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Instituts d'étude: après la crise, place à la transformation

Si les budgets sont restés globalement stables en 2015, les attentes des marques en matière d'études marketing ont profondément changé. Plus ROIstes, plus fréquentes, intégrant une réelle dimension opérationnelle, les demandes challengent toujours plus les instituts.

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Instituts d'étude: après la crise, place à la transformation

"Nous avons tardé à ­évoluer" Luc Laurentin, président du Syntec Études

L'édition 2015 du Baromètre Market Research News Callson sur le secteur des études marketing prévoyait que l'année 2015 serait relativement stable. Les budgets consacrés aux études devaient évoluer entre 0 et - 1 %. Même si les chiffres réels ne sont pas disponibles à l'heure où nous imprimons ces pages, les professionnels valident la prédiction. La crise et la sinistrose qui ont affecté la profession depuis 2008 semblent être révolues.

Mais si les volumes demeurent, si le recours aux études reste stratégique pour les marques, il n'en reste pas moins que le secteur est chahuté et qu'il est entré en mutation sous l'influence de nouveaux enjeux pour les annonceurs d'une part et de l'émergence, depuis quelques années, d'une nouvelle concurrence incarnée par les spécialistes de l'écoute sociale. Bruno Schmutz, directeur général adjoint d'Ipsos Connect, est affir­matif à ce sujet : "Il faut cesser d'évoquer la crise du secteur des études et admettre que le processus de transformation de la profession est bel et bien engagé. Le marché se transforme, de même que les attentes, les outils et nos clients. Mais la ­transformation et la réinvention ­perpétuelle font désormais partie de l'évolution naturelle du métier". Cette mutation, désormais bien engagée, ne s'est pas faite sans ­souffrance. "Nous avons tardé à ­évoluer, confie Luc Laurentin, ­président du Syntec Études. Nous avons un temps été dépassés par la technologie. Le secteur des études souffre parfois d'une certaine inertie, en étant trop recentré sur lui-même, et il a fallu travailler à s'ouvrir sur de nouveaux univers."

Bruno Schmutz, directeur général adjoint d'Ipsos Connect

" Mesurer le comportement des consommateurs ne suffit plus, il faut identifier les causes et conséquences pour apporter des réponses pertinentes. "

Luc Laurentin, président du Syntec Etudes et directeur général de BVA-Limelight

" Le monde des études doit éviter le consanguinité et accepter de comprendre et cartographier sa concurrence. "


De l'analyse à la recommandation

Les chargés d'études côté instituts ont désormais l'obligation, pour répondre aux attentes des annonceurs, de s'impliquer davantage, en effectuant des recommandations qui permettront aux commanditaires de mieux piloter leurs investissements. Toutefois, ce glissement vers une dimension de conseil n'est pas sans soulever un certain nombre de problèmes. Bruno Botton (GfK) se plaît à rappeler que le consulting est un métier différent et que les instituts n'ont rien à gagner à créer la confusion entre leur action et les missions confiées aux cabinets de conseil. Reste que le conseil et l'accompagnement sont deux dimensions qui permettent aux ­instituts de générer de la valeur. "On ne peut plus opposer la technologie, les études et l'analyse, estime Nathalie Perrio-Combeaux, co-CEO France et UK de l'institut Harris Interactive. Il faut mettre de ­l'intelligence à toutes les étapes, c'est ainsi que nous parviendrons à nous impliquer davantage".

Au-delà de la forme, le fond a également beaucoup évolué. Les données sont entrées dans la danse et "il est impossible de dissocier les études ­classiques et la data, précise Ketty de Falco, si l'on veut répondre à ­l'impératif de customer centricity". Car le consommateur est, plus que jamais, au coeur des préoccupations. "Les annonceurs ont pris conscience que la richesse des données leur appartenait et ils souhaitent ­désormais l'exploiter pleinement", explique Claudie Voland-Rivet, directrice marketing et innovation pour l'UDA. L'évolution fonda­mentale, c'est vraiment la démarche ROIste des annonceurs qui ­s'impose quels que soient les moyens mis en oeuvre. Faire converger les métiers, intégrer une forte dimension design et storytelling dans les résultats d'études, être force de proposition tout en restant ­profondément ancré business, telles sont les attentes des annonceurs... Autant de défis pour les professionnels des études qui doivent repenser leurs outils et leurs process.

