Peoplisation, no limit ?
Les hommes politiques se partagent les Unes des magazines people aux côtés des stars du showbiz du moment. Les marques s'arrachent les actrices à succès dans leur publicité. Les super-héros pullulent au cinéma. La société s'est bel et bien peoplisée, pour le meilleur comme pour le pire.
La presse people a atteint des records de vente cet été. Plus de 1,9 million d'exemplaires ont été vendus la semaine du 30 juillet pour les seuls Closer, Voici et Public ! L'affaire McCann monopolise nos journaux télévisés. Nos hommes et femmes politiques se voient placardés dans Voici et Paris Match en tenue de plage. Pénélope Cruz s'affiche dans les couloirs du métro sous la marque Mango quand Scarlett Johansson met en avant les sacs Vuitton et Sienna Miller lance sa propre ligne de vêtements, Twenty8Twelve, avec sa sœur styliste. La société tout entière semble battre au rythme des people, des stars et des célébrités. Et même des héros imaginaires ! À l'instar du dernier tome d'Harry Potter, qui s'est écoulé à 20 millions d'exemplaires dans le monde durant la seule journée du 21 juillet 2007. Pourtant, de nombreux médias avaient révélé la fin des aventures du petit sorcier avant même sa sortie. Des médias à la littérature, des marques aux causes humanitaires, en passant par les milieux politiques, tous les pans de la société paraissent touchés par cette vague de “peoplisation”. À croire que pour exister, l'appui d'une célébrité et la visibilité médiatique soient obligatoires... Pour François Jost, professeur à la Sorbonne Nouvelle et directeur du Centre d'étude sur les images et les sons médiatiques, c'est une évidence. « Tout le monde s'accorde à dire que l'existence passe par le fait d'être vu. Seul ce qui est visible existe. » Résultat, une véritable course à la visibilité médiatique a lieu, et ce dans tous les milieux. Pour percer à une vitesse record dans le milieu artistique, la case téléréalité semble devenue un passage obligé. Peu importe après tout que le gagnant de La Nouvelle Star ou autres Star Academy ait plus de talent ou non que l'artiste auteur-compositeur qui galère de bar en bar pour se faire un nom. Il obtient grâce à sa présence médiatique en prime time la possibilité d'enregistrer un disque, et avec lui, de côtoyer la tête des charts. Peu importe que des artistes n'aient aucune légitimité particulière à parler politique, les politiciens ont rivalisé durant la dernière campagne présidentielle pour s'afficher à leurs côtés. Peu importe que des acteurs ou des chanteurs n'aient a priori aucune compétence significative en stylisme, les marques se les arrachent pour leur proposer de dessiner plusieurs de leurs modèles ou tout simplement de poser pour eux. D'ailleurs, c'est bien connu, pour prouver qu'un accessoire est vraiment à la mode, rien de mieux que de le montrer porté par une star. Les magazines féminins ont bien compris le filon.
Des célébrités à tout va
L'utilisation des célébrités dans les publicités n'est certes pas nouvelle. Elle tend néanmoins à se généraliser, au risque de voir la même star afficher son plus large sourire pour une dizaine de marques différentes. Les people et autres stars de cinéma ont détrôné les mannequins sur les affiches publicitaires. Ils ont acquis une véritable valeur commerciale, du fait de leur notoriété et de l'image glamour qu'ils dégagent. L'artiste Kate Kretz a ainsi clairement posé le problème du cycle du culte des célébrités et de leur déification dans son tableau représentant l'actrice Angelina Jolie en Vierge Marie, survolant un supermarché... D'ailleurs, sur le site de Radio Canada, le professeur en communication Irwing Rein n'hésite pas à affirmer clairement que sans célébrités, « les gens n'iraient pas au cinéma, il n'y aurait pas d'émissions télé... Notre société serait terne, homogène et sans marques. » Un point de vue bien tranché ! N'y aurait-il donc pas de séduction sans le sceau d'une personne connue ? Vincent Leclabart, président de l'agence de publicité Australie, n'a à ce sujet pas d'avis définitif. Tout dépend du degré de notoriété de la marque elle-même. Même s'il convient, forcément, que l'appel à une égérie « permet de gagner du temps » et, pour une marque qui a besoin de statut, d'en acquérir un assez vite. Le groupe Altavia, spécialisé dans la communication commerciale, pointe par ailleurs le fait qu'une célébrité n'est plus recherchée pour sa compétence mais pour sa renommée : « Aujourd'hui, quand une marque sollicite un people, c'est d'abord pour sa notoriété qu'elle compte s'approprier à travers une offre coproduite pour l'occasion. People, certes, mais people actif. La preuve que désormais la notoriété prime et que les marques seules ne parviennent pas toujours à séduire. » Ainsi, Georges Clooney prête son image pour Nespresso et Stéphanie Seymour pour Chantelle.
