DossierBig data, big opportunité mais big chantier
7 - Interview de Bruno Teboul enseignant à Paris-Dauphine, directeur scientifique, R & D et innovation de Keyrus
" Une discipline absente des manuels de marketing "
Quel est, pour vous, l'enjeu du big data ?
Bruno Teboul : L' enjeu big data, c'est celui de la donnée non structurée, celle du NoSQL. C'est une rupture "programmatique". Le déluge informationnel n'est pas un mythe. Les données étaient déjà pléthoriques à la Renaissance. Ce phénomène n'est donc pas nouveau mais bien réel. On a déjà de gigantesques trésors de données. Seules 20 % de celles-ci sont en moyenne exploités. D'ailleurs, devons nous parler de données structurées ou non structurées ? Le terme "multistructurées" serait plus exact.
Un individu peut-il échapper à ses données ?
Pour maintenir une relation quasi parfaite entre le consommateur et la marque, il faut limiter le bruit. Sauf que le consommateur est cerné. L'intérêt pour un annonceur, consiste à diffuser l'information auprès de tous. C'est louable, souhaitable et inévitable. Quelqu'un de déconnecté est quelqu'un de suspect. Refuser d'être une identité numérique est illusoire. On peut se déconnecter mais on tombe alors dans une forme de suspicion. Il ne peut pas y avoir d'anonymat.
Qui peut travailler ces big data ?
Tout le défi est d'être créatif pour inventer de nouveaux algorithmes. Un data miner ne peut pas faire un bon data scientist. Les data sciences permettent de reconstruire la vie d'un humain dès lors que celui-ci laisse des traces sur le Web (ou "information shadows").
Comment voyez-vous évoluer le marketing face à cet enjeu ?
Le marketing doit intégrer l'aléatoire, la non-linéarité. Les signaux faibles sont plus importants que les signaux forts. Notre capacité à raisonner est limitée. Il est possible pour un humain d'opérer des choix autres qu'économiques.
On ignore la complexité du monde qui nous entoure. Le cerveau humain est victime de biais heuristiques et de raccourcis. Il faut donc apprendre à anticiper une réponse à une requête. On part des données brutes mais on cherche des corrélations. Il faut déterminer les causes les plus probables d'une observation surprenante. C'est tout l'enjeu du raisonnement dit "abductif". Grâce à ces nouvelles techniques, le marketing a l'opportunité de se renouveler. Il faut faire évoluer la discipline et ses techniques afin de répondre aux nouveaux consommateurs dans un nouveau monde.
Titulaire d'une maîtrise d'Épistémologie, d'un DEA de Sciences cognitives à l'école Polytechnique / EHESS et d'un Executive MBA HEC, il est actuellement doctorant en Sciences de gestion à l'université Paris-Dauphine, où il enseigne le marketing.