Nathalie Perrio-Combeaux, co-CEO France et UK de Harris Interactive

" Les annonceurs ont la volonté de rapprocher la marque du client et les panels communautaires seront l'un des défis de 2016. "

Claudie Voland-Rivet, directrice marketing et innovation de l'UDA

" Le secteur des études est en mouvement perpétuel et son périmètre va désormais rester fluctuant, la capacité à se remettre en question sera décisive pour l'avenir. "

Xavier Rauch, product manager analytics pour Coheris : " Il nous fallait un outil graphique simple pour faciliter la compréhension des datas "

Pour répondre aux attentes des instituts, Coheris a développé une solution de data visualisation. " L'outil permet, au-delà de la restitution des analyses, de captiver l'attention d'un auditoire, explique Xavier Rauch. Le logiciel évolue en permanence, s'enrichit de nouveaux visuels, de pictogrammes. " Conscient que les chargés d'études ne sont pas nécessairement des graphistes dans l'âme, Coheris Dataviz intègre un moteur de recommandations qui suggère les éléments graphiques à utiliser en fonction du type de données à illustrer. " Moins d'une journée de formation suffit pour le prendre en main, précise Xavier Rauch, et nous proposons des formations ponctuelles orientées data visualisation dans une acception plus large. " Directeur du département production et innovation de l'Ifop, Thomas Duhard a contribué à l'adoption de cette solution. " Les études ont bénéficié de beaucoup d'innovations sur le plan des moyens de collecte, mais nos clients étaient demandeurs de davantage de représentations graphiques. Accessible même aux profanes, Coheris Dataviz répondait à notre problématique. "

La convergence des données déclaratives et comportementales

Les responsables marketing sont en droit d'exiger des instituts d'études des réponses à leurs préoccupations quotidiennes sans avoir à se soucier des moyens mis en oeuvre. L'impé­ratif d'efficacité, de réalisme et de réactivité a fait évoluer les pratiques des instituts mais aussi des cabinets de conseil qui gravitent dans ­l'écosystème. Pour répondre aux nouvelles demandes des marques, les professionnels des études ont cherché à s'adapter. L'erreur serait de renoncer à ce qui fait la valeur historique des études : le déclaratif !

Mais ce dernier ne suffit plus. Le consommateur a changé, il a pris le pouvoir, s'exprime et compte bien être entendu. Ketty de Falco (CSA Research) est convaincue que le déclaratif doit être mis en perspective avec les ­données : "La convergence est nécessaire car les données, notamment comportementales, permettent de relativiser les résultats obtenus par le canal déclaratif". L'avenir des études serait donc dans le panacha­ge des sources et la valeur ajoutée des instituts se situerait dans la capacité à fédérer les modes de collecte d'informations, à multiplier les techniques et les canaux d'écoute, pour proposer un aperçu synthétique des attentes des consommateurs. La difficulté est, comme dans une recette de cuisine, de parvenir à équilibrer les ingrédients. Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, qui s'est spécialisée dans la veille et l'analyse des médias sociaux, se méfie de la data et se défie de cette surenchère autour des data scientists : "Les données déclaratives sont fondamentales, tandis que les données comportementales apportent un éclairage complémentaire ". Et l'expert des réseaux sociaux rappelle que même Facebook (champion du comportemental par excellence) a recours depuis 2015 à des panels d'utilisateurs qui agissent comme un système de contrôle et d'équilibrage des remontées comportementales. Des tests effectués auprès de différents types de public et portant sur de nombreux critères permettent de faire évoluer les algorithmes du réseau social. Chez CSA Research en revanche, et à la faveur de l'intégration de l'institut dans le giron du groupe Havas en 2015, on croit ­fermement que les données doivent être mises au coeur des études. "Il faut croiser les informations dont on dispose pour aller au-delà du déclaratif, pour l'enrichir et lui redonner de la valeur", affirme Ketty de Falco.