Le philosophe Damien Le Guay, auteur notamment de L'empire de la télé-réalité, abonde dans ce sens. Il affirme que si « autrefois nous avions une reconnaissance de la notoriété des individus en fonction de leur talent », à présent « la célébrité commence à exister par elle-même ». Rémy Rieffel, sociologue des médias et professeur à Paris II, partage ce point de vue : « Aujourd'hui, vous n'avez pas besoin d'être compétent pour être célèbre. La célébrité, c'est tout simplement la visibilité médiatique. » L'exemple le plus frappant étant celui de Paris Hilton. « Elle n'a d'autres talents que celui d'être connue », remarque Damien Le Guay. Et si les médias parlent autant d'elle, ce n'est pas pour la montrer en exemple, loin de là ! Le philosophe ajoute : « Nous sommes à la fois dans une société de compétition, dans une société de mérite (avec l'école et les diplômes) et en même temps il y a un imaginaire social qui fait l'apologie de comportements asociaux ». Cherchez l'erreur...
Pénélope Cruz s'affiche dans les campagnes Mango.
Vincent Leclabart (Australie) :
« Avec la télé-réalité, des gens standards deviennent d'un seul coup extrêmement connus. »
La célébrité à portée de main
Le paradoxe est là, tiraillant chacun d'entre nous entre la recherche de reconnaissance par le travail et la recherche de reconnaissance par... la reconnaissance elle-même. Damien Le Guay s'insurge : « Comment expliquer à des enfants qu'il faut travailler à l'école, qu'il faut s'inscrire dans une démarche méritocratique, quand en même temps, ils sont abreuvés d'images et de catéchisme cathodique, qui affirment que l'important n'est pas le travail mais la reconnaissance. Que celle-ci peut se faire indépendamment du talent, et que l'affirmation de soi prime sur les règles de discipline. » Dur constat, et pourtant...
Pour accéder à la célébrité, le talent ne semble plus nécessaire. « Ce monde de la célébrité n'est plus inaccessible, note François Jost. Par un coup de baguette magique, par la télévision, je peux devenir célèbre. » Bienvenue donc dans l'ère de la célébrité banalisée. À une époque, le monde des stars était « un univers inaccessible qui faisait rêver », remarque François Jost. Aujourd'hui, il semble à la portée de tous. Y compris de l'individu ordinaire. Comme le constate Rémy Rieffel, avant la célébrité rimait avec des personnalités sortant de l'ordinaire « qui vivaient dans un monde lointain pour le commun des mortels », un monde associé notamment au luxe et à la richesse. Aujourd'hui, la société « met en valeur des individus ordinaires », parce que « c'est la mise en scène de soi qui compte ». Auparavant, les acteurs de cinéma faisaient la Une des magazines. Depuis quelques années, les animateurs télé ont accédé à cette célébrité qui était propre aux personnalités du grand écran. « Nous sommes passés du grand au petit écran », souligne Rémy Rieffel. Le phénomène atteint même la sphère politique. Pour lui, l'explication est claire : « Nous sommes dans une société où les individus, pour être légitimés et reconnus, ont besoin de se montrer aux autres et où le moi devient un phénomène essentiel. » La télévision n'est d'ailleurs pas le seul moyen d'accéder à cet instant de célébrité tant convoité. Les blogs offrent notamment aux inconnus en quête de reconnaissance une large place pour s'exprimer et raconter leur vie plus ou moins ordinaire. D'autres préfèrent mettre en ligne des vidéos les mettant en scène. Le nombre de pages vues, le nombre de visionnages, le nombre de commentaires, le nombre d'amis enregistrés sur sa page, deviennent des baromètres de popularité. Le summum étant de devenir suffisamment populaire sur la Toile pour accéder au stade supérieur : le passage dans une émission de télévision.
