La fidélité librement consentie
Dérégulation des marchés, ouverture à la concurrence, intervention massive des associations de consommateurs, autant d'éléments qui exposent aujourd'hui bien des entreprises à une nouvelle donne en matière de sécurisation de leur portefeuille client.
La fidélité client est depuis une quinzaine d'années un sujet permanent de
préoccupations, même si sa définition reste fluctuante, notamment lorsque des
mécanismes contractuels sont mis en place pour “retenir le client”. Nous
proposerons donc de parler de “fidélité librement consentie” (1) dès lors que
le client est parfaitement en mesure de choisir son niveau d'engagement pour
tout type de prestation qu'il désire. Voici une illustration de cette “fidélité
librement consentie” dans le cadre du nouveau contexte du marché de la
téléphonie mobile en France.
L'exemple de la téléphonie mobile
La table ronde du 27 septembre 2005 organisée par François Loos, ministre délégué à l'Industrie, s'est avérée décisive pour donner une nouvelle impulsion à la concurrence dans le secteur des télécommunications. Parmi un ensemble de recommandations, le ministre a invité les opérateurs de téléphonie mobile à proposer des forfaits sans engagement. Certains opérateurs virtuels (MVNO) avaient, d'ailleurs, devancé l'appel. Cette nouvelle mesure pose naturellement la question du modèle économique viable à concevoir, dans un cadre relationnel où la fidélité du client serait désormais entièrement librement consentie. Et où son infidélité pourrait s'exercer à tout moment (comme c'est déjà le cas pour les cartes prépayées)… Chez les opérateurs, deux sentiments peuvent émerger : - côté financier, la crainte que l'ouverture de cette barrière de sécurité (la fin de l'engagement obligatoire pour les clients forfaits) puisse déclencher une hémorragie imprévisible du capital client, - côté marketing, l'idée que le choix de l'engagement pourrait devenir un positionnement affirmé (et non subi par l'opérateur) et s'inscrire comme l'un des axes structurants du discours de la marque.
Une invitation à innover
Ce débat illustre assez bien combien certains décideurs (parfois les directions financières) ont le sentiment de ne pas pouvoir construire une relation client profitable, dans la durée, sans ériger des mesures contractuelles contraignantes. Peut-on parler de méconnaissance ou de peur du client ? Peut-être de manque de maîtrise et de confiance. La fin de l'engagement obligatoire conduit donc à une inquiétude financière, d'une part, et une ambition marketing, d'autre part. Les opérateurs doivent donc désormais gérer une fidélité “librement consentie” par les clients, où la seule marge de manœuvre réside dans l'incitation et la satisfaction et non le juridique. Une invitation nouvelle à innover et séduire les clients. Certains opérateurs historiques pourraient tenter de couvrir cette nouvelle part de risque par une légère hausse des tarifs, ce qui dans le contexte d'attaque des opérateurs virtuels (orientés low cost), peut s'avérer une stratégie suicidaire. Il semble qu'au contraire deux mouvements opposés se dessinent : - la mise en place d'offres low cost, basiques chez les opérateurs historiques, en réponse aux attaques des opérateurs virtuels, avec un capital de marque supérieur à celui dont peuvent bénéficier ces derniers (même s'ils sont systématiquement adossés à un opérateur historique) ; - l'accélération du processus d'innovation permettant d'offrir des services à très forte valeur ajoutée, différenciant et adressant d'autres cibles que les adeptes du low cost. Une stratégie qui pourrait ériger une barrière à l'entrée pour la plupart des MVNO à court terme.
Trois approches pour s'adapter au nouveau contexte
- Une stratégie de marché fondée sur une meilleure segmentation des besoins afin d'identifier les populations particulièrement sensibles aux questions tarifaires, d'une part, et les populations réceptives aux initiatives innovantes, d'autre part. Il s'agit naturellement d'un point central afin d'évaluer le poids des enjeux et d'adapter un modèle économique global équilibré, face à un client potentiellement libéré de ses contraintes contractuelles habituelles. Cette première approche répond donc à la fois à un besoin de ciblage des offres et de calibration des prix. - La mise en place de démarches structurées d'innovation (2) qui constituent probablement le meilleur socle de sécurité pour les entreprises. Auprès des clients réceptifs aux offres innovantes, identifiés comme premier axe de cette approche, il est essentiel de faire émerger les insights consommateurs qui vont se transformer en opportunités et donc en puissants leviers d'acquisition et de fidélisation. - Le maintien global d'un niveau élevé de qualité de service permettant de garantir un bon équilibre entre la promesse véhiculée par la marque et l'expérience concrètement vécue par le client (3). La téléphonie n'est naturellement pas le seul secteur à être désormais exposé à cette fidélité “librement consentie” et encouragée par les associations de consommateurs et le législateur.
L'insight consommateur au centre des stratégies
Plusieurs marchés en cours de dérégulation sont virtuellement exposés aux mêmes problématiques comme l'Energie, les Services postaux ou les Chemins de fer. En toile de fond, souvent un même schéma, un opérateur historique maître des “tuyaux”, face à des réseaux de distribution privés ou alternatifs lançant des offres agressives et communiquant souvent dans un premier temps sur l'axe low cost (prenons l'exemple de Poweo dans l'énergie). Face à ces attaques, un opérateur historique doit réaffirmer sa légitimité par l'ajustement tarifaire sur certaines offres, la fiabilité globale et/ou la mise en place de services innovants. Dans un tel cadre, plus que jamais, l'insight consommateur reste au centre des stratégies de riposte ou d'attaque de chaque entreprise. Il a maintes fois été écrit que le consommateur est de plus en plus informé, chaque jour davantage expert. Il faut noter qu'il est surtout chaque jour davantage libre de ses arbitrages, dispositions légales aidant. La maîtrise du marché appartiendra à celui qui en aura la meilleure connaissance et qui saura influencer efficacement un consommateur de plus en plus libre de consentir… ou pas. m.papanicola@research-int.com (1) Certains auront peut-être reconnu l'allusion à la “soumission librement consentie”, dérivée de la théorie de l'engagement, cf. La soumission librement consentie, Joule, Beauvois, Puf, 1998. (2) “Research International structure son offre innovation”, Marketing Magazine, mars 2006, N° 102. (3) “Retour vers le produit”, Marketing Magazine, mai 2005, N°95.