Tribune : Le retail à la veille d'une mutation radicale
Sous l'influence de la convergence on et off line, le retail devrait connaître une véritable révolution, probablement la plus importante depuis l'arrivée de la grande distribution ! Ce n'est pas pour autant la mort du "point de vente".
Je m'abonneIl symbolisait à lui seul tout le prestige et l'hybris des Champs-Élysées. Le Virgin Megastore, temple de la pop culture ouvert dans les années quatre-vingt-dix, est pourtant sur le point de fermer. Comme la Fnac, qui a vu son bénéfice fondre de moitié l'année dernière, Virgin est victime du recul des ventes de musique et de la concurrence féroce du on line.
Encore marginal il y a 15 ans, l'achat en ligne est en effet devenu un réflexe : neuf français sur dix y ont eu recours en 2011, dont près de la moitié au moins une fois par mois (Ipsos/Generix). La culture n'est d'ailleurs pas la seule concernée par l'explosion de l'e-commerce, qui s'étend désormais avec succès à des biens et services que l'on imaginait pourtant incompatibles avec les mondes virtuels, comme les chaussures ou la banque.
Difficile de ne pas voir dans la fermeture du vaisseau amiral des Champs-Élysées un symptôme supplémentaire de la chute du retail sous les coups du on line. Un déclin qui, pour certains, devrait s'accélérer avec la démocratisation des smartphones et de l'Internet mobile. Amazon permet ainsi à ses clients américains de scanner n'importe quel produit en grande surface pour l'acheter d'un clic depuis leur mobile si son prix se révèle moins élevé ! Une méthode qui confine à la piraterie et qui en dit long sur la guerre en cours...
Mais ne crions pas pour autant à la mort du "lieu de vente" ! En réalité, le magasin connaît aujourd'hui de profondes mutations.
Tout d'abord, ses frontières disparaissent au contact du digital :
- L'usage des QR codes se généralise et les rayonnages virtuels pourraient bientôt envahir les stations de métro, sur le modèle de Tesco ou Toys'R'Us, qui permettent aux voyageurs de flasher les produits qu'ils désirent à l'aide de leur téléphone pour se faire livrer ;
- Le drive, qui consiste à faire ses courses en ligne puis à venir les récupérer en magasin sans jamais quitter le volant de sa voiture, connaît une croissance phénoménale en France ;
- Enfin, de plus en plus de magasins, notamment dans l'électronique et l'électroménager, proposent à leurs clients de commander directement en ligne depuis le lieu de vente.
On le voit : la tendance est clairement à la convergence on line/off line. Signe des temps, le géant des enchères eBay a même fini par ouvrir de véritables boutiques... à ceci près que l'on ne peut rien acheter sur place ! Pourquoi en effet acheter en magasin et s'encombrer quand, grâce au digital, on peut acheter littéralement n'importe où et n'importe quand ?
C'est là la seconde mutation profonde que connaît aujourd'hui le retail : débarrassés des contraintes de temps et d'espace, les consommateurs devraient être de moins en moins susceptibles de passer à la caisse en boutique. Le parcours consommateur, dont le point d'orgue était la visite en magasin, a été bouleversé par le digital. L'acte d'achat n'est plus issu d'un processus linéaire et peut intervenir à tout moment. Ce faisant, il s'est désacralisé.
Se pose dès lors une question de taille : et si, demain, les magasins ne servaient plus vraiment à vendre ?
La question peut paraître provocatrice, mais certaines marques semblent déjà avoir adopté cette logique. Un exemple : les Apple Stores ont drainé plus de 85 millions de visiteurs au dernier trimestre, soit près d'1 million par jour. Sur ces millions de personnes, combien achètent réellement un produit Apple ? Les 300 magasins de la Pomme ne sont pas déficitaires, bien au contraire, mais leur rôle va clairement au-delà du lieu de vente classique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'entreprise en a breveté l'aménagement intérieur : ici, l'expérience de marque est réglée au millimètre, car elle prime sur l'achat. Qu'importe si le client ne craque pas pour un iPhone sur place, il le fera probablement plus tard. Une logique qui n'est pas sans rappeler celle des flagship stores, que les marques de luxe comme Louis Vuitton multiplient depuis quelques années. Pour ces grandes maisons, le magasin est depuis longtemps un support de communication avant d'être un canal de distribution...
Une nouvelle typologie de magasins
Nous sommes face à un double phénomène de convergence on line/off line et de complexification du parcours consommateur. Les marques grand public devraient à l'avenir s'y adapter et développer des points de vente ultraconnectés et davantage tournés vers l'expérience de marque. Ce sont alors de nouveaux rôles qui apparaîtront pour les magasins. J'en dénombre quatre grandes familles.
1. Le magasin comme ambassade de marque
Si vendre un produit n'est plus la priorité du magasin, vendre la marque le deviendra. La boutique pourrait alors devenir un espace de mise en scène et de valorisation de la marque sous tous ses aspects : histoire, valeurs, savoir-faire mais aussi responsabilité sociale, politique de recrutement. Pourquoi ne pas imaginer un magasin se doublant d'un mini-musée, ou dans lequel les nouveaux diplômés se rendent pour faire connaissance avec leur futur employeur ?
2. Le magasin comme lieu de réassurance
Le magasin continuera d'offrir à la marque une présence physique qui, mine de rien, rassure. En lui donnant littéralement "pignon sur rue" dans des lieux très passants, il entretient la présence à l'esprit et surtout la confiance des consommateurs, qui voient dans la boutique le symbole d'une marque solide. Par exemple, si elle est entièrement virtuelle, la banque en ligne ING Direct possède ainsi une unique agence près de l'Opéra de Paris afin d'attester de son sérieux.
Dans cette même démarche de réassurance, les magasins devraient se faire de plus en plus "showrooms". Les produits y seront tous disponibles et "testables" librement. Une fois convaincu, le consommateur pourra les commander en ligne, depuis la boutique ou depuis chez lui.
3. Le magasin comme lieu de culte
Les marques les plus populaires se situent au cœur de communautés parfois très actives, tant et si bien que l'on a pu les comparer à de véritables religions ! La boutique de demain pourrait ainsi se faire lieu de rassemblement et offrir à tous les aficionados de la marque un point de rencontre, d'échange (bons plans, astuces...) voire de troc de produits.
4. Le magasin comme lieu de vie
À l'image des marques appelées à s'inscrire davantage dans la vie de la cité à l'avenir (par le biais du mécénat notamment), les boutiques deviendront de véritables repères à part entière dans la ville, en ajoutant à leur nature commerciale d'autres fonctions : restaurants, galeries, salles de concert...
Reste une dernière question : celle des KPIs de ces magasins d'un nouveau genre. En effet, si vendre n'est plus l'objectif premier de la boutique, il faudra réfléchir à de nouvelles manières de mesurer son efficacité (impact local sur l'image de marque, capacité à générer des conversations, etc).