Brian Solis: "Ce n'est que le début des bouleversements marketing!"
Anthropologiste, speaker, analyste, auteurs de best-sellers dédiés au marketing... Brian Solis, homme multicasquettes, exhorte les professionnels du marketing à réinventer leurs pratiques en plaçant l'humain au centre de leurs préoccupations.
Je m'abonne- Vous dites que le futur du marketing ne passera pas par le marketing. Qu'entendez-vous par là?
Aujourd'hui, l'explosion des réseaux sociaux a démocratisé la parole et la relation à la marque. Et tandis que le marketing s'est construit sur la volonté de toucher le plus de consommateurs possible, il s'agit désormais d'entretenir des conversations plus personnelles et plus engagées, individu par individu.
- Vous n'êtes pas tendre avec le marketing, dont vous dites que sa définition même fait partie intégrante du problème... Et ce parce qu'il implique plus de manipuler les consommateurs que de les inspirer...?
Oui, mais entendons-nous bien. Il ne s'agit pas d'arrêter le marketing, mais de réinventer intégralement ses pratiques pour le faire correspondre aux usages modernes des consommateurs. Or, ce n'est pas du tout le chemin que nous prenons! À l'université, l'enseignement n'a pas changé depuis des années. Et, ensuite, les entreprises, les agences... toutes ces structures continuent à promouvoir le marketing dit traditionnel, sans chercher à explorer de nouvelles voies. Et tandis que le marketing s'est évertué, pendant des décennies, à toucher un maximum de personnes, il doit dorénavant susciter la discussion en one-to-one. Tout l'enjeu consiste donc à replacer l'homme au centre de toutes les interactions, car ce n'est qu'ainsi que les marques susciteront de l'engagement.
- Selon vous, dans un monde de machines, celui-là même que nous préparons, l'homme est "the killing app", la clé de voûte. Mais comment un directeur ou un responsable marketing, pris dans son travail quotidien, ses enjeux business, peut-il réinventer ses pratiques?
C'est en effet toute la difficulté. Déjà parce qu'il faut comprendre qu'il y a un problème, savoir lequel et se projeter dans un monde et des pratiques que nous ignorons complètement. Comment alors imaginer toutes les possibilités et les potentialités à venir!? Du coup, les experts ont tendance à prendre des décisions pour le futur à partir de ce qu'ils connaissent ou de ce que d'autres ont expérimenté.
Il s'agit donc de repartir de zéro et de réfléchir à ce que nous ferions aujourd'hui si nous devions réinventer le marketing aujourd'hui. À quoi ressemblerait-il? Que signifierait l'engagement des consommateurs? Comment pourrait-on utiliser, de manière inédite, l'UX, les outils et les canaux pour délivrer ce que veulent ou attendent les clients ou utilisateurs ? Mais tout ceci, en effet, se confronte à des directions marketing embourbées dans leur quotidien, dans leur reporting, leur budget, et qui doivent rendre des comptes à des exécutifs qui continuent de voir le monde tel qu'il était il y a quelques années. Et c'est un sacré challenge de briser toutes les habitudes et les process pour réinventer ce qui doit pourtant l'être!
- Avez-vous des exemples réussis de telles démarches?
Regardez ce que Google a accompli avec ses micromoments. En mettant en lumière que le Web ne se visitait plus en session, mais plutôt en une variété d'instants tout au long de la journée, il a rendu obsolète les campagnes de mass media qui visaient à atteindre le plus grand nombre d'individus. Par là même, il a bouleversé la manière dont les marques devaient s'adresser à leurs consommateurs. Parce que le message doit être immédiatement compréhensible, ainsi que parfaitement personnalisé et contextualisé.
Et ceci nous amène à ce que j'ai appelé le moment ultime de vérité, The Ultimate Moment of Truth (UMOT). Pour rappel, en 2005, Procter & Gamble formalise les concepts de Premier et Second Moments de vérité (First Moment of Truth et Second Moment of Truth), qui correspondent, respectivement, aux quelques secondes précédant l'acte d'achat et au moment où le produit est expérimenté. Six ans plus tard, Google remonte, encore plus en amont de l'achat, avec ses ZMOT, Zero Moment of Truth... À l'opposé desquels se jouent donc les Ultimate Moment of Truth, lorsque le client partagera son expérience sur les désormais puissants réseaux sociaux. Or, c'est là que tout ou presque se joue désormais. Dans le contexte d'une concurrence toujours plus folle où les annonceurs ne peuvent plus seulement se différencier par leur offre, leur produit ou leur pricing, l'attention doit se porter sur une expérience client positive, et dans le partage de cette dernière au sein des communautés.
Et pour maintenir le lien après l'achat et encourager la diffusion de cette expérience vécue, les marques doivent faire de chacun des ambassadeurs.
- Ces évolutions, voire cette révolution que vous dites essentielles, peuvent être conduites par tous les directeurs marketing ou doivent-elles venir du top management?
Le marketing n'est pas le seul service à devoir changer! Tous les segments de business, tous les départements d'une entreprise ont à se modifier en profondeur. Or, personne n'a réellement envie de se remettre en question, car on a tous, au fond, le sentiment de faire du bon boulot... et que c'est bien suffisant!
Mais si vous osez vous comparer aux visionnaires, à ceux qui disruptent et changent, vous réalisez le chemin qu'il vous reste à parcourir!
Pour convaincre votre hiérarchie, il ne s'agit pas de prouver la nécessité du changement, mais plutôt de démontrer les progrès en termes d'efficacité et de performance qu'il suscitera. Mais c'est un sacré challenge ! Parce que la plupart des décideurs ne comprennent pas plus le marketing qu'ils ne connaissent leurs consommateurs. Ils sont tellement occupés à faire tourner le business, rendre compte à leurs actionnaires, leur comité de direction et leur conseil d'administration. Du coup, tout l'enjeu, pour vous les marketers, c'est donc de marketer le besoin de changement!