Recherche

Franck Gervais : " La liberté découle de la responsabilité "

Devenu président de l'UDA le 1er janvier 2019, Franck Gervais a acté, en avril, le "rebranding" de l'association centenaire, rebaptisée Union des marques. Un moyen d'élargir son action et son audience, et d'interroger le rôle des marques dans la société, selon le CEO Europe d'Accor.

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Lecture
12 min
  • Imprimer
Franck Gervais : ' La liberté découle de la responsabilité '

Vous avez adopté le nom "Union des marques " le 18 avril dernier. Pourquoi ce changement et en quoi est-il significatif de l'évolution du rôle du branding et du marketing aujourd'hui ?

Le fond de cette évolution - le repositionnement de l'association - était dans l'esprit de Jean-Luc Chetrit, son directeur général, et de ses équipes bien avant ma prise de fonction. La forme - le changement de nom - nous est ensuite vite apparue nécessaire. C'est même une évidence aujourd'hui : nous ne nous adressons plus seulement à des annonceurs qui cherchent à optimiser leurs placements publicitaires et à valoriser des marques commerciales auprès du consommateur. Nous avons vocation à devenir un "hub" de bonnes pratiques pour les entreprises qui veulent aussi travailler des marques employeurs et des marques corporate. Comme nous l'évoquions lors de l'événement Ça Marque !, consacré au thème de la confiance et au cours duquel nous avons dévoilé notre nouvelle identité, la marque s'exprime sur d'autres terrains, auprès d'autres publics, par exemple les citoyens : la marque doit aussi faire valoir ses engagements ­sociétaux. Comment se comporte-t-elle dans sa logique d'achat ? Met-elle en cohérence ses prises de parole et ses actes ? Dans ce contexte, nous ne nous adressons plus uniquement aux CMO ou aux directeurs de la communication des entreprises, mais également aux CEO. Nous voulons que les sujets liés au branding occupent 20 à 25 % de leur agenda, car c'est désormais la clé de leur réussite. Et puis, c'est plus simple d'expliquer à des interlocuteurs qui ne sont pas du métier ce qu'est l'Union des marques, plutôt que UDA pour Union des Annonceurs. Nous avons d'ailleurs abandonné l'acronyme ! Nous mettons notre nom en conformité avec ce que nous avons toujours fait et ce que nous avons toujours voulu être. La même logique était à l' oeuvre lors de mon passage chez Voyages-SNCF.com, qui est devenu ensuite Oui.SNCF : d'un simple site de distribution - un guichet ­digitalisé de la SNCF -, nous étions devenus le compagnon du voyage. Le rebranding est intervenu seulement une fois que toutes les preuves étaient là.

Peut-on également faire un parallèle avec le rebranding d'AccorHotels, devenu simplement Accor en février 2019 ?

Oui. De la même façon, quand Accor rebrande son écosystème numérique et son programme de fidélité en ALL - Accor Live Limitless -, c'est pour nous une façon d'acter le fait que nous ne vendons plus seulement des nuitées hôtelières, mais également du divertissement, des services, de la restauration ... Ces nouvelles désignations vous invitent à vivre sans limites, à expérimenter ce qu'il y a derrière les barrières que vous vous fixez !

Quels sont vos objectifs désormais, et comment vont s'incarner ces nouvelles identités ?

Au sein de l'Union des marques, notre objectif est d'attirer de nouvelles marques, issues de nouveaux secteurs. L'arrivée de Vinci Construction est significative : l'entreprise a des enjeux de marque employeur et corporate, mais ne serait jamais entrée au sein de l'UDA. C'est un très bon exemple de ce que nous voulons faire via ce rebranding : ne plus attirer les marques commerciales, qui sont quasiment déjà toutes représentées chez nous, mais ne plus se limiter non plus aux entreprises du CAC 40 ou du SBF 120 , pour toucher les plus petites marques, les ETI et les nouveaux acteurs issus du digital. Sur le fond, nous avons historiquement beaucoup parlé de la liberté de com­muniquer. Et nous continuerons à le faire ! Mais la liberté arrivait en premier et, ensuite, nous évoquions la responsabilité des ­annonceurs. Désormais, nous inversons le prisme, car la liberté découle de la responsabilité. Idem pour notre autre sujet clé, l'efficacité. Après l'offline, c'est en ligne que se posent dorénavant ces questions. Or, quand nous sommes dans des environnements des Gafa, nous n'avons que des informations partielles, et sans doute partiales ! Avant l'efficacité, il faut donc parler de transparence. Entre les deux, nous misons donc sur le partage de la donnée et de la connaissance client. De ce cadre découlent toutes nos initiatives : le programme FAIRe et le label Digital Ad Trust, dans lesquels les marques s'engagent à promouvoir des messages et à acheter des médias responsables. Cet engagement n'est pas anodin : chez Accor, il a fallu vérifier avec nos agences et nos équipes que l'efficacité auprès de nos cibles était toujours au rendez-vous. Nous valorisons de plus en plus le print, la radio ou le cinéma, pour créer une réelle connivence avec la personne, qui va valoriser les marques et les médias qui lui ressemblent et dans lesquels elle a confiance. Enfin, je pourrais également évoquer des initiatives comme le Référentiel de l'efficacité ou encore la Qualitative Open Platform, qui veut pousser nos adhérents à partager leurs données, en toute transparence, avec les clients pour améliorer l'expérience délivrée. Mais nous n'en sommes encore qu'aux prémices. Et il y a la Brand Academy, lancée en juin dernier : c'est un programme qui permet aux marques d'appréhender leur environnement à 360° et qui s'adresse donc autant au CMO qu'au DRH ou aux directeurs juridiques des marques. Mais, rassurez-vous, je n'ai rien contre les CMO !

