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RSE : les patrons face au défi de la transparence

L'engagement RSE des patrons les expose particulièrement, comme semble le montrer l'éviction d'Emmanuel Faber de chez Danone. Est-ce pour autant la fin des patrons engagés ?

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
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RSE : les patrons face au défi de la transparence

Après ceux de Paul Polman chez Unilever en 2019 ou d'Isabelle Kocher chez Engie en 2020, le désaveu d'Emmanuel Faber, PDG de Danone, par son conseil d'administration est-il un nouveau coup porté aux "patrons à mission" qui veulent transformer le business model de leur groupe pour le rendre plus durable ? La question est légitime, étant donné le départ mi-mars de celui qui avait formalisé la raison d'être de Danone et en avait fait la première entreprise à mission du CAC40. De quoi être considéré comme un pionnier de ce capitalisme humain et humaniste censé faire mentir les conclusions du Rapport Meadows : The Limits to Growth (1972). Las, la vision néo-classique d'un marché efficient et l'arrivée en janvier 2021 des fonds activistes considérant le cours de bourse de Danone trop bas auront raison de lui. Faut-il pour autant en conclure que les investissements nécessaires à la mise en place d'un modèle durable sur le long terme freinent forcément la rentabilité sur le court terme ? Ce n'est pas ce qu'indiquent les résultats de Danone, néanmoins en deçà de ceux de Nestlé ou d'Unilever. Ainsi, loin d'être l'un des derniers "patrons à mission", Emmanuel Faber semble au contraire avoir eu (une) raison trop tôt, et même ne pas être allé assez loin dans la transition.

Comment marketer son action ?

Pour Denis Gancel, président co-fondateur de W&Cie, "les cas d'Emmanuel Faber ou d'Isabelle Kocher montrent que les dirigeants d'entreprises mondialisées font face à une grande complexité de contraintes paradoxales. Il faut être responsable et rentable ! Mais quand on touche à des sujets comme l'approvisionnement, la production ou la distribution pour les rendre plus durables, on se frotte vite à la barrière de la rentabilité sur le court terme, quand bien même ces actions vont vous permettre de donner du sens à vos produits et d'attirer consommateurs ou salariés sur le long terme." La question n'est donc pas tant s'il faut agir, mais dans quelle mesure et comment le faire savoir : "Les dirigeants d'entreprise n'ont pas la responsabilité de sauver le monde. Il faut avant tout qu'ils se recentrent sur leur rôle : produire une offre dans des conditions acceptables. Que l'on fasse des yaourts ou des burgers, le but est de le faire le mieux possible, en accord avec certaines valeurs."

Emmanuel Faber aurait donc réussi à lever de nombreuses barrières et à impulser la bonne dynamique. Sauf celle permettant à Danone de trouver la recette de sa transition vers des produits durables à plus forte valeur ajoutée, et donc plus rentables. Ce sera le défi de Gilles Schnepp, le successeur d'Emmanuel Faber, qui a lui-même reconnu qu'une entreprise responsable "a plus de chance de réussir et d'enregistrer de bonnes performances financières." Reste à savoir si ce dernier va également vouloir apparaître comme le garant de cette stratégie auprès des consommateurs, des salariés... et des actionnaires. Pourtant, tout semble pousser les patrons à s'engager. "75 % des Français sondés estiment que les leaders économiques ont une responsabilité envers le grand public, 67 % attendent des dirigeants d'entreprises qu'ils s'impliquent publiquement dans la gestion des problèmes de société lorsque le gouvernement ne les résout pas et 66 % souhaitent que les dirigeants, et particulièrement les CEO, deviennent leaders du changement", indique Amélie Aubry, managing director d'Elan Edelman France citant les résultats du dernier Trust Barometer. "Un consommateur sur deux est influencé par un tweet d'un CEO. La RSE est le premier sujet sur lequel s'expriment les décideurs, devant l'évolution des modes de production et de consommation, et aussi devant l'évolution du rôle de l'entreprise dans l'espace social", constate de son côté Johanne Casagrande, directrice générale stratégie, branding et innovation chez W&Cie. L'agence vient notamment de lancer "Executive", une offre de conseil en branding "on-demand" destinée aux dirigeants désireux de faire évoluer leur marque sur le terrain accidenté de la RSE. Or, nombreux sont ceux à manquer de vision marketing selon l'agence, alors qu'ils sont les seuls à devoir rendre des comptes pour les choix opérés sur les marques en portefeuille.

Le défi de la transparence

Plus globalement, à l'heure de l'alignement entre marque commerciale, corporate et employeur, cette situation pose la question de la nécessité de faire la transparence sur les actions menées par l'entreprise au travers de ses marques. "Aujourd'hui, on peut accéder très facilement à de l'information sur les produits et les entreprises, poursuit Johanne Casagrande. Nous avons tous plusieurs casquettes : en tant que citoyen, nous pouvons soutenir telle ou telle cause, et le faire en tant que consommateur, au travers de notre pouvoir d'achat, mais aussi en tant que salarié, en faisant bouger les choses dans l'entreprise." Et pour emmener la base, quoi de mieux que de voir la direction s'engager ? "70% des Français sondés déclarent avoir confiance en leur entreprise", rappelle Amélie Aubry, qui y voit une occasion de "faire de ses employés des ambassadeurs", et ainsi de transformer l'interne en une chambre de résonance de ses engagements à destination de l'externe. Pour cela, il faut libérer la parole et produire une information transparente sur les engagements pris et les actions menées pour les réaliser. Mais là encore, le passage au statut d'entreprise à mission, dont la stratégie est évaluée par un comité indépendant, semble cocher les cases "action" et "transparence"... Reste encore une fois à sortir de l'intention pour fournir des preuves.

"On a souvent reproché à Emmanuel Faber de trop communiquer en externe. Pourtant il a été défendu par les représentants des salariés lors des conseils d'administration, preuve qu'il avait réussi à embarquer l'interne", remarque également Denis Gancel, qui suggère qu'Emmanuel Faber est victime d'un mauvais timing : "Pour l'instant, ce sont les ETI qui sont le moteur de la loi PACTE. Mais je pense que la nomination d'Olivia Grégoire en tant que secrétaire d'Etat chargée de l'Economie sociale, solidaire et responsable à Bercy va accélérer les choses. À terme, les entreprises seront contraintes à plus de transparence vis-à-vis des différentes parties prenantes. Soit vous rejoignez le mouvement, soit vous le subissez. Or je pense qu'il vaut mieux établir le dialogue pour sensibiliser aux contraintes auxquelles font face les entreprises, plutôt que d'évoluer dans l'opacité, en faisant face aux critiques constantes de l'interne, des consommateurs et des ONG. Cela, même les actionnaires peuvent l'entendre : le manque de transparence peut détourner d'éventuels candidats, partenaires, et même les banques et les marchés, de plus en plus concentrés sur le respect des critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance." Le 22 mars, Euronext lançait ainsi un nouvel indice boursier CAC40 ESG, pour aiguiller les investisseurs. À Denis Gancel de conclure au sujet d'Emmanuel Faber : "Comme Moïse, il n'aura pas vu la terre promise mais il aura lancé le mouvement !"

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