Thomas Jamet, directeur associé de ReLoad, estime également que le rapport à la célébrité est « totalement différent aujourd'hui », en raison notamment de la multiplication des canaux de distribution, de l'accélération de l'information, du zapping médiatique. Et de souligner que l'on peut « devenir une star mondiale en quelques semaines », à l'instar du groupe allemand Tokyo Hôtel, ayant acquis très vite le statut d'idole des adolescentes. Mais, revers de la médaille, le soufflé peut retomber très vite. Comme l'observe Thomas Jamet, si « l'on s'approprie plus vite les célébrités pour les faire monter sur un piédestal, les rendre stars », en même temps « elles peuvent en descendre tout aussi rapidement ». C'est notamment le cas de la plupart des participants des émissions de télé-réalité. Portés aux nues durant leur passage sur le petit écran, ils sont souvent bien vite oubliés et remplacés par de nouveaux venus.
Thomas Jamet (ReLoad) :
« Je ne sais si c'est une dictature de la visibilité ou un grand pragmatisme, une adaptation face à une offre médiatique mouvante. »
Un quart d'heure de gloire banalisé
Reste que leur ascension fulgurante laisse à penser que nous pouvons tous devenir connus et connaître le fameux « quart d'heure de gloire » cher à Andy Warhol. Passer à la télé serait même devenu, aux dires de François Jost, un droit revendiqué par les téléspectateurs, à l'instar de leur droit à la sécurité sociale ! « C'est presque devenu une sorte d'exigence démocratique », ironise-t-il.
Rémy Rieffel parle, quant à lui, d'un système qui « favorise l'égalisation, l'uniformisation ». Parce que les politiques côtoient dans les magazines people des chanteurs, acteurs ou participants d'émission de télé-réalité, tout le monde semble être mis sur le même plan. « Un homme politique a la même médiatisation qu'un artiste ou qu'un chanteur, observe Rémy Rieffel. La hiérarchie habituelle des ordres de grandeur disparaît donc, avec le risque de créer un nivellement ou une égalisation un peu dangereuse. » Il en résulte un « brouillage des valeurs dans la hiérarchie des légitimités », résume-t-il. Ainsi, certains hommes politiques soignent particulièrement leur stratégie de communication, jouant sur l'ambiguïté entre leur vie publique et leur vie privée. Au risque d'accorder une prépondérance à l'image qu'ils renvoient et à leur visibilité par rapport au contenu, au recul, à la distanciation. Rémy Rieffel poursuit : « Je m pense qu'il y a une déperdition de sens. Nous sommes dans un système à grand spectacle, très narcissique, où ce qui M compte, c'est l'audimat, l'image, le showbiz, parés des vertus de l'authenticité, de la proximité avec les gens, de la transparence, au détriment du contenu. » Évidemment, il ne s'agit pas de généraliser. Les hommes politiques, les scientifiques et les artistes compétents ne manquent pas. Il n'en demeure pas moins qu'une société à deux vitesses s'est installée, où, aux dires de Rémy Rieffel, « les gens les plus visibles ne sont pas nécessairement les plus compétents » et où, au contraire, « des individus qui auraient des choses à dire, qui produisent une œuvre littéraire ou artistique, restent dans l'anonymat parce qu'ils ne sont pas médiatisables, télégéniques ou médiatiques. »
Damien Le Guay :
« La grande nouveauté, c'est que la célébrité commence à exister par elle-même. »
Des héros aux célébrités
Une question persiste : ce phénomène de “peoplisation”, de banalisation de la célébrité, n'induit-il pas une perte de repères ? Certaines célébrités de pacotille ne sont-elles pas en train de prendre la place des héros d'autrefois ? Marc Tourret, professeur agrégé d'histoire, a mis en avant dans l'exposition Héros, d'Achille à Zidane qu'il codirige à la BNF, l'évolution du héros à travers le temps, et notamment le « déclin du héros collectif » au profit « du culte de la performance individuelle ». Le héros guerrier a cédé la place à une multitude de formes héroïques, du super-héros à celui d'heroïc fantasy, en passant par le guitar hero, le héros humanitaire et le sportif. « Les valeurs héroïques s'individualisent et se diffusent dans l'individu », remarque-t-il. Si le héros épique était révélé par le poète et le héros national était médiatisé par l'historien, le héros moderne est, pour sa part, construit par le système médiatique.
