Les zoos humains bientôt dans la désaffection ?
Surexposés, surexhibés, zoophilisés, ces corps domestiqués et dociles filmés par la télé-réalité et le sport-business portent en eux leur propre épuisement. A force de vouloir faire coïncider les masses à la réalité et la réalité aux masses, les individus risquent de se détourner du spectacle frénétique de l'immédiat sans perspective. La lassitude est pour bientôt. Ce sont peut-être le langage et la dignité, nécessaires à la pensée, qui vont susciter la curiosité de demain et resensibiliser la société. Le marketing ne saurait s'en plaindre.
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Du XIXe siècle aux années 30, les pays d'Occident se sont complu dans la
reconstitution de villages "indigènes" et dans l'exhibition d'êtres humains.
Des millions d'Européens et d'Américains sont venus contempler des spécimens
vivants et se rassurer avec une "hiérarchie des races et des civilisations".
Dans des cirques, tels Barnum, on exposait aussi des monstres, femmes à barbe
et autres freaks, du nom du célèbre film de Tod Browning. C'était le temps
d'Elephant Man, de l'enfant sauvage, de la vénus hottentote. A Paris, par
exemple, lors de l'Exposition coloniale de 1931, des milliers d'indigènes sont
parqués pour enrichir les producteurs et divertir le public. La différence et
l'exotisme constituaient un spectacle des plus courus. Avec l'actualité de la
télé-réalité, plusieurs ouvrages viennent de paraître sur ce sujet, y compris
des fictions*. Car cette époque est-elle définitivement révolue ? Rien n'est
moins sûr. Certaines émissions ne sont pas sans faire penser à ces zoos
humains. Le sport, qui privilégie la vision instantanée et immédiate dans un
espace clos dont le public est mis à distance, n'y échappe pas. « Comment le
stade participe-t-il encore aujourd'hui à la diffusion d'imaginaires sur
l'Autre issus de l'époque coloniale ? », s'interroge Philippe Liotard**.
D'autres n'hésitent pas à faire le parallèle avec un certain art moderne privé
de son esprit critique et de sa dérision. « L'art du XXe siècle s'est fondé sur
la glorification du banal à partir du geste de Duchamp qui, le premier,
transforma l'objet d'art en "ready-made". Andy Wharol et le Pop art ont décrété
qu'il suffisait de mettre quelques boîtes de soupe Campbell dans un musée pour
qu'elles acquièrent, du même coup, le statut d'oeuvre d'art. Est-ce que cette
mise en boîte de quelques jeunes entre les murs d'un studio est un avatar de
cet art ? », se demande François Jost ***. Et effectivement, si l'on considère
ces jeunes comme des produits industriels vivants, le Pop art ne serait-il pas
dépassé au profit du Popuch'art de la télé-marketing ? * Cannibale et Le
retour d'Ataï, de Didier Daeninckx. Editions Verdier. ** Des zoos Humains aux
stades : le spectacle des corps, in "Zoos Humains". *** L'Empire du loft.
Editions La Dispute.