Magali Tézenas du Montcel (Sporsora) : "Le sport est un catalyseur du changement"
À chaque jour son workout, à chaque année ses épreuves. Après deux années de crise aux allures de parcours du combattant, les adeptes du marketing sportif semblent désormais aussi polyvalents que ceux du CrossFit. Cela tombe bien : l'année 2022 s'annonce tout aussi sportive ! On fait le point avec Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, l'interprofessionnelle du sport business qui rassemble ayants droits, sponsors et agences de marketing sportif.
Je m'abonneMarketing : Quel bilan tirez-vous de la crise ?
Magali Tézenas du Montcel : Après dix-huit mois très compliqués, on a senti une reprise pleine d'envie de l'ensemble des acteurs du sport à l'été 2021, à l'occasion des JO, de l'Euro, de Roland Garros ou encore du Tour de France. La crise n'a pas fait émerger de nouvelles tendances de fond, mais a accéléré les transitions déjà en cours. Elle fut pour les ayants droit une opportunité de se mettre à niveau en matière de numérique, mais aussi de tester de nouveaux modes de diffusion après des épisodes comme la crise de Mediapro fin 2020. Le football professionnel reste une part importante de l'économie du sport, et ce crash a illustré la relative fragilité dans laquelle de nombreux acteurs évoluent. La filière a encaissé des millions d'euros de perte et malgré les aides de l'État, de nombreuses petites structures ont été menacées et ont dû s'endetter. Et nous avons vu avec le retour des jauges cet hiver que la situation reste incertaine. Le secteur du sport business est toujours en croissance, mais il reste soumis aux risques d'une économie de l'aléa : aléa de la performance sportive bien sûr, l'incertitude étant ce qui fait tout l'intérêt du sport en live, mais aussi de plus en plus aléa climatique ou encore politique...
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l'élection présidentielle ?
Nous avons proposé un ensemble de mesures afin de développer l'économie du sport, comme la mise en place d'incitations fiscales permettant aux acteurs privés de financer le sport, mais aussi aux ayants droit de mieux s'organiser pour exploiter de nouvelles sources de revenus comme leur droit à l'image. Nous faisons bien sûr toujours la promotion d'un sport responsable, et voulons faire en sorte que le sport soit accessible au plus grand nombre, que ce soit en matière de diffusion des compétitions, mais aussi en matière de pratique sportive. Il existe encore de nombreux freins à lever pour démocratiser le sport en entreprise. Enfin, nous militons toujours pour une baisse de la TVA sur la pratique sportive. De 20 %, nous estimons qu'il est nécessaire de l'abaisser à 5 %, tout comme les biens de première nécessité, mais aussi le cinéma ou les spectacles.
Quelle est la tendance qui vous a le plus marqué en 2021 ?
La plus bouleversante est sans doute la vague d'innovation numérique que nous avons observée avec le développement des cryptomonnaies et des NFTs. Nous y voyons de nouvelles sources de revenus pour les ayants droit, mais aussi de nouveaux moyens d'engager les fans et les communautés et de générer de la data pour les partenaires. Mais c'est aussi une source d'inquiétudes, ce nouveau secteur étant complexe et risqué, même s'il existe de nombreuses entreprises fiables en son sein. Plus généralement, le sport étant de plus en plus consommé en ligne, il faut aussi évoquer l'impact environnemental du numérique qui est préoccupant. Je ne parle pas que de la blockchain, mais aussi de la multiplication des contenus vidéo par exemple. C'est d'ailleurs le deuxième grand sujet fondamental de 2021 selon moi, avec l'éclatement du modèle de diffusion ou la diversification des contenus consommés, alors que pendant la crise il a fallu réfléchir à de nouveaux contenus mettant en scène les sportifs en l'absence des compétitions. Là encore, cela amène de nouvelles opportunités.
Le sujet de la diffusion du sport et de l'intérêt du grand public était au coeur des affaires Mediapro l'an dernier...
