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Le marketing prend les commandes 1/2

Les outils décisionnels ne sont plus réservés aux seules directions générales. Après avoir servi vaillamment les directions commerciales dans l'élaboration des tarifications, ils sont désormais utilisés à un niveau opérationnel. En retour, ils permettent d'assister à un phénomène nouveau : le retour en force du marketing, qui définit désormais les règles de comportement avec le client et sollicite directement les forces de vente.

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Et si l'application à la relation client des règles définies par les outils décisionnels constituait, pour les services marketing, le moyen de revenir en force et de reprendre en main la stratégie de l'entreprise ? L'idée n'est peut-être pas aussi farfelue qu'il n'y paraît. Pour Philippe Cassoulat, directeur d'activité chez Valoris, « globalement, tout ce qui touche au décisionnel appliqué à la relation client est, pour moi, le chaînon manquant dans les entreprises. En, effet, celles-ci, jusqu'à aujourd'hui, ont été mues par des logiques jusqu'au-boutistes, orientées par canal, celui des forces de vente, des agences ou encore des centres d'appels ». Une logique historique, légitime, car les premiers outils de marketing opérationnel, aptes à gérer la relation client, étaient d'abord destinés à automatiser les actions des forces de vente ou à gérer l'activité des centres d'appels. Première tendance, créer une homogénéité entre les actions terrain, quel que soit le canal. Deuxième tendance, en parallèle, la création de systèmes d'informations marketing, les datawarehouses clients, décorrellés du front-office. Le front-office déverse les informations dans la base de données marketing client, et quelques personnes, le plus souvent aux services études, sont chargées d'analyser les informations.

Constituer un patrimoine informationnel


« Aujourd'hui, précise Philippe Cassoulat, on entre dans une logique différente, où le décisionnel devient le back-office de la relation client. Les canaux vont alimenter le décisionnel, mais la gestion événementielle va permettre de resolliciter les canaux. Il s'agit de constituer un patrimoine informationnel, d'outiller les canaux de vente et de contact, et ensuite, d'animer ces canaux. » Prenons le cas d'un centre d'appels. Lorsqu'il entre en communication avec un client, cette information va mettre à jour le patrimoine informationnel du client. Le datawarehouse client, prenant en compte le motif de l'appel, va identifier un potentiel de vente et décrire une règle qu'il adressera vers le canal le plus approprié, en fonction du profil du client, de ses habitudes de consommation et de la stratégie de l'entreprise. Et, si le client est un très bon client, qui risque d'être face à un problème, c'est directement la force commerciale qui prendra contact avec lui. « On ne se contente plus de déverser des informations dans le datawarehouse et laisser l'analyse aux services études, ajoute Philippe Cassoulat. Elle va se faire en temps réel, en fonction du comportement du client. Il s'agit d'être proactif. C'est une tendance incontournable, compliquée à mettre en oeuvre. Pour les entreprises qui partent de zéro, les télécoms par exemple, c'est plus simple. Elles appliquent ces techniques pour lutter contre l'attrition. » Aux Etats-Unis, le "cross channel marketing", c'est le nom donné à ce concept, est appliqué couramment. Il s'appuie sur deux leviers : la connaissance du client et les règles d'animation du marketing et des canaux, issues de l'analyse en temps réel de son comportement. Un changement structurel pour l'entreprise. Si, il y a encore deux ou trois ans, ces règles étaient édictées par les services commerciaux, aujourd'hui, le marketing définit les règles et même sollicite les forces de vente. De fait, la relation client peut être définie selon quatre termes génériques : l'identification, la différenciation, l'interaction et la personnalisation. Dans ce cadre, le décisionnel proprement dit s'applique aux deux premières phases : identification et différenciation. Le front-office, centre d'appels ou forces de vente, peut interagir. Pour y parvenir, il faut disposer de données sur le client. Celles-ci sont éparpillées dans les bases de données de l'entreprise. Pour Michel Bruley, directeur marketing de NCR, « le coeur de cette stratégie, c'est le datawarehouse Client ». Il est constitué par une extraction "métier" des données client issues du datawarehouse de l'entreprise. Or, selon Michel Bruley, il existe deux types de datawarehouse. Le passif, qui contient les données, mais auquel presque personne ne peut accéder directement, si ce n'est à travers des datamarts, ou datawarehouses spécialisés et le ou les datawarehouses actifs. « Si l'on veut des temps de réponse instantanés, le datamart est indispensable, mais il faut, avant tout, éviter la duplication des données afin de garder leur cohérence », ajoute-t-il. Datamart, datawarehouse-client ou base de données marketing, quelle est la différence ? Le marketing des fournisseurs. Pour Jean-Marc Defaut, directeur marketing d'Oracle France, c'est à partir de cette base de données que l'on segmentera la clientèle. Les bons clients, les mauvais, les bons aujourd'hui, les mauvais demain, la LifeTime Value ou la durée de vie du cycle de consommation du client. « Tous ces éléments aident à définir la stratégie marketing qui sera appliquée par le front-office. Ce qui est fondamental, c'est que les outils décisionnels vont permettre de personnaliser la relation client », précise-t-il. Chez Oracle, Oracle Warehouse Builder va permettre de construire cette base de données en puisant les informations client dans les autres bases de l'entreprise, gestion commerciale, comptabilit... La segmentation s'opère avec Darwin, un logiciel de data mining qui s'appuie sur une technologie de réseaux neuronaux. Le profiling se fait en temps réel, en fonction de ce que dit le client lorsqu'il est en contact avec les forces de vente. Cet outil va permettre, en fonction des questions posées au client ou au prospect, de savoir si c'est un bon ou un mauvais client potentiel. Ce qui permet, si c'est un mauvais, de trouver une porte de sortie pour écourter la conversation. « Aux USA, certains fournisseurs de biens de consommation courante sur Internet préfèrent au préalable avoir un entretien téléphonique avec leur client potentiel, explique Jean-Marc Defaut. Le téléacteur balaye une dizaine de critères permettant de se rendre compte s'il va acheter beaucoup ou peu d'articles. Si le score est mauvais, il oriente le prospect vers les principaux concurrents. Ces sociétés ne supportent pas le coût d'acquisition d'un mauvais client. Les sociétés avancées gardent leurs bons clients et ne recrutent que les bons. »

