Rana Plaza : " L'impunité des marques est un scandale politique "
Un an après la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, où plus d'un millier d'ouvriers du textile ont été tués dans l'effondrement de leur immeuble, rencontre avec Nayla Ajaltouni, du collectif Éthique sur l'étiquette.
" Les marques de prêt-à-porter parlent à longueur d'année de RSE et d'éthique. C'est un abus langagier, une tromperie ! ", s'insurge Nayla Ajaltouni (1) , la coordinatrice du collectif Éthique sur l'étiquette. L'association, créée en 1995, vise à faire respecter les droits humains et environnementaux partout dans le monde. Le 7 avril dernier, le collectif a manifesté à Paris, pour commémorer (bien tristement) le premier anniversaire de l'effondrement du Rana Plaza, à Dacca, au Bangladesh. Les 1 135 victimes travaillaient toutes pour de grandes marques : Auchan, Carrefour, Benetton, Pimkie, Camaïeu, Gap, Walmart... 28 en tout. Au milieu des cadavres, des étiquettes par milliers. Qui est alors responsable ? Les donneurs d'ordres (les marques), les sous-traitants, les États ? Qui va indemniser les familles ? Les survivants ? " Nous avons manifesté pour interpeller les marques sur cette indemnisation, poursuit-elle. Et particulièrement sur le silence d'Auchan et de Benetton. "
Low cost et fast fashion en question
En un an, le collectif a mis sur pied un fonds d'indemnisation sous l'égide de l'OIT (Organisation internationale du travail - convention 121) qui a collecté 15 millions d'euros, alors que 40 millions d'euros sont nécessaires. Certaines marques ont participé, comme Primark, C&A ou Inditex. Mais à ce jour, l'argent est toujours en Suisse (siège de l'OIT). " D'autres réfutent toute responsabilité, comme Carrefour, continue Nayla Ajaltouni. Il y a un vide juridique dans la relation sociale entre les multinationales et leurs sous-traitants. L'impunité des marques est aujourd'hui la règle. " Pousser ces dernières à réagir est l'un des fondements du collectif. 150 d'entre elles (Inditex, H&M, Tesco ou Marks&Spencer en font partie) viennent de signer un protocole de mise aux normes des bâtiments ("Accord on fire and building safety in Bangladesh"). 1 500 usines sont concernées. Le collectif a gagné des batailles. Celle contre le sablage des jeans, par exemple, en 2011. 42 marques (dont Pimkie, Kookaï et Auchan) ont mis fin à cette pratique mortelle, sous la pression de campagnes d'opinion. Autre action en 2009 : "Jouez le jeu pour les JO", qui a contraint les équipementiers Nike, Adidas et Puma (entre autres) à favoriser le dialogue social - donc la possibilité de se syndiquer sans représailles - en Indonésie.
En ce qui concerne l'indemnisation des victimes bangladaises, une pétition circule pour réclamer une législation qui engage les marques. 90 000 personnes l'ont déjà signée. Une journée d'action, "Fashion Revolution Day", s'est tenue le 24 avril dans une cinquantaine de pays pour sensibiliser aux conditions de production dans le secteur textile. Qui a fabriqué ce "petit top-pas-cher-du-tout" ? Les manifestants ont porté leurs vêtements à l'envers... Étiquette bien visible.
Article paru dans le magazine Marketing de mai 2014 (n°176)
(1) Nayla Ajaltouni est
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