Entre la télévision linéaire, les réseaux sociaux, le streaming légal ou piraté ou même les plateformes des annonceurs, avec par exemple BNP Paribas qui diffuse des matchs sur We Are Tennis... Il y a une transformation du paysage des médias diffuseurs de sport, qui oblige également à diversifier les contenus et à être capable d'adresser les bons contenus par les bons canaux aux bonnes personnes. Les modèles de diffusion se complexifient : le live reste le produit phare, mais il peut être délivré en morceaux... Ce sont des transformations colossales pour des institutions sportives qui ne sont pas équipées pour, à part ceux qui disposent déjà de gros moyens. Cela va amplifier un phénomène que nous observions déjà : les détenteurs de droits premium comme les grandes équipes, l'Euro, la Coupe du Monde ou les JO ont les moyens de monter en gamme et de séduire leurs partenaires, tandis que les autres auront plus de mal à prioriser leurs investissements.
C'est ce qui explique le projet de Super Ligue Européenne de football qui a avorté l'an dernier ?
Les clubs à l'origine de cette initiative avaient comme argument la volonté de créer un produit plus attractif en regroupant les "meilleurs". Il se trouve que certains de ces clubs sont loin d'être à ce niveau cette saison. En revanche, ces clubs étaient très endettés. Certains ont frôlé la faillite pendant la crise, et ils ont vu un intérêt financier à ce projet dont le but était de revaloriser leurs droits.
La diversification des modes de diffusion ne risque-t-elle pas de perdre également les sponsors ? Notamment depuis que des walled garden comme Amazon deviennent diffuseur ?
C'est le même problème que dans la publicité ou le marketing en général, des secteurs dans lesquels les GAFA ont un poids considérable. Les annonceurs suivent ces tendances et doivent aller chercher l'audience où elle se trouve. La transformation de la consommation du sport amène les annonceurs à faire bouger les lignes. Je l'ai déjà cité, mais We Are Tennis de BNP Paribas est un exemple. Cet espace d'échange crée il y a dix ans pour les fans de tennis par la marque lui permet désormais de diffuser quelques matchs avec un ton décalé, et ainsi d'avoir accès directement à la donnée.
Enfin, dernière problématique à laquelle sont de plus en plus confrontés les annonceurs : leurs engagements RSE. 2022 commence sur des JO d'hiver et se termine sur la Coupe du Monde de football au Qatar... Deux événements polémiques. Quelle position faut-il adopter ?
Ce n'est pas un sujet simple. 70 % des jeunes de la Gen Z sont prêts à boycotter des événements qui ne sont pas respectueux de l'environnement. Dès 2012, nous avons mis en place une charte pour le sponsoring responsable... Ceux qui ne s'y conforment pas prennent un risque. Il faut avoir en tête que le sport est un moyen de faire avancer de nombreux sujets sociétaux, comme l'égalité des chances, l'inclusion, la santé... C'est une matière vivante, qui pour des marques, permet d'adresser ces enjeux de manière authentique.
Pour autant, cela nous mène à voir Cristiano Ronaldo repousser une bouteille de Coca-Cola en conférence de presse... Peut-on imaginer un footballeur boycotter la Coupe du Monde ?
On a déjà vu Antoine Griezmann rompre son contrat avec Huawei en invoquant le sujet des Ouïghours. Pour autant, je trouve hypocrite ceux qui consomment des produits chinois à longueur de journée et qui demandent à des sportifs de boycotter les JO d'hiver de Pékin. C'est la vie des athlètes, respectons cela. En revanche, ils sont libres de s'exprimer et d'utiliser leur puissance médiatique pour faire passer les bons messages.
Ces sportifs sont les otages des décisions de la FIFA ou du CIO. N'est-ce pas plutôt le rôle des annonceurs de faire bouger ces organisations ?
En effet, il existe des précédents. Les partenaires ont un rôle à jouer dans la gouvernance de ces institutions. D'ailleurs ces dernières peuvent peser sur la politique des pays organisateurs. La WTA est sans doute pour quelque chose dans le retour de Peng Shuai dans l'espace public. Encore une fois, le sport est un catalyseur de changement, un soft power qui permet de faire bouger les lignes. Ce qui est paradoxal, c'est le peu de moyens qu'on y consacre en France. Les politiques sont ravis d'être sur la photo lors d'une victoire, mais ils doivent se rendre compte qu'il faut investir si l'on attend des résultats.