De la bonne gestion des événements


Chez NCR, l'outil décisionnel appliqué à la relation client s'appelle "Relationship Optimizer". Il prend en compte la notion d'événement chez le client, cherchant dans la base de données les informations comportementales de ce dernier : anniversaire, grosses dépenses, incident... Un opérateur de télécom qui découvre en analysant la facture de son client que celui-ci se connecte souvent sur Internet lui proposera une deuxième ligne. Ou, encore un banquier qui s'aperçoit que son client a, pour la première fois, remis une somme en liquide à un guichet automatique - sachant que cette action, bien qu'éminemment productive est stressante -, l'appellera le lendemain pour lui signaler que tout s'est bien passé. Résultat : il en prendra l'habitude et aura une bonne opinion de sa banque. Relationship Optimizer repose sur deux modules : Event Detective Manager, qui détecte les événements importants, et Communication Vector Manager, qui score ces derniers, qualifie l'opportunité qui se présente et définit les règles de communication, le canal à employer. Si le client d'une banque agit d'une façon erratique, il peut, par exemple, trouver plus opportun de le faire appeler directement par l'agence plutôt que par un centre d'appels.

Le portail d'entreprise, une notion émergente


« Pour Microstrategy, la relation client passe par le concept de "intelligent e-business", qui permet de mieux comprendre son comportement et, en complément, de mettre en oeuvre une relation interactive. » Eric Guigné, directeur général de Microstrategy France, définit ainsi la stratégie de sa société. Pour ce faire, les outils employés font appel aux dernières technologies, tant en matière de Pull, que de Push. Push, avec Telecaster, un système permettant d'envoyer de l'information personnalisée par téléphone ou tout autre vecteur de communication. Pull, avec Infocenter, un portail d'entreprise permettant au client de se connecter via le Web au site de l'entreprise, de s'abonner à des bulletins d'informations ciblés et de préciser par quels canaux il souhaite entrer en relation avec celle-ci. Cette solution globale, appelée Intelligent e-business, s'appuie sur cinq moteurs. Le datawarehouse client, tout d'abord ; puis un moteur de personnalisation, Broadcaster, qui permet scoring et segmentation et simplifie la tâche pour l'utilisateur. Dans une banque, il enverra automatiquement à chacun des responsables de compte un tableau de bord sur l'évolution de leurs portefeuilles de clients. Le moteur de diffusion s'appuyant sur une technologie multi-canal, fax, e-mail, téléphon... « qui utilise des règles préétablies en fonction de la criticité et/ou du média utilisé », précise Eric Guigné. La liste des magasins à moins de 15 % des objectifs sera, par exemple, envoyée par fax au directeur régional d'une société de distribution, tandis que, pour ceux à moins de 30 %, la liste lui sera envoyée par message SMS sur son téléphone portable et s'il en existe à moins de 50 %, l'appel se fera chez lui ou sur son téléphone portable. « Le filtrage de l'information est très fort. S'il n'y a pas de problème, c'est aussi une information. Il suffit de préciser : "si tout va bien, ne me dites rien". L'infocenter permet de régler le filtrage et le débit de l'information », ajoute Eric Guigné. Enfin, un moteur interactif permet de juger très vite des remontées des opérations. Ce moteur est destiné aux relations one-to-one. Pour une transaction de commerce électronique, il permettra, par exemple, d'envoyer un e-mail ou un message SMS au téléphone portable du client final du type "le vin que vous avez l'habitude d'acheter est actuellement en promotion, appuyez sur la