Marc Tourret remarque qu'il en résulte une usure plus rapide du héros : « Achille est resté un héros pendant des siècles, Zidane va peut-être durer un peu plus de dix ans. » Mais cet affadissement du héros ne doit pas être vu uniquement d'un point de vue négatif. Il est aussi le gage d'une société vivant en paix. « On a toujours besoin de rêver à des personnages extraordinaires, les enfants ont besoin de s'identifier à des modèles, mais en même temps, on ne connaît plus les mêmes crises, les mêmes conflits dans les périodes troublées. Or les héros surgissent toujours dans des périodes de trouble, de crise, de guerre, de violence », ajoute-t-il. Résultat : les héros sont de plus en plus virtuels. Ils foisonnent en littérature, souvent sous l'apparence d'enfants. Isabelle Smadja, agrégée de philosophie et auteur notamment de Harry Potter, les raisons d'un succès, observe que « les romans de la littérature jeunesse sont plébiscités par des adultes alors que pourtant ceux-ci construisent un univers où les adultes ont baissé les bras devant les menaces et s'en remettent aux enfants pour les protéger. » De À la croisée des mondes de Philip Pullman au Livre des étoiles d'Erik L'Homme, sans oublier Harry Potter de J. K. Rowling, les exemples sont nombreux. Isabelle Smadja dresse également un parallèle frappant entre l'écrivain et son héros : Harry Potter « est une œuvre fictive, mais l'auteur, de solitaire et méconnue, est devenue progressivement riche et célèbre. Maintenant elle tente d'échapper aux paparazzi. Des liens se tissent entre l'imaginaire et le réel, comme si le public était un peu en quête d'histoires fictives qui soient peu à peu investies par le réel. » Les lecteurs ont voulu s'approprier le destin du petit sorcier, allant jusqu'à envoyer une pétition pour que J.K. Rowling ne le fasse pas mourir dans le dernier volume.
Au cinéma, les héros vieillissants reviennent, de l'inspecteur John McClane dans Die Hard 4, à Rambo, en passant par Indiana Jones en mai prochain. Les héros bien connus ont la cote, tout comme les super-héros, qui ont atteint le petit écran avec la série Heroes. Signe, peut-être, que las de trouver des hommes héroïques dans le réel, nous en cherchons dans la fiction. À moins que chacun essaie tout simplement de devenir soi-même une personne qui compte. Pour Thomas Jamet, « on a une aspiration soit à s'évader dans un monde (imaginaire, où l'on trouve du réconfort, soit à s'en sortir, à changer le monde. » Peut-être arrivera-t-on un jour à un phénomène de saturation face aux célébrités, que François Jost se plaît à appeler « héros du pauvre ». Alors, les héros, les vrais, reprendront leur place. Ils n'auront pas besoin de se starifier pour se faire entendre. Les causes humanitaires vaudront par elles-mêmes. Les politiques referont passer le contenu avant leur image. Les marques vaudront par la seule qualité de leurs produits et services. Les médias parleront des personnes qui comptent véritablement et qui agissent, non seulement pour elles mais également pour les autres.