[Tribune] I.A., comme Indécision Artificielle
L'intelligence artificielle nous fait miroiter un gain de temps et l'éradication de l'erreur. Pourtant, la création et l'intuition restent le propre de l'homme. Réflexion sur le machine learning, ses forces et ses limites, par Erik Bertin, membre de l'AACC, et Frédéric Hart.
L'I.A., l'intelligence artificielle, n'est plus une chimère. Elle est à l'oeuvre dans de nombreux domaines de notre quotidien. Dans les jeux vidéo, sur nos smartphones, chez le médecin...
Le marketing voit, lui aussi, son activité profondément modifiée par les deux nouveaux totems que sont l'algorithme et la big data. Les agences, comme les annonceurs, accueillent avec beaucoup d'espoir ces nouveaux profils, du " data scientist " au concepteur d'algorithmes. À force de " trigger ", de " real time bidding ", d'analyses prédictives et d'automatisations, de plus en plus de décisions et de taches sont désormais confiées à la machine.
Et ce n'est que le début. Les innovations dans la compréhension du langage naturel et le " machine learning " permettent déjà à certains robots (on pense à Watson d'IBM) d'engager une conversation mêlant ambiguïté et ironie avec un être humain. Heinz, la célèbre marque de ketchup a, avec l'agence Universal McCann et la start-up msg.ai, déployé la première campagne d'engagement robotisée sur Facebook.
Une prise de décision rassurante...
Cette délégation est une nécessité face à la multiplication des canaux, points de contact, interactions et données collectées. Et reconnaissons-le, déléguer à la machine a un côté rassurant : elle agit sans se tromper. La figure du robot nourrit le fantasme d'un imaginaire d'optimisation. Peu à peu, de simple exécutante, la machine s'installe dans le processus décisionnel. Elle est censée aider le décideur à limiter le risque tout en gagnant en efficacité.
Mais la limite de la machine est de réduire la décision à un certain nombre de paramètres objectifs et rationnels. Or, décider est plus complexe. C'est un acte qui souvent combine calculs et intuition, hasard, pari... C'est ainsi que sont nées des entreprises comme Facebook, BlaBlaCar, Uber. La conviction, le risque sont des ressorts prodigieux pour créer de la rupture dans un schéma bien établi.
... Qui libère l'indispensable créativité humaine
Pourtant, notre industrie semble vouloir s'en remettre de plus en plus entre les mains de la rationalité. Paradoxalement, cette fascination pour l'efficacité infaillible du chiffre se transforme en système de croyance " irrationnel ".
Alors, si les robots sont là pour durer, pourquoi ne pas nous répartir les tâches et faire bon ménage ? Car jusqu'à preuve du contraire - des spécialistes en prévoient la possibilité d'ici à 2075(1) - la machine n'est pas encore douée de puissance créative. S'il est une nécessité pour les CMO et les agences de s'approprier la machine il est encore plus important de composer avec elle. Laisser au robot, cet " idiot savant ", sa puissance de calcul pour se concentrer encore plus sur l'instinct, le pari et la créativité toutes sortes d'activités passionnantes et excitantes qui n'ont, pour l'heure, toujours aucun sens pour la machine.
" L'ensemble de ce qui compte ne peut pas être compté, et l'ensemble de ce qui peut être compté ne compte pas ", disait Albert Einstein.
(1) Nick Bostrom, Future Progress in Artificial Intelligence : A Survey of Expert Opinion
Lire aussi : Pas de data, pas d'IA
Les auteurs :
Erik Bertin, directeur général adjoint de MRM/McCANN, en charge des stratégies, et membre de la délégation Customer Marketing de l'AACC, effectue depuis plus de vingt ans un double parcours en planning stratégique et en enseignement et recherche universitaires. Erik a acquis une expérience du planning approfondie qui couvre les nombreuses facettes de l'individu. Après une première expérience chez CLM/BBDO et Lintas, il rejoint Stratéus en tant que directeur du planning. Il intègre ensuite Saatchi & Saatchi en tant que directeur de planning international, puis prend la direction du planning Europe & Moyen Orient de Saatchi & Saatchi X. En 2008, il rejoint Business Lab, s'imprégnant de la culture digitale. Il intègre MRM-McCann en 2012.
Frédéric Hart, titulaire d'un DESS en Communication Politique et Sociale, est planneur stratégique chez MRM-Mc Cann. Il débute à l'INA avant de rejoindre le groupe McCann pour participer à la digitalisation des principaux clients du groupe. Après un passage chez Universal McCann, Frédéric rejoint les équipes du planning stratégique de Nurun. De retour dans le groupe McCann en 2000, il intègre le planning stratégique de l'agence MRM-McCann. Responsable de la veille et l'innovation au sein de l'agence, il accompagne au quotidien les équipes digitales, CRM et Trade.
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