touche # pour le commander ou cliquez sur ce lien hypertexte". L'action intégrée immédiatement dans le datawarehouse client autorise une analyse multi-canal des transactions du client et fait apparaître l'impact d'une communication sur un canal par rapport aux autres. Tout est basé sur la permission et la souscription donnée par l'utilisateur. Cela permet notamment au distributeur américain de vidéos Blockbuster, après que ses clients ont rempli un formulaire, et en fonction de leurs préférences, de leur téléphoner ou de leur envoyer des e-mails lorsque le produit qu'ils ont l'habitude d'acheter est disponible. Ainsi, 500 000 e-mails sont envoyés chaque vendredi soir aux meilleurs clients, permettant d'augmenter le trafic en magasi... Et les ventes. Historiquement, c'est par le biais des progiciels de gestion intégrés, également appelés ERP, type SAP ou Baan, que le décisionnel a fait son entrée dans l'entreprise, sous la forme de tableaux de bord, les EIS. « Les ERP sont orientés produit, ce qui est antinomique avec la notion de relation client », estime Hervé Gourgeon, directeur marketing d'Europstat. Les EIS sont réservés aux directions générales, le data mining est utilisé par les experts ou les services études. Et le reporting de leurs analyses se fait vers les gestionnaires sous la forme de requêtes prédéfinies, les utilisateurs plus habiles pouvant, dans une certaine mesure constituer leurs propres requêtes. Pour certains, les requêtes sont invisibles, et apparaissent sous la forme de directives ou d'alertes, tandis que ceux qui souhaitent manipuler les données, doivent connaître leur organisation et savoir où trouver les informations. Concrètement, les managers disposent d'outils de type Oracle Express EIS, SAS ou encore Seagate, directement reliés au datawarehouse, les gestionnaires disposent de requêteurs comme Business Objects, Cognos, Seagate Cristal report ou Holos. « Cette organisation évolue. On voit apparaître la notion de portail d'entreprise, précise Hervé Gourgeon. Sous la forme d'un Intranet généralisé, incorporant également des données externes, données provenant de mégabases de données comme Consodata, de cartes pour le géomarketing, des panels, des accès Internet pour la veille concurrentiell... » Sorte de super Infocentre, le portail d'entreprise facilite la diffusion de l'information. Il est en outre simple à administrer. Pour le consulter, un simple navigateur web suffit. Chez Volkswagen, ce portail est accessible aux concessionnaires de la marque. Ils ont ainsi accès au reporting financier, et peuvent comparer leurs performances avec les autres concessionnaires. En outre, ils ont accès aux données marketing et peuvent ainsi connaître en temps réel les dernières campagnes de publicité ou de communication. Deux concessionnaires peuvent ainsi partager une campagne marketing. Cette mise en commun des informations permet une plus grande réactivité. On peut même imaginer, lorsqu'une voiture a été commandée, de prévenir le client que, trois semaines avant sa livraison, il pourra encore changer la couleur de ses sièges, ou ajouter la climatisation, sans interrompre le processus de fabrication. Cette nouvelle organisation repose sur une couche intermédiaire, entre le datawarehouse et l'utilisateur, le référentiel de l'entreprise. Selon Hervé Gourgeon, « on construit des composants spécifiques chargés de nourrir en informations et de chercher les données dans des systèmes d'informations qui ne sont pas à l'origine conçus pour cela, les bases de production, financières, comptable... Pour aboutir à un cercle vertueux où plus on vend, mieux on gère. Mieux on gère, mieux on analys... Et mieux on analyse, mieux on vendra ! ».