François Baradat, directeur marketing de TNS Sofres : " Les annonceurs ont besoin d'indicateurs qui les aident à prendre des décisions "

Chez TNS Sofres, les solutions d'études normées intègrent des modules permettant de calculer précisément l'impact business pour le client et facilitent le renforcement du ROI. Ainsi, l'outil "Conversion Model" mesure l'engagement des consommateurs auprès des marques en s'appuyant sur deux indicateurs clés : le "Power in the Mind", c'est-à-dire l'attractivité intrinsèque de la marque, et le "Power in the Market", soit l'efficacité des moyens opérationnels dont la marque se dote pour être choisie au moment de l'achat (prix, visibilité en linéaire, actions promotionnelles...). " Ce qui intéresse les équipes marketing, c'est de connaître l'impact sur le chiffre d'affaires que l'on obtient si l'on agit sur tel ou tel levier du Power in the Mind (avec des actions "pull") ou du Power in the Market (activation des facteurs de marché - actions "push"), explique François Baradat. Notre approche modélise les gains -potentiels de chiffre d'affaires en fonction des actions que prendrait la marque. " Un bon moyen de faire le tri entre les opportunités de croissance et de privilégier les dépenses marketing qui auront le plus fort ROI.

"Les annonceurs souhaitent être au plus près de la vie des gens" Bruno Botton, directeur général de l'institut d'études GfK ISL

Directeur général de l'institut d'études GfK ISL, Custom Research France, Bruno Botton dresse un constat sans appel : "Les annonceurs souhaitent être au plus près de la vie des gens." De cette réalité découle la nécessaire mutation du secteur des études. "C'est à nous, instituts, de trouver les moyens d'atteindre cet objectif", affirme Bruno Botton. Derrière ce constat, plusieurs ­exigences sous-jacentes impactent la façon dont les études sont "consommées", car l'urgence des annonceurs à connaître, ­comprendre et décrypter oblige les professionnels des études à se positionner diffé­remment. "Pour que nos études apportent une réponse opérationnelle à nos clients, confie François Baradat, directeur marketing de TNS Sofres, nous devons ­appréhender en amont leurs enjeux business et, en aval, être en mesure de proposer des résultats qui soient davantage mis en scène."

Au sein des entreprises, la fonction études a également évolué. Comme le révèle l'étude intitulée Parcours de la donnée productive en entreprise, ­réalisée à l'initiative de l'Union des annonceurs (UDA) et de l'Adetem, le service études confirme sa position centrale auprès des décideurs, mais son influence générale diminue. "On demande, en règle générale, aux services études de faire mieux avec moins, déclare Anne Panis-Lelong, directrice du pôle Veille des opinions, de la consommation et de la concurrence à la SNCF. Ce que nous attendons d'un institut, c'est à la fois l'agilité, l'intelligence, la rigueur et la capacité à restituer des résultats appropriables." Dès lors, les instituts ne se conten­tent plus de proposer des tableaux statistiques. Les études circulent davantage dans les entreprises, sont moins cantonnées à la fonction études et, par conséquent, doivent être accessibles et intelligibles pour des non-spécialistes. "Nos clients attendent de nous que nous nous ­inscrivions dans une démarche de conseil, affirme Ketty de Falco, directeur général de l'institut CSA Research. Cela ne se limite pas à la mise en forme des livrables !"

Bruno Botton, directeur général de GfK ISL, Custom Research France

" De par notre positionnement et notre savoir-faire, nous pouvons donner des conseils, mais nous ne faisons pas du conseil. "

Anne Panis-Lelong, directrice du pôle veille des opinions, de la consommation et de la concurrence à la SNCF

"Nous attendons des instituts qu'ils nous fassent partager la réalité des consommateurs pour nous aider à prendre du recul."

Ketty de Falco, directeur général de CSA Research

"Les annonceurs ont besoin de centraliser la connaissance client et cherchent à mieux comprendre et mesurer l'expérience de leur client avec la marque et, dans ce cadre, le déclaratif ne suffit plus !"

