 septembre) et récompensé de deux Cannes Lions en 2023 (un Silver et un Bronze) : "En 2022, nous avons soumis ce brief à Marco : Renault opère une bascule de son modèle. D'une marque qui fabrique des voitures, nous passons à une marque qui fabrique des voitures technologiques en s'appuyant sur trois piliers : l'électrification, la connectivité et la sécurité. Sur ce pilier de la sécurité, Renault investit depuis toujours, mais n'en parle jamais. Comment mettre en lumière nos initiatives ?" Par un documentaire qui "raconte une réalité méconnue", répond Marco Venturelli, notamment le fait que Renault donne des véhicules aux pompiers pour leur apprendre à les découper ou appose un QR code sur ses voitures qui renvoie à un module de désincarcération. Mais il s'agit aussi de faire en sorte que "la vision et les innovations de Renault sur la sécurité deviennent la norme dans l'industrie automobile dans les 5 ans". Diffusé sur Prime Vidéo, sur les réseaux sociaux et en télé, le film a été poussé dans 17 pays (Europe, Inde, Maroc...). "Nous avons déclenché un plan média massif pour faire connaître notre investissement en matière de sécurité", explique Arnaud Belloni. Un dispositif qui semble avoir porté ses fruits. Fort de 18 prix reçus dans le monde, le film recueille des indices de post-test (Kantar) au-dessus de la moyenne, à l'instar de son impact pour changer l'image de Renault (132), de la pertinence (152 vs 100, en moyenne) et de la considération (130).
Les 8 tendances du content marketing
Étude QualiQuanti et BCMA, 2023
1. Une gestion plus stratégique du contenu, avec la montée en puissance du Chief Content Officer comme chef d'orchestre de la planification.
2. Un modèle hybride des équipes du contenu, avec un management du contenu en interne et des ressources en externe sur des expertises.
3. L'importance de la Content Factory comme élément clé de la stratégie de contenu pour optimiser, réutiliser, restocker le contenu.
4. La catégorisation du contenu en 4 catégories : commerce (pages produit, retail media, par ex.), marketing (publicité, brand content, post RS), corporate et RH et RSE.
5. La recherche d'une production de contenu plus responsable et éthique, axée sur la valeur d'usage pour le public.
6. L'utilisation de l'IA pour réduire les tâches fastidieuses.
7. La prise en compte de l'impact sociétal du contenu : quelle est son utilité en termes de responsabilité sociale ?
8. L'évolution des contenus vers des formats et des expériences immersifs (réalité augmentée, métavers).