[Tribune] Quels essentiels pour le commerce de demain ?
Dans cette tribune, Capucine Delaunay, responsable du planning stratégique de l'agence de design Intangibles Assets Design, s'interroge sur les nouvelles habitudes de consommation post-covid obligeant les enseignes à repenser les concepts commerciaux.
Je m'abonneLa crise sanitaire et son cortège de confinements ont créé de nouvelles habitudes de consommation et des contraintes inédites pour les commerces, qui ont rivalisé d'inventivité pour garder le contact avec leurs clients. Qu'elles soient jugées "essentielles" ou "non essentielles", les enseignes doivent désormais repenser en profondeur les concepts commerciaux. Dans le monde du commerce, la crise sanitaire du Covid-19 et son cortège de confinements ont provoqué une situation totalement inédite, une vraie rupture. Brutalement, et durant plusieurs mois, le commerce s'est scindé en deux mondes : celui des commerces essentiels par opposition à ceux considérés comme non essentiels.
Cette classification a bien sûr fait débat. Les listes élaborées par le gouvernement font comprendre en filigrane que l'essentiel est ce qui permet de combler les besoins vitaux, et de vivre dans des conditions décentes. C'est, en somme, tout ce qui est du domaine du rationnel. A contrario, dans la catégorie des non essentiels, on a listé tout ce qui permet de mieux vivre, de se développer, de se faire plaisir : on est ici dans du 100 % émotionnel.
Ce qui est intéressant, et ce qui prouve bien au passage que la notion d'essentiel est compliquée à déterminer, c'est que cette classification a évolué au fil des confinements. Sans pour autant le dire clairement, on a jugé, au printemps 2020, que l'émotionnel n'était pas essentiel. Le corps a été surprotégé et l'esprit mis en sourdine. L'expérience a montré que l'on se trompait. On a compris que l'essentiel, c'est ce qui est nécessaire à l'équilibre physique, mais aussi psychologique, tout ce qui contribue au bien-être, à l'estime de soi et au développement personnel. Dès lors, certains commerces ont donc rejoint la liste des commerces essentiels : salons de coiffure, vente de produits culturels, vente de végétaux, réparation d'instruments de musique....
Face à la contrainte, l'inventivité des enseignes
Cette scission dans le monde du commerce s'est accompagnée d'une autre évolution dans les usages. Privés de contact physique et de sociabilisation, les consommateurs se sont mis à nouer des relations plus étroites avec les commerces dits essentiels, souvent des commerces de proximité. Fonctionnels par nature, ces commerces essentiels sont devenus aussi quelque part des lieux de loisir, offrant un shopping plaisir dont les consommateurs étaient privés par ailleurs. Un besoin de plaisir qui a conduit aussi à l'émergence de nouvelles tendances, comme la revenge food, en contrepied parfait de la tyrannie du mieux manger. Cela a conduit également les enseignes de proximité, investies de la mission de répondre aux besoins essentiels, à repenser leur offre pour mieux y satisfaire. Franprix, par exemple, a créé un partenariat avec Decathlon pour proposer une sélection de produits de sport.
Pour les marques et les enseignes, les nouveaux modes de consommation liés aux fermetures contraintes, ont eu des conséquences là aussi inédites. Les enseignes physiques ont dû se poser une question essentielle : comment exister lorsqu'on est plus accessible physiquement ? Comment faire, même rideau fermé, pour garder le lien avec les clients ? À cet égard, il faut saluer l'incroyable inventivité dont ont fait preuve les marques pour s'adapter, contourner les interdits ou en jouer. Citons Vuitton qui, plutôt que de fermer sa boutique de maroquinerie en mars 2021, a ouvert une librairie éphémère dans son magasin de Saint Germain des Prés.
Certaines grandes enseignes ont aussi fait preuve de solidarité venant parfois au secours des petits commerces. C'est par exemple, Monoprix qui a accueilli des fleuristes et cordonniers du quartier dans ses magasins. Intermarché, qui a mis sa plate-forme d'e-commerce à la disposition des libraires locaux, avec aussi localement la possibilité d'utiliser le drive du magasin pour retirer ses commandes en ligne. Carrefour a intégré des Points commandes dans ses hypers pour faciliter l'accès à ses offres non-essentielles. Globalement, les pratiques du click & collect et du drive piéton se sont très fortement développées.
Penser les essentiels du magasin de demain
Si certaines habitudes de consommation étaient déjà à l'oeuvre avant la crise sanitaire du Covid-19, beaucoup ont explosé avec les confinements successifs. La question est : que va-t-il en rester ? On le constate : toutes ces nouvelles pratiques de commerce se développent, s'hybrident, deviennent petit à petit une nouvelle normalité. Ceci amène à repenser le rapport au commerce et à définir ce qui est essentiel dans les concepts retail. L'essentiel ne tient pas forcément au type de produits qu'on vend, mais plutôt à comment on le vend. Ce qui rend un commerce essentiel, c'est sa capacité à répondre aux attentes rationnelles ET émotionnelles de ses clients : aider à mieux vivre, à développer ses compétences, à se faire plaisir.
De nouvelles thématiques fortes émergent, qui seront essentielles demain. La première est l'humain. Un commerce est un lieu de rencontres, d'échanges, entre clients, avec les vendeurs, entre un commerçant et son quartier. Un fil rouge que le designer doit avoir en tête car lorsqu'on crée des lieux de commerce on crée des lieux de liens. Autre thématique devenue phare : la RSE & la solidarité. Un commerce doit être dessiné de manière à être accessible à tous. L'ergonomie, l'offre, les messages, la communication, la représentation de la marque : tout doit être imaginé et conçu en ce sens. Enfin, on l'a constaté pendant les confinements, l'omnicanalité est devenu plus qu'essentielle, vitale pour les enseignes. Ainsi, les services de click&collect et de drive, qui peinaient à trouver leur place en magasin, sont désormais intégrés de façon manifeste aux commerces. Quelle que soit la taille d'un commerce, l'omnicanalité un enjeu de pérennité.
Pour conclure, faire l'expérience du shopping essentiel a aussi été faire l'expérience du minimum, d'une forme de décroissance. Deux voies s'ouvrent alors : celle de la frugalité, avec une consommation raisonnée, consciente, mesurée, ou, en réaction contraire, celle de l'insouciance, avec une consommation plaisir libérée. Quoi qu'il en soit les marques et enseignes ont un rôle essentiel à jouer pour accompagner ces modes de consommation qui vont dessiner le visage du commerce de demain. À nous de les aider à saisir ces opportunités !
L'autrice :
Capucine Delaunay est responsable du planning stratégique de l'agence de design Intangibles Assets Design