Avec FAIRe, vous luttez contre les stéréotypes dans la publicité. L'année 2019 a été marquée par la dénonciation du sexisme et des agressions dont sont victimes les femmes travaillant en agence. Que fait l'Union des marques pour sensibiliser ses adhérents à ces problèmes ? Faut-il un label à l'image du Digital Ad Trust ?

Nous sommes clairs : nous voulons favoriser la diversité et l'équilibre, sur tous les sujets. Nous croyons en la qualité issue d'une bonne ­relation avec les agences et d'un bon climat au sein de ces dernières. Des chartes de bons comportements ont été signées entre annonceurs et agences. Nous rappelons à nos adhérents de faire respecter ces engagements. De là à imaginer un label ? Il faudrait en parler avec l'AACC et l'Udecam pour faire ressortir les meilleures pratiques en la matière. Chez Accor, nous sommes l'un des trois signataires, avec EY et L'Oréal, du mouvement baptisé "Stop au sexisme ­ordinaire", dont le but est d'alerter sur les comportements du ­quotidien, par exemple une remarque sur le physique, car ils sont à l'origine de cette culture sexiste.

Vous avez plusieurs fois évoqué le rôle du CMO. Que pensez-vous de sa disparition chez des marques comme McDonald's, Uber ou Johnson & Johnson ? Le marketing doit-il s'effacer derrière la marque ?

Chez Accor, nous conservons nos CMO ! Steve Taylor garde la main sur le branding et le sponsorship au niveau global, et je suis justement en train de créer le poste pour l'Europe : Karelle Lamouche est officiellement chief commercial officer, mais a la fonction marketing dans son périmètre. C'est caractéristique, selon moi, de l'évolution de la fonction : le CMO ne doit pas être dans une tour d'ivoire, mais avoir des convictions et des connaissances sur des sujets annexes et pouvoir s'imprégner de la réalité du terrain. Design, digital, expérience client, achats ... Les achats responsables sont aujourd'hui une composante clé du métier ! Restons chez Accor : le 17 septembre, nous lançons Greet, une nouvelle marque qui mixe les notions de "meet", et de "great", et qui, malicieusement, peut aussi faire penser à la jeune militante écologiste Greta Thunberg. Nous la positionnons sur le segment économique, au même titre qu'Ibis. Greet incarne et réalise ce que souhaitent les consommateurs-citoyens aujourd'hui : authenticité, véracité, localité. Ces hôtels vont être ceux de la seconde chance. Nous arrêtons la standardisation de l'équipement et avons passé un partenariat avec Emmaüs, pour que les directeurs d'hôtel puissent chiner afin de créer un espace qui ressemble aux lieux, aux clients et aux employés. Ces derniers ne seront plus issus du même moule et seront recrutés via l'aide de structures d'insertion locales. Nous allons aussi nous approvisionner auprès de producteurs locaux et en faire la promotion auprès de nos clients, qui pourront racheter ces produits par notre intermédiaire, y compris après leur séjour.

Authenticité, localité ou, plutôt, proximité : ces éléments sont aussi au coeur de la refonte actuelle des hôtels Ibis. Comment cette évolution va-t-elle impacter vos 37 autres marques ?

Aucun hôtel Greet ne ressemblera à un autre. Cela plaît, mais il y a aussi des gens qui aiment être rassurés et retrouver dans chaque hôtel les mêmes garanties. Que l'on soit businessman ou en famille, on aime la piscine du Novotel ou le standing du Mercure. Cela vaut aussi pour Ibis ou pour Fairmont ! Ibis est la deuxième marque la plus connue dans le monde, et la première en France. Les gens ont besoin d'être rassurés, mais au-delà des services ou du design standardisés, nous allons nous distinguer via des partenariats avec Sony et Spotify pour organiser des concerts dans nos hôtels. Nous essayons aussi d'apporter une touche locale. Les meilleurs exemples sont les Mercure : nous avons des standards, comme les savons et shampoings de la marque Nuxe, distribués dans tous nos hôtels. Les gens adorent, c'est un plus pour séduire notre clientèle. En même temps, il y a une touche locale. Au Mercure Tour Eiffel, le directeur cultive du houblon et produit 100 % de la bière vendue sur place ! C'est l'exemple du glocal : les meilleurs du global et du local. Mais reste encore à savoir si ces valeurs sont des vecteurs de performances.

