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Apple: les secrets de sa communication comparative

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La campagne Get a Mac d'Apple est un cas d'école de publicité comparative, un mode de communication assez peu utilisé en France. Cet extrait de "Brand Success", ouvrage de Marc Drillech édité chez Fyp, montre comment cette stratégie a contribué à faire de la marque à la pomme une icône mondiale.

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Un contexte particulier

La communication comparative existe depuis longtemps aux États-Unis. Elle est arrivée en France depuis peu, avec un encadrement très fort. Outre Atlantique, elle apparaît comme un mode de communication courant, presque standardisé. On peut attaquer un concurrent, le nommer et affirmer sa supériorité sans avoir à fournir une démonstration très rigoureuse. Mais dans l'Hexagone, la publicité comparative, entrée dans le corpus juridique en 1992, est régie par plusieurs articles du code de la consommation et doit obéir à des règles très précises. En France, on considère en effet que cette pratique peut aisément déraper vers des formes de dénigrement et de concurrence déloyale.

Aux États-Unis cette forme de communication est gérée par la National Advertising Division qui favorise un système d'autorégulation, considérant que la complexité d'une réglementation gouvernementale ou une politique interventionniste de l'Administration dans le monde des affaires serait plus dommageable. Depuis les années 1970, la publicité comparative a même été encouragée, selon le principe que cette bataille de comparaison et d'évaluation des avantages entre marques favoriserait une meilleure information. Selon les statistiques, la publicité comparative américaine n'a jamais dépassé les 10% de l'ensemble des investissements des annonceurs. Mais son impact est décuplé par le caractère événementiel de sa pratique et par le fait qu'elle s'appuie sur la confrontation des entreprises dans leur lutte pour la suprématie, en matière de notoriété, d'image, mais également d'investissements. La communication comparative permet à des outsiders de lancer les hostilités, et certains cas sont devenus des références, comme les attaques de Pepsi Cola contre Coca-Cola, les campagnes déployées par Avis contre Hertz avec sa fameuse signature "We try harder", ou encore les attaques de Nintendo contre Sega. Il faut ajouter à cela le célèbre film "Daisy" du candidat Lyndon Johnson, encore présent dans la mémoire de plusieurs générations d'Américains, qui a réellement déstabilisé la campagne de son concurrent à la présidence des États-Unis, Barry Goldwater. C'est donc dans ce contexte, où la méthode comparative est très courante, qu'Apple lance en 2006 son offensive contre le PC. Mais personne n'est dupe: c'est Microsoft qui est visée.

Une comparaison symbolique et orientée

En 2006, l'agence TBWA Chiat/Day, qui a déjà réalisé les plus célèbres campagnes d'Apple, produit une vingtaine d'annonces bâties sur la comparaison entre deux univers, celui d'Apple et celui de Microsoft. Par la suite, une soixantaine de spots publicitaires sont également produits à un moment crucial pour les deux marques. La campagne étudiée ici confronte les deux leaders du marché de l'informatique que sont Steve Jobs et Bill Gates à travers deux personnages, l'un symbolisant Mac, l'autre Microsoft. Elle durera trois ans et sera déployée aux États-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Grande-Bretagne et au Japon. Elle répondait à la volonté d'installer Apple comme une marque leader et non plus comme un outsider sur le marché des ordinateurs portables ou comme étant réservée qu'à certains secteurs d'activité. Le renouveau de la marque et le récent succès de certains produits qui incarnaient la modernité technologique ont conduit Apple à sortir de son "ghetto", une niche de geeks et d'aficionados, tout en conservant ses racines et son image avant-gardiste. L'ambition était de positionner Apple comme une alternative libératrice, avec un rapport à l'outil totalement différent, une expérience incomparable et une facilité d'utilisation. Toutes ces qualités seront comparées à la lourdeur et à la complexité attribuée aux produits de Microsoft. La marque à la pomme devait devenir la référence d'une technologie moderne, un véritable "vélo pour l'esprit", selon la formule de Steve Jobs4, mise en contraste avec l'image passéiste: la lourdeur et la complexité incarnées par la concurrence.