Le rôle du temps, de la technologie et de l'image

Au-delà de la nécessaire convergence entre le déclaratif et les données, l'autre adaptation du ­secteur des études, c'est la gestion du temps. De nombreux instituts ­proposent désormais des études dont les livrables sont disponibles en quelques heures. Chez Harris Interactive par exemple, l'offre Chrono 24 permet d'obtenir des résultats sous 24 heures, tandis que chez Kantar, certains formats sont accessibles en moins de six heures ! "L'adaptation de nos offres et de nos solutions techniques, explique Jean-Michel Janoueix, CEO France Consumer Insights de Kantar, passe par plus de rapidité et par plus d'efficacité sur le plan des coûts. S'ouvrir, être curieux, fonctionner en mode projet, c'est ainsi que nous pouvons accompagner nos clients."

Mais ce besoin d'être toujours en mouvement, toujours à l'affût, n'est pas sans perturber les professionnels des études. Pour être agile, il n'est plus possible d'investir des sommes considérables pour s'approprier des technologies, des méthodes dont la pérennité n'est pas toujours garantie. Bruno Schmutz (Ipsos) rappelle ainsi que 15 % du chiffre d'affaires 2015 ont été consacrés aux nouvelles technologies. Face à l'émergence de nouvelles solutions que les instituts n'ont souvent ni le temps, ni les moyens de maîtriser sur le long terme, une solution s'impose : ­travailler avec des partenaires. Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision, est ainsi convaincu que "la notion d'hybridation est plus importante que celle d'intégration. C'est en ouvrant notre métier sur une dynamique de partenariats que nous disposerons de l'agilité nécessaire !"

Au-delà des voeux (parfois pieux), le monde des études continue de miser sur l'innovation. Le canal mobile reste un vecteur de premier ordre, avec de nombreux développements portant à la fois sur la géolocalisation et l'utilisation de la voix. Dans une optique toujours plus conversationnelle, il est essentiel de développer des solutions automatisées capables de saisir le ressenti immédiat des consommateurs. Capter la voix et l'analyser sont des moyens d'intégrer de l'émotionnel dans le déclaratif. Chez Linkfluence, on croit également beaucoup à l'image, photos ou vidéo. "L'expression par l'image se développe très rapidement, confirme Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. L'image est une mine d'informations qui permet de restituer une certaine vision des marchés".

Jean-Michel Janoueix, CEO France Consumer Insights de Kantar

"Nos clients subissent des contraintes fortes, ils veulent des solutions rapides et déployables dans le monde entier."

Stéphane Truchi, président dudirectoire de l'Ifop

" Compréhension, décodage, mise en perspective, les institutsdoivent évoluer autour de ces attentes en gardant à l'esprit que leursavoir-faire, c'est interroger. "

Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence : "Demain, l'écoute sociale, ce sera aussi l'analyse des images"

Pendant direct de l'usage croissant du smartphone, la captation des images et de la vidéo est devenue un canal de tout premier ordre pour quiconque souhaite comprendre le consommateur. Linkfluence propose depuis 2015 la reconnaissance de logos et de marques sur les images publiées notamment sur Instagram. " Nous avons constaté qu'en deux ans environ, explique Guilhem Fouetillou, sur les 130 millions de contenus que nous analysons chaque jour, la part des conversations sur Instagram est passée de 2 % à 20 %, plus particulièrement dans le secteur du luxe. Nous avons cherché à aller au-delà des mots (140 en moyenne) pour décrypter les images ". Le grand chantier de 2016, pour Linkfluence, sera de proposer un algorithme capable de reconnaître non seulement un logo ou une marque sur une photo, mais surtout de décrypter l'ensemble des éléments de contexte (le lieu de prise de vue, le nombre de personnes sur l'image) et de comprendre les attitudes. " Nous avons la chance que les capacités algorithmiques et computationnelles actuelles permettent un tel travail. Les enseignements que nous pourrons en tirer en termes de compréhension de l'expérience du consommateur avec les marques sont vraiment prometteurs ". Et l'avenir ? Appliquer le même principe de reconnaissance et d'analyse aux contenus vidéo publiés chaque jour sur des plateformes comme YouTube. " Mais la capacité de traitement des flux de données est colossale et il faudra encore un peu de patience... ", conclut Guilhem Fouetillou.

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