[Entretien] Chantal Thomass : "Dans la mode, le marketing doit respecter la création"
Célèbre pour ses dessous chics, Chantal Thomass est une passionnée de mode et de création. Elle nous a reçus chez elle, à Paris, lors d'un entretien intime et chaleureux. Retour sur la riche carrière d'une femme qui fait du marketing sans le savoir, tel Monsieur Jourdain.
Je m'abonne- Emarketing.fr : Votre marque s'appelait Ter et Bantine. Pourquoi lui avez-vous donné votre nom ?
Chantal Thomass : À 20 ans, au sortir de mon école de dessin, j'avais créé, avec mon fiancé qui faisait de la peinture sur soie, des robes extravagantes, que me confectionnait ma mère couturière. Ça a plu... La boutique Dorothée Bis m'en a commandé trois, la boutique du Café des Arts de Saint-Tropez m'en a aussi acheté quelques pièces... Très spontanément, nous avons appelé ça Ter et Bantine, en référence à cet ingrédient que nécessite la peinture sur soie. Avec le temps, mon style est devenu de plus en plus féminin, assez loin finalement de ce qui avait fait le succès de Ter et Bantine. Je me suis rendu compte que ce que je faisais ne ressemblait plus au style de cette marque et j'ai donc décidé d'en changer, pour lui donner mon nom.
"Mes éléments visuels font partie de la 'bible de marque', on me les demande lorsqu'on vient me solliciter."
- Avez-vous conscience d'être devenue l'incarnation de votre marque, d'ailleurs représentée dans le logo que vous a créé Benoît Devarrieux ?
Oui, mais à vrai dire, cela s'est fait de façon non réfléchie. Benoît et moi nous sommes rencontrés dans un dîner. Nous étions une petite société, sans moyens publicitaires. Alors, Benoît m'a suggéré de communiquer non pas sur mes produits mais sur moi. Il a pris une première photo de moi en studio, une ombre chinoise où l'on me voyait sans me voir, dont il a fait un logo. Au départ, j'étais presque gênée de me mettre ainsi en scène.
Retrouvez deux vidéos de Chantal Thomass filmées à l'occasion du Marketing Day :
- Comment s'est fixé ce look si emblématique : carré noir parfaitement structuré, rouge à lèvres carmin, vêtements noirs... ?
Là encore, cela s'est fait progressivement. Le noir est arrivé dans la mode dans les années quatre-vingt, sous l'influence de créateurs japonais tels que Yohji Yamamoto ou Comme des Garçons... Ça a donné un coup de fouet à la mode française et tout le monde a eu envie de noir.
- De même que votre look, votre univers de marque est extrêmement codifié : capiton, dentelle, alliance du noir et du rose...
C'est vrai. À l'origine, j'ai créé ce que j'aimais, et aime encore. Et puis, avec les années, ces éléments visuels sont devenus emblématiques de Chantal Thomass, ils font partie de la "bible de marque" et l'on me les demande lorsqu'on vient me solliciter pour une collaboration.
- Qui dit marque dit marketing... Avez-vous conscience d'en faire ?
Pas du tout. A priori, je déteste le marketing ! Lorsque je collaborais avec le groupe japonais World, la direction avait nommé un directeur marketing qui souhaitait me dicter un style, ce que je n'ai pas accepté. Certains marketers cherchent à prévoir ce qui va se vendre en ayant les yeux rivés sur ce qui s'est vendu. Or, ce qui s'est vendu une année ne se vendra pas forcément l'année suivante. Comme le dit Pierre Bergé, le marketing doit accompagner la création, pas la juguler...
Groupe World : Chantal Thomass sans Chantal Thomass
En 1985, après un dépôt de bilan, la marque Chantal Thomass entre dans le giron du groupe japonais World, qui licenciera la créatrice dix ans plus tard, pensant pouvoir se passer d'elle. En 1996, World est placé en liquidation... Chantal Thomass entame alors une bataille judiciaire de trois ans, au terme de laquelle elle parviendra à récupérer sa marque. Elle intègre alors le groupe Sara Lee, propriétaire de la marque Dim, qui rachète 66 % des parts, Chantal Thomass en conservant les 34 % restants. En 2011, Dim revend la marque au groupe Chantelle, qui reste l'actionnaire de référence de la créatrice.
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