Une campagne d'influence

La campagne comparative ne s'appuie pas sur des démonstrations scientifiques complexes ou rébarbatives, mais sur les avantages apportés par l'utilisation du Mac. On ne cherche pas à persuader, mais à mettre les gens de son côté, en particulier ceux qui vont apprécier l'audace de la communication d'Apple. Il ne s'agit pas d'une campagne d'image, encore moins d'une campagne de produits, mais d'une politique d'influence, développée en valorisant l'un des protagonistes par l'humour, l'audace de la comparaison et le "détail qui tue". Il suffit de se référer aux deux acteurs omniprésents dans la campagne : Justin Long incarne le héros sympathique, cool et décontracté qui personnifie le Mac, et John Hodgman, moins débrouillard, plus lourd et pataud représente toute la pesanteur et l'inertie de Microsoft. L'attaque d'Apple ne repose pas sur du factuel, mais sur de l'impression.

À travers les films et la vingtaine d'annonces papier, l'état d'esprit de la campagne reste la même: une politique de communication comparative qui va à l'essentiel en évitant toute argumentation basée sur des éléments concrets qui pourraient être contestables. Cette pertinence donne une énorme force à la démonstration de la supériorité d'Apple. En renouvelant sans cesse le spectacle et en jouant sur le comique de répétition, Apple réussit à mettre "les rieurs" dans sa poche. L'attente du "prochain coup" d'Apple est symbolique d'une démarche qui ne veut pas persuader, mais influencer. Deux visions du monde s'opposent: celle d'hier, lourde et ennuyeuse, et celle de demain, passionnante et cool, à laquelle on souhaite s'identifier. Cette capacité à créer de la sympathie pour Apple ne vient pas seulement des différences mises en scène des personnages et des situations. Contrairement à une campagne qui veut faire valoir les supériorités de la marque, il s'agit ici de démontrer les faiblesses du leader qui est attaqué. Il fallait d'abord faire prendre conscience des défauts du PC avant de vouloir vendre les mérites du Mac.

Installer le rendez-vous

La profusion des expressions et la multiplicité des créations sur différents supports rendent la communication comparative plus vivante et interpellent davantage. On a le sentiment que chaque nouvelle annonce ou spot télévision va provoquer une nouvelle provocation, et Apple, l'outsider qui attaque, en tirera tous les bénéfices. La multiplicité des expressions fonctionne selon la mécanique d'un feuilleton et, en créant l'attente, on donne de l'importance au sujet. Cette campagne défie les lois du genre, car on compare deux mondes, deux styles de vie, deux approches quasi philosophiques, deux visions. Dans cette opposition, l'argumentation technique et la démonstration quantitative sont réduites au strict minimum. Cette campagne, qui a reçu le Grand Effie Award en 2007, fut un énorme succès. En 2010, Adweekla considérait comme la meilleure campagne de la décennie. Pour Valcort Marketing, il s'agissait d'une des grandes campagnes iconiques de l'histoire de la communication. L'outsider est devenu le leader innovant.

Cette campagne est particulièrement symbolique des trois grandes conditions qui font la réussite des marques. Elle "respire" l'intelligence et le courage stratégique en décidant de se confronter au leader par une démarche comparative fictive. Elle dispose d'une impertinence de ton et d'une légèreté qui répondent à l'objectif de valoriser Apple tout en créant une perception plus négative de Microsoft, et sans avoir à déployer une batterie de tests et de comparatifs techniques. Elle fait appel au ressenti, aux impressions. Enfin, elle sait parfaitement saisir les nouvelles valeurs, les attentes du public et l'état d'esprit de l'époque. Dans ce domaine, comme dans d'autres secteurs, rien n'est jamais acquis définitivement, et Apple apparaît aujourd'hui encore comme une marque innovante, mais moins proche des gens, moins sympathique et, selon les termes qu'elle a utilisés pour décrire le Microsoft d'alors, " moins cool".

À retenir

- La communication comparative peut être à la fois terriblement efficace et dangereuse. Choisir ce mode d'action nécessite de disposer de " munitions " pour pouvoir riposter pendant et après la bataille, car il y a toujours un après.

- La communication comparative ne fonctionne pas seulement sur des dimensions rationnelles. Au terme du " conflit ", ce qui compte c'est le ressenti, l'évolution des clients potentiels ou la consolidation des clients actuels, leurs sentiments et leurs relations à la marque.

- La communication comparative, au-delà du désir de créer le scandale et de bénéficier de fortes retombées médiatiques, est une démarche qui demande des moyens pour s'engager dans une bataille et contrer les offensives des concurrents. C'est un levier qui peut être très utile aux outsiders, mais qui doit être manié avec précaution car les retours de bâton venant du leader ne sont ni rares ni indolores.


L'auteur

Marc Drillech (ci-dessus en photo) est directeur général d'Ionis Education Group, un organisme d'enseignement supérieur privé.

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