Les succès rencontrés par des marques comme C'est qui le Patron ?!, qui, après le lait, a ouvert une consultation, cet été, pour s'attaquer à près de 20 000 références, ou comme L'Arbre Vert, qui s'est lancée dans les produits de beauté après les produits d'entretien, ne sont pas justement les signes que l'authenticité et la proximité sont plébiscitées par les consommateurs ?

Ce sont, en effet, deux très bons exemples, que je trouve géniaux. J'ajouterais aussi des marques comme Fusalp ou Le Slip Français. Elles ne marketent pas du vent, mais des faits et, malgré le succès, conservent leurs convictions. Nuxe a aussi très bien évolué, en ne produisant qu'en Bretagne et en gardant son ADN, tout en élargissant son réseau de distribution. Innover sans se renier. Ce sont ces marques que nous devons valoriser au sein de l'Union des marques.

Nombre d'entre elles peuvent être rattachées à la mouvance des DNVB (Digital Native Vertical Brands). Comment sont-elles appelées à évoluer à côté des marques installées que vous rassemblez au sein de l'Union des marques ?

Il faut de la coopération et de l'inclusion, pas de l'opposition. Il y a de la place pour tous. Les DNVB donnent à voir les nouvelles tendances et mettent en place de nouvelles pratiques. Les grands groupes doivent y répondre via leurs marques existantes, s'associer à ces nouveaux acteurs ou procéder comme Danone et Michel & Augustin en les rachetant. Notre rôle est alors de faire toute l'audience nécessaire aux DNVB. C'est pour cela que nous voulons nous adresser aux ETI.

La recherche d'une plus grande proximité se traduit aussi chez de nombreuses marques par la mise en oeuvre de programmes relationnels, à la place des programmes de fidélité. Comment qualifieriez-vous le programme Accor Live Limitless dans ce cadre ?

Les clients ne cherchent plus des programmes à l'ancienne, qui leur proposent de "burner" ce qu'ils ont "earné". Ils en ont 50 et n'y attachent aucune importance, ce qui n'est pas source de valeur pour la marque. Accor, leader européen de l'hôtellerie et sixième groupe dans le monde, se distingue d'un Hilton ou d'un Marriott en dépassant ce simple cadre. Accor, ce n'est pas seulement 5 000 hôtels dans le monde. Ce sont aussi 10 000 bars et restaurants qui sont des lieux de convivialité. 60 % de la clientèle des hôtels qui marchent le mieux en matière de food and beverage ne réside pas dans l'hôtel, et cela monte à 80 % pour des concepts comme les Mama Shelter. Il y a aussi les spas, les salles de séminaires, des parkings, des cuisines qui ne sont pas utilisés à 100 %, alors qu'il y a des gens qui seraient intéressés. Nous avons investi dans des start-up comme VeryChic, Onepark ou Wojo (ex-Nextdoor) pour valoriser ce potentiel. Nous avons de la conciergerie avec John Paul, des expériences sportives et d'entertainment avec le PSG et AccorHotels Arena ... Nous avons une multitude de façons de faire bénéficier nos clients de cet écosystème. Il n'y a plus lieu aujourd'hui d'avoir un seul programme de fidélité comme Le Club AccorHotels, mais un programme expérientiel qui s'appelle Accor Live Limitless.

Le sport est un levier de plus en plus utilisé par les marques pour faire vivre à leurs clients des expériences. Concrètement, comment Accor va-t-il activer son partenariat avec le PSG ?

Nous allons utiliser tous les moyens possibles, du plus visible, la présence d'ALL sur les maillots du club, jusqu'aux plus intimes, comme offrir un maillot floqué aux clients les plus fidèles, à la place d'une énième boîte de chocolats. Entre les deux, la palette est très large : accorder des hospitalités au Parc des Princes, rencontrer Kylian Mbappé avec vos enfants ... Bref, de quoi devenir à leurs yeux les meilleurs parents du monde, à vie ! Ce sont les fameux "money can't buy", qui vont véritablement enrichir le programme.

Pour vous, quel sera le sujet de l'année 2020 ? L'efficacité, la transparence et la mesure, via l'arrivée à maturité des modèles d'attribution ? La RSE, le développement durable et la lutte contre les inégalités ? La protection des données, dans le cadre du RGPD, puis d'e-Privacy ?

Tous ces sujets seront prioritaires en 2020, mais je pense que les deux mots-clés de l'année seront expérience et "purpose". Toutes les notions que vous citez ont leur place dans ces deux termes, pour les adhérents de l'Union des marques comme pour Accor.


Franck Gervais participera au prochain Marketing Day 2019, le 19 novembre au Ground Control (Paris 12)

Livres Blancs

Voir tous les livres blancs

Vos prochains événements

Voir tous les événements

Voir tous les événements

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page