Loi Evin : les marques continuent-elles à la contourner ?
La loi Evin, appliquée depuis 1991, contribue à lutter contre le tabagisme et l'alcoolisme. Il est néanmoins encore possible d'observer des dérives de la part de marques qui trouvent des astuces pour la contourner. Explications avec Alexandre Bigot - Joly, co-fondateur de Influxio Avocat, cabinet spécialisé dans la communication digitale et le marketing d'influence.
Depuis 1991, la loi Evin intervient en encadrant ou en interdisant les publicités autour de l'alcool. Objectif : éviter toute incitation des citoyens à consommer de l'alcool - et du tabac. Plus de 30 ans après son entrée en vigueur, la législation est-elle bien respectée par les marques et les créateurs de contenus ? Alexandre Bigot - Joly, avocat co-fondateur du cabinet Influxio Avocat, éclaire sur cette loi et les dérives encore observées.
Quelles sont les principales restrictions imposées par la loi Evin en matière de publicité pour les boissons alcoolisées ?
Alexandre Bigot - Joly : Nous ne parlons pas vraiment de restrictions : c'est le terme "mentions autorisées" qui est privilégié. En effet, seules les possibilités, ce qui est possible de faire, sont mentionnées dans une liste établie par la loi et l'on considère donc que tout "le reste" n'est pas accepté. D'ailleurs, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) indique que pour pouvoir faire des publications en lien avec l'alcool sur les réseaux sociaux, seules deux hypothèses devraient être possibles : être un alcoolier, à l'instar de Moët Hennessy ou de Pernod Ricard, ou être un professionnel du secteur, un sommelier ou encore un viticulteur, auquel cas l'information diffusée est considérée comme fiable. En théorie, il n'est donc pas possible qu'un influenceur lifestyle fasse des publications autour de la thématique de l'alcool.
Alexandre Bigot - Joly rappelle les mentions autorisées :
- Degré volumique d'alcool
- Origine
- Dénomination
- Composition du produit
- Nom et adresse du fabricant, agents et des dépositaires
- Mode d'élaboration
- Modalités de vente et du mode de consommation
- Terroirs de production
- Distinctions obtenues
- Appellations d'origine ou indications géographiques
- Couleurs et caractéristiques olfactives et gustatives
Avoir sa propre marque d'alcool suffit à être désigné comme alcoolier ?
ABJ : Oui et c'est justement pour cela que de plus en plus de personnalités publiques liées aux réseaux sociaux - que ce soit dans l'univers de la culture urbaine, le rap, l'influence ou autre - créent leur propre marque d'alcool pour être considérées comme des alcooliers. On peut citer par exemple le rappeur Booba qui a créé sa marque de whisky "D.U.C Whisky". De ce fait, ils peuvent donc en parler plus librement.
Quels sont les risques juridiques encourus par les marques qui tentent de contourner la loi Evin ?
ABJ : Il y a une association qui est très vigilante sur le respect de la loi Evin : Addiction France. Cette association vient scruter les réseaux sociaux et toutes les prises de parole des marques afin qu'elles soient sanctionnées si la loi n'est pas respectée. Concernant les risques, il peut y avoir l'obligation du retrait des contenus, la prononciation d'amendes par les tribunaux ou de dommages et intérêts au nom et pour le compte de l'association Addiction France.
Quelles précautions les marques d'alcool doivent-elles prendre lors du dépôt de nouvelles marques pour éviter les conflits avec la loi Evin ?
ABJ : Les marques d'alcool doivent faire attention à bien respecter les mentions autorisées de la loi. Il y a des alcooliers notamment français qui sont connus pour aller parfois un peu plus loin que ce qui est strictement autorisé. Nous avons en tête certaines marques qui associent leur alcool avec un évènement sportif ou pour citer une marque, Ricard, qui, dans la grande majorité des cas, associe l'alcool à la pétanque et à la région du sud de la France. Dans ce cas de figure, nous pourrions dire qu'il y a un petit côté incitatif, même si le pastis fait aussi partie d'un patrimoine culturel et régional.
Est-ce qu'il y a un flou dans la législation Evin sur les réseaux sociaux ?
ABJ : À mon sens, s'il y a un flou c'est peut-être dans la compréhension qu'en ont les gens, car la loi et les textes sont très clairs entre ce qui est possible de faire ou non. Si nous nous renseignons vraiment, nous pouvons savoir. Certains peuvent aussi faire semblant d'ignorer la législation en se disant "croisons les doigts pour que ça passe".
Certaines marques feraient de la publicité déguisée ?
ABJ : L'un des leviers de publicité déguisée que l'on peut observer concerne les créations capsules avec des influenceurs, un peu comme ce qui se fait avec des cosmétiques. Pour donner un exemple, la marque de vins rosé Côte des Roses a fait appel à la créatrice de contenus Anna RVR pour une collection capsule. Le kit de dégustation de rosé comprenait un sac de plage en crochet, une fouta personnalisée à l'occasion de la collaboration Anna RVR x Côte Des Roses, deux verres gravés et une bouteille de rosé customisée, pour le prix de 50 €. La marque s'est fait taper sur les doigts, car comme le rappelle le communiqué de presse de l'Association Addictions France sur le sujet, les contenus de l'influenceuse multipliaient les infractions à la loi Evin en mêlant glamour, hédonisme et évasion. Les packagings et dénominations faisaient aussi appel au lexique de la sensualité. De plus, ces mêmes contenus donnaient envie de boire de l'alcool aux followers d'Anna Rvr, un public très majoritairement jeune. Un autre levier de publicité déguisée pourrait être que les marques d'alcool se mettent à faire du branding sur des vêtements ou des goodies comme le fait la RATP par exemple. Des goodies à l'effigie d'une marque d'alcool ne sont-ils pas considérés aussi comme une forme de publicité finalement ?
Est-il possible de contrôler davantage les contenus sur les réseaux sociaux ?
ABJ : Il y a une telle profusion des contenus sur les réseaux sociaux que l'État et la justice n'ont pas les moyens de tout surveiller en instantané. Finalement il revient aux associations aujourd'hui d'être les garantes et de faire de la veille sur tout ce qui se passe.
Pour prendre un cas concret, Océane Amsler créatrice de contenu, a attiré notre attention puisque récemment, elle a lancé sa marque de vin pétillant en canette : Maison Bagarre. Une vidéo a été postée - en guise de campagne - sur le compte Instagram de la marque pour annoncer le lancement. Pouvez-vous nous dire si la campagne respecte la loi Evin ? Et pourquoi ?
ABJ : C'est vrai que la vidéo est assez particulière, elle est ultra-scénarisée. Je ne dirais pas que le contenu est forcément incitatif, mais sur les éléments autorisés de la liste, nous ne retrouvons pas le côté informatif, comme le degré volumique d'alcool ou encore les cépages. De ce que j'observe, pour l'instant, l'objectif est de surfer sur une nouveauté - celle de passer de la bouteille en verre à une canette - pour vendre de l'alcool. Je ne dis pas que cela sera sanctionné, mais à mon sens, ce contenu devrait être plus informatif et je pense qu'il fera l'objet d'un retour de France Addiction.
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Comment les marques d'alcool peuvent-elles communiquer efficacement tout en respectant les contraintes de la loi Evin ?
ABJ : Pour moi c'est davantage un travail de création et de publicitaire. Pour communiquer efficacement, nous connaissons le cadre à respecter et les limites fixées. Ensuite, il faut faire valider le travail de communication à son service juridique, c'est ce qu'il y a de mieux.
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