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[Cannes Lions 2024] La prudence des marques peut-elle devenir contre-productive ?

L'édition 2024 des Cannes Lions a permis à certains experts d'évoquer un phénomène qui s'est peu à peu généralisé dans le monde de la publicité : le manque d'audace et d'engagement des marques. Et si le fait de ne pas prendre de risques devenait... plus risqué ?

Publié par Matis Demazeau le | Mis à jour le
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"Nous appelons à voter pour...". "Rendez-vous dans les urnes pour faire barrage contre...". Si certains artistes et sportifs ont souhaité exprimer leur avis sur la situation politique actuelle dans l'Hexagone, aucune marque - ou alors elles se comptent sur les doigts de la main - n'ose se positionner. Dans une société aussi divisée, qu'ont-elles à gagner ? Pourquoi prendre un tel risque ?

Au-delà de cette stratégie du silence largement compréhensible dans le cas de ce sujet si sensible, un problème demeure dans le secteur de la publicité : les marques ne prennent plus suffisamment de risques. "Elles sont trop frileuses", lance Dominique Wolton, président du Conseil de l'Éthique Publicitaire (CEP), lors d'une conférence organisée mardi 18 juin à l'occasion des Cannes Lions 2024. "Les marques sont là pour vendre et pour séduire un maximum de personnes. Nous comprenons leur prudence : le prix à payer peut être très lourd lorsqu'une prise de risque est mal perçue. Surtout depuis l'émergence des réseaux sociaux", explique Christine Albanel, présidente de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) et ancienne ministre de la Culture et de la Communication, lors de cette conférence.

Christine Albanel (à gauche) et Dominique Wolton (à droite), mardi 18 juin, lors d'une conférence organisée à l'occasion des Cannes Lions 2024


Et lorsque les annonceurs s'engagent, ils le font sur les mêmes terrains, ceux qui fédèrent. Selon Christine Albanel, le manque d'audace des annonceurs peut, à terme, avoir des conséquences néfastes sur le marché publicitaire : "Cette situation est dangereuse car nous nous dirigeons vers une uniformisation un peu générale des messages publicitaires. Cela peut être économiquement catastrophique parce que si toutes les marques proposent des campagnes qui se ressemblent, en se reposant beaucoup sur l'émotionnel et sur les mêmes valeurs, elles ne peuvent plus surprendre les consommateurs et ne sollicitent donc plus vraiment leur attention", affirme-t-elle.

Une remise en cause de la sincérité des marques ?

Un constat que partage Sandrine Reinert, directrice générale de Jellyfish France : "Pour marquer les esprits, il faut quand même aller parfois sur un terrain original. Les marques pourraient s'engager davantage, ça c'est certain ! Et si elles ne le font pas, la publicité n'aura plus la même portée", soutient-elle.

Les annonceurs qui orientent majoritairement leur communication vers des valeurs universelles et fédératrices - mais désormais assez communes - prennent également "le risque d'être taxées d'insincérité", comme le note Dominique Wolton. "Les marques qui mettent en publicité (comme on met en scène) leur bienveillance doivent avoir conscience du retour de bâton possible si leurs actes ne sont pas en cohérence avec leurs déclarations", indique justement le CEP dans un rapport publié en juin 2024 en collaboration avec l'ARPP.

Le message est clair : la communication ne suffit pas. Les consommateurs - et surtout la jeune génération - attendent des avancées concrètes de la part des marques. "Est-ce que ces engagements doivent nécessairement se faire à travers la publicité ?, se questionne Sandrine Reinert (Jellyfish). C'est de l'action en réalité, ce sont de vraies transformations qui sont attendues. Et du coup, peut-être que c'est finalement risqué pour une marque de communiquer uniquement sur ses engagements", poursuit-elle.

Un risque pour la créativité publicitaire ?

Un autre risque demeure s'agissant du sujet phare du festival cannois : celui de la créativité. "Il y a 50 ans, le public avait droit à toutes les audaces créatives. Aujourd'hui, il est considéré comme connecté et averti. Les spectateurs n'ont plus droit par prévention, qu'à une bande passante de plus en plus étroite au motif qu'ils pourraient ne pas comprendre le second degré ou le décalage. Outre qu'il stérilise la créativité, un tel postulat témoigne d'une vision méprisante et infantilisante des publics", peut-on lire dans le rapport du CEP.

Selon Dominique Wolton, en plus "d'anesthésier la création" et "d'affadir le discours publicitaire", l'excès de prudence des entreprises a peu à peu provoqué l'effacement progressif du caractère amusant que pouvait revêtir la publicité. "L'humour est nettement moins présent dans les campagnes d'aujourd'hui. Nous ne rions plus", déplore-t-il. "Nous travaillons beaucoup l'émotion mais nous avons, collectivement, peu à peu abandonné le drôle", reconnaît, de son côté, la directrice générale de Jellyfish.

Les entreprises doivent donc être plus audacieuses et plus créatives. Au point d'être à contre-courant ? "Cela pourrait apporter de l'identité à une marque. Elle pourrait ainsi se faire davantage remarquer. Alors évidemment, il ne faut pas aller trop loin non plus. Mais si elle est sur un fil et reste dans la zone de l'originalité, alors la performance devrait être au rendez-vous", estime Christine Albanel. Se démarquer en prenant plus de risques ou rester dans sa zone de confort en risquant de ne plus surprendre les consommateurs ? Aux marques de choisir...

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