L'innovation n'est jamais une coïncidence
La grande conso est un univers impitoyable. Où innover rime souvent avec mortalité. Comment survivre alors en rayons ? Eléments de réponse avec Virginie Gorgeon, directrice de l'innovation de Nielsen France.
Je m'abonneLa nouveauté en rayons agit toujours comme un aimant. Le cerveau commande d'abord à l'oeil, puis à la main de s'intéresser aux nouveaux produits. C'est le célèbre "First Moment of Truth " qui se calcule en quelques secondes. Ce mécanisme est immuable et c'est la grande chance du marketing. Pourtant, huit nouveaux produits sur dix ne survivront pas à leur première année. Un taux de mortalité qui doucherait le plus motivé des chefs de produits convaincu qu'il "tient" son innovation de rupture. L'expression populaire "donner sa chance au produit" ne relève jamais du hasard et des méthodes existent pour pérenniser une innovation.
Master étude
La première édition européenne du "Nielsen Breakthrough Innovation Report", s'est penchée sur le lancement de 12 000 produits de grande consommation entre 2011 et 2013 (voir la méthodologie plus loin). Elle révèle que deux nouveaux produits sur trois n'atteignent jamais le seuil de 10 000 unités vendues, et que trois sur quatre ne parviennent pas à rester en rayon au-delà de la première année (et 54% disparaissent au bout de 6 mois). Des résultats assez déprimants ! " mais pas surprenants " pour Virginie Gorgeon, directrice de l'innovation de Nielsen France " les critères pour être élu "European Breakthrough Innovation Winners" étaient très exigeants ".
En effet, les innovations gagnantes en 2014 devaient répondre à trois critères : la différenciation d'abord, soit apporter une vraie nouvelle proposition au marché et pas un simple ajustement comme par exemple un nouveau parfum pour des yaourts. Deuxième critère : la pertinence, soit générer au minimum 10 millions d'euros de ventes dès la première année. Et enfin l'endurance, soit le maintien a minima 85% des ventes de l'année de lancement en année deux. A l'arrivée (après l'étude du cycle de vie de 12 000 innovations) seuls sept lancements ont été primés (à découvrir ICI).
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Selon l'étude de Nielsen, les équipes marketing peuvent néanmoins " démentir ce taux d'échec, pour atteindre un taux de réussite enviable de 85%, en modifiant leur approche de l'innovation et en construisant un environnement propice à une culture passionnée de l'innovation ".
Une méthode ?
L'institut d'études a ainsi construit une roue vertueuse de l'innovation en douze étapes (voir le schéma plus bas). De ce que les anglo-saxons nomment la "salience" [ndlr : insights résultant principalement d'une veille économique pointue], à la pertinence de la proposition ou au positionnement prix. " Il s'agit de proposer une base structurée à la prise de risque. La réussite d'une innovation est tout sauf une simple coïncidence. Les succès identifiés s'appuient sur des tentatives délibérées de réviser tous les aspects du process d'innovation, de challenger les normes établies, comme les attitudes des consommateurs, les croyances historiques, les politiques de mise sur le marché ou le comportement au sein des entreprises" continue Virginie Gorgeon.
La roue de l'innovation selon Nielsen
Sprinter ou marathonien ?
L'innovation est souvent comparée à une course. Et en la matière, deux types de foulées se dégagent. Les sprinters et les marathoniens. Les premiers (souvent les multinationales de l'agroalimentaire) vont très vite, innovent à marche forcée et disposent de moyens considérables pour soutenir leurs lancements par des investissements médias massifs. Les lingettes, la lessive en tablette, les nouveaux encas du rayons ultra frais (Danio [découvrir le cas ICI] ou Yopa) ou encore les boissons (buvables) à la Stévia, sont des innovations développées par des sprinters. Ces géants suivent en parallèle une sorte "d'hygiène de l'innovation", davantage constituée de nouveautés que de réelles innovations.
La marque maintient ainsi sa base de consommateurs en alerte. Les marathoniens eux, vont certes moins vite mais peuvent aller très loin. Michel & Augustin, Red Bull, You, Bonne Maman, Charles&Alice ou encore Sodebo (lire le cas marketing paru dans le dernier numéro de Marketing n°185) sont toutes des marques qui ont, à l'origine, appliqué un marketing plutôt modeste. Une attitude, certes imposée par des moyens financiers réduits, mais surtout dictée par un état d'esprit de bâtisseur au long cours. Qui aurait parié sur le succès actuel de Bonne Maman par exemple ? Créée par le groupe Andros dans les années soixante-dix, la marque a attaqué d'autres rayons avec régularité et constance. On la trouve aujourd'hui au rayon frais (avec au passage la création du segment des desserts gourmands), au biscuits et même au rayon surgelé avec les glaces. " Quand la brand equity, ou le fond de marque, est pertinent et qu'il s'inscrit dans la réalité des populations, une innovation a toutes les chances de réussir. Les bonnes idées viennent de ce travail d'observation et d'une vision, soutenus par une culture d'entreprise structurée. Ce n'est jamais de la chance, mais du travail ! " commente encore Valérie Gorgeon.
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Belle histoire
Enfin, les succès des marathoniens inspirent souvent les sprinters. C'est la belle histoire de la marque Chobani. Hamdi Ulukaya, un étudiant turc en économie installé aux Etats-Unis, crée sa marque de yaourts dits "grecs" en 2005. Un carton. Danone et Yoplait mettront du temps à réagir. Aujourd'hui, les succès de Danio (découvrir le cas marketing de Danio) et de Yopa tirent le chiffre d'affaires de l'ultra frais en renouvelant les usages du repas. Mi-yaourt ultra protéiné, mi-encas, cet ovni aura t-il le même destin que Yop devenu une antonomase passé dans le langage courant ?
Méthodologie
Le Nielsen Breakthrough Innovation Report s'appuie sur les résultats de 12 000 lancements (61 000 références) dans 17 catégories, à partir de la plateforme Nielsen ScanTrack Innovation, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie. Le rapport fournit des données et insights sur l'innovation aux experts marketing. Il s'appuie sur l'observation réelle des lancements à succès depuis 2011. L'étude ambitionne d'accompagner la réussite des nouveaux produits, et d'améliorer la rentabilité de chaque euro investi.