Comment Nouvelles frontières a mis en place son CRM


C'est en mettant en action les outils décisionnels proposés par SAS Institue que le voyagiste Nouvelles Frontières a mis en place un datawarehouse spécifique client. « Il ne porte pas sur l'ensemble de notre clientèle, mais sur un datamart qui comprend un échantillon représentatif de notre clientèle, précise Patrick Janssens, analyste data mining chez Nouvelles Frontières. Nous avons choisi cette solution pour des raisons statistiques, en procédant à un tirage aléatoire sur une base de 2 millions et demi de clients. » Parallèlement à la mise en place du datamart, un programme de fidélisation a été installé. « Nous voulons récompenser les clients de leur fidélité, plutôt que de fidéliser un client par une récompense », souligne-t-il. La méthode retenue pour segmenter la base de données utilise la technique de stratification, selon des critères de Récence Fréquence, Montant et réactivité commerciale. Ce datamart constitué, les outils de data mining ont permis de mettre en valeur trois catégories principales de clients : les meilleurs, les bons, et les occasionnels. « Nous avons inclus dans la catégorie occasionnels les anciens et les nouveaux clients, ce qui permet d'établir un score dès le premier achat. » A un niveau opérationnel, en agence ou en centre d'appels, le vendeur peut identifier le client par sa fiche, comportant les informations relatives à la communication menée sur lui, les réponses aux mailings, les réclamations, l'historique de ses achats, s'il est déjà client. « D'ici à quelques mois, ajoute Patrick Janssens, un score apparaîtra automatiquement. » Après cette première segmentation RFM, Nouvelles Frontières met en place une segmentation comportementale sur 15 à 20 segments, prenant en compte la saisonnalité, le type de produit, les régions visitées, qui sera réintégrée dans le système opérationnel afin que le vendeur sache instantanément à quel segment appartient le client et lui fasse une proposition adaptée. En matière de marketing direct, Nouvelles Frontières met à profit cette base de données pour envoyer des mailings personnalisés sous la forme de trois vagues de 100 000 documents par an. « Ils sont envoyés vers les clients en fonction de leurs scores. Nous avons fait une présélection sur les 500 000 clients au plus fort potentiel et sur 500 000 dont le score établissait un potentiel d'intérêt sur nos produits, en affinant les moyens et en optimisant les coûts en fonction des possibilités de retour sur investissement. Ainsi, nous avons pu envoyer moins de documents, mais aux bons clients. » Et Patrick Janssens de préciser que la connaissance des clients doit être partagée dans toute l'entreprise, ce qui fait rarement bon ménage avec la notion de pouvoir. « Cette problématique de partage de la connaissance ne souffre pas de blocage. Si un élément fait de la rétention, tout le développement peut être bloqué. »

Olivier Brusset

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