DossierJC de Castelbajac veut "rendre le marketing aux artistes"
1 - 40 ans d'incidents créatifs dans le marketing
Jean-Charles de Castelbajac revient sur la relation entre création artistique et marketing, à l'occasion de ses 40 ans de carrière.
"Mais papa, vous n'entendez rien au marketing!", dit Guilhem de Castelbajac à son père, de retour d'un stage chez Swatch, en Suisse. "Vos 4 P ne veulent rien dire. Vos produits sont inclassables, vos prix incompréhensibles, vos boutiques n'en sont pas vraiment et votre positionnement demeure un mystère." Jean-Charles de Castelbajac s'amusa, alors, de la révélation que venait de faire son fils. "On appelle cela comme on veut, mais mon travail suit bel et bien une stratégie. La mienne. L'incarnation de mes inspirations et de mes questionnements profonds. Je travaille en réalité beaucoup, même si on ne le devine pas forcément."
Après 40 ans de création, l'homme semble infatigable. Invité pour clore la première édition du Marketing Day, le 4 novembre dernier, aux Docks de Paris, il a fait vibrer la salle. Sur scène, il a livré une vision du marketing très personnelle contenue dans un sac de voyage : des gants Mapa, une casquette Lego, un pull Tintin, un dessin de Keith Haring, des escarpins pour Beyoncé... le tout ponctué de vidéos et de son électro pop. "Dans un monde devenu si dur, pourquoi ne pas laisser le marketing aux artistes?", se demande-t-il en descendant de scène. "Les gens du marketing font un métier très important. Ils procurent du rêve et doivent installer une émotion, une envie. Ce sont des "passeurs" entre une idée et son incarnation."
Pourquoi fait-on les choses?
L'époque est "entrée dans une triste horizontalité", déplore JC/DC - un surnom donné par le milieu du hip-hop -, "tout le monde copie tout le monde, comme dans un karaoké. Les marques que nous retenons, alors, sont celles qui parlent à notre subconscient affectif. L'art peut provoquer cette émotion. Une sorte de trouble qui n'est autre que du désir." Ce qui fascine le créateur, c'est la démarche initiale, quasi mémorielle, des créateurs de marques. "Celles qui durent continuent de répondre à une question simple : pourquoi suis-je là?", poursuit-il. Empreint de spiritualité, JC/DC est passionné par la genèse des choses. Ses propres big bang, qu'il nomme ses "accidents créatifs", sont souvent le point de départ de ses créations. "Tout ce que je vois, je veux me l'approprier et le transformer. La création m'est venue comme une armure, une forme de résistance lorsque j'étais au pensionnat. Un grand bricolage, fait de récupération de tout ce qui me tombait sous la main: des bouchons, des élastiques... Depuis lors, je provoque des accidents créatifs entre des choses qui ne sont pas compatibles. C'est pour cela que les collaborations m'ont toujours passionné." Sans provocation, il a, par exemple, déposé en 1976 la marque Jésus. Une marque de jeans italiens. Personne n'y avait songé... La plongée historique est aussi l'une de ses passions. Les grandes maisons, en particulier celles du luxe, le fascinent.
Marketing de pirates
S'il emploie plusieurs fois le mot "trouble", c'est que, selon lui, "c'est le mot qui caractérise le mieux le marketing. Entre glamour et bling-bling, je choisirai toujours le trouble". JC/DC est sans doute le créateur qui a le plus collaboré avec des marques : Lego, Courrèges, Swatch, Kia, Coca Cola, K-Way, Renault et sa Twingo présidentielle, Weston, Rossignol, Le Coq Sportif, Okaïdi, les nouveau timbres postaux en forme de coeur (liste non exhaustive). Avec des acteurs ou chanteurs, également, d'Isabelle Adjani à Lady Gaga, en passant par Farrah Fawcett ou Woody Allen. "Entre les années 1970, où on faisait du marketing à l'arrache, comme des pirates, et aujourd'hui, émerge une génération d'artistes entrepreneurs, à la tête bien faite", comme Ramdane Touhami, qui, après avoir racheté les cires Trudon, une manufacture de bougies du xviiie siècle (Marie-Antoinette était cliente), s'est lancé dans la renaissance de Buly, l'un des plus anciens laboratoires de cosmétique français. Si la modernité le stimule, elle ne doit pas se déconnecter d'une certaine forme "d'archéologie originelle" de l'objet ou des sentiments. Très connecté, le créateur avoue chérir ses centaines de milliers de followers sur Instagram ou Facebook, comme "s'ils étaient deux".
Paru dans Marketing 181, décembre 2014