L'affichage crée l'événement
Thomas Jamet (Zenith Optimedia et Starcom): «La communication extérieure doit jouer à plein son rôle de créateur d'émotion.»
Quels rapports les citadins entretiennent-ils avec la ville? Vaste sujet, bien i^-évidemment au coeur des préoccupations des afficheurs pour qui la cité est le premier territoire d'expression et de communication. JCDecaux vient d'ailleurs de publier le dernier volet de ses cahiers de tendance consacrés à la ville. Après avoir abordé les thématiques de la mobilité en 2006 et de l'audience en 2008, le groupe termine en bonne logique par les marques, nerf de la guerre de son activité. Baptisée «Urbanstories», cette étude porte plus particulièrement sur la place des marques premium dans la ville, sur leur légitimité dans l'environnement urbain et sur les territoires émotionnels qu'elles investissent, notamment au travers de la communication extérieure. Le groupe a interrogé et emmené dans les rues de Paris et de Lyon un panel de CSP +, cible de ces marques à haute valeur ajoutée. Aidé de Reload, d'Opinion Way et d'un collège d'experts, JCDecaux a finalement identifié quatre types d'imaginaires urbains, quatre manières de vivre la ville et quatre scénarios pour la ville, selon que l'on en est acteur ou spectateur, de manière individuelle ou collective: la contemplation individuelle (Urban Lounge), la découverte permanente (Urban Safari), le spectacle dans la rue (Urban Show) et le terrain de jeu (Urban Playground). «On est dans une ville qui se réinvente autour des idées d'implication, de partage, de créativité et de connectivité», note Isabelle Mari, directrice du marketing stratégique de JCDecaux. Une ville que la communication extérieure n'hésite pas à «habiller» parfois de curieuse façon pour mettre en avant une marque ou un produit.
Pour soutenir le programme «Mon pari bikini avec Spécial K» de Kellogg's, l'opération de Carat/Posterscope a présenté I 200 modèles de I maillots de bain à l'intérieur d'Abribus show- cases à Paris.
Créer de l'émotion
Il est frappant de voir à quel point le fossé qui séparait la France de ses voisins anglo-saxons en matière d'affichage événementiel tend aujourd'hui à se combler, doucement mais sûrement. Des dispositifs qui osent toujours plus de créativité et de démesure fleurissent partout. «La communication extérieure doit jouer à plein son rôle de créateur d'émotion, développer «l'effet waouh», estime Thomas Jamet, directeur général adjoint et directeur du planning stratégique de Zenith Optimedia et Starcom. Elle peut d'autant plus le faire qu'elle a une présence naturelle dans la ville.» Un avis que partage, en partie, Fabienne Ricaud, directrice de l'affichage national chez Mediabrand : «Il y a une demande de la part des annonceurs, notamment les marques qui cherchent à toucher les jeunes de manière innovante ou encore les marques d'alcool limitées par la loi Evin. Mais ces demandes ne vont pas forcément se concrétiser. Les services marketing ont en effet du mal à convaincre la direction de jouer sur l'aspect émotionnel, car il est difficilement quantifiable.» Des»waouh«, on a cependant l'occasion d'en pousser depuis quelque temps et il est même devenu difficile de les citer tous. Fin d'été oblige, les femmes peuvent encore avoir en tête la campagne de Kellogg's pour soutenir son programme «Mon Pari Bikini avec Spécial K». Orchestrée par Carat/ Posterscope, cette opération événementielle présentait des maillots de bain rouges à l'intérieur d'Abribus showcases parisiens du réseau JCDecaux Mobilier Urbain. Plus de 200 modèles y étaient exposes et rappelaient avec humour la perspective de l'été... et la fameuse épreuve du maillot de bain sur la plage. «Le programme Spécial K insiste sur la dédramatisation de la minceur. Ce dispositif, qui venait en relais d'un affichage national classique, était cohérent avec les caractéristiques de proximité et de connivence de la marque, explique Stéphanie Bodak, chef de groupe. Cela va dans le sens de l'approche que nous voulons développer pour entretenir la conversation avec la femme.» Outre son originalité créative, cette campagne se distinguait par la puissance du dispositif décliné sur 50 showcases, une première.
Pour Kia Motors, CBS Outdoor a déformaté des panneaux pour faire sortir du cadre une voiture en PVC.
Caroline Mériaux (ClearChannel France): «Face à la fragmentation croissante des audiences, les annonceurs recherchent de plus en plus des opérations événementielles.»
Du mobilier urbain interactif
Décidément à la pointe en la matière, JCDecaux a également frappé un grand coup pour Sony Ericsson en déclinant pour la première fois une campagne originellement conçue pour le Web sur une sélection de mobilier urbain interactif. Le concept, imaginé par l'agence Arthur Schlovsky pour mettre en avant la première plateforme locative de VOD sur mobile proposée sur un Walkman de Sony Ericsson, consistait à diffuser des parodies de séries américaines. Développée avec MEC Access, le département partenariat de Mediaedge: cia, cette nouvelle forme d'affichage en Abribus a rassemblé pour la première fois des procédés développés par JCDecaux Innovate, à savoir le showcase, le showscreen et le MP3case. Le premier présentait les codes visuels phares de la série parodiée (blouse médicale bleue et stéthoscope pour Grey's Anatomy). Le deuxième procédé, un nouvel écran de lu,4 pouces techniquement adapté pour pallier les problèmes de luminosité, diffusait 24h/24 les parodies de la série TV illustrée dans les showcases. Quant au MP3case, doté de quatre prises casques et un réglage volume, il permettait aux passants d'écouter la bande sonore de la vidéo diffusée.
Si JCDecaux semble bien avoir pris une longueur d'avance en matière de dispositifs d'affichage événementiel, ses concurrents ne restent pas pour autant les bras croisés. «Face à la multiplicité des canaux de communication et la fragmentation croissante des audiences, les annonceurs sont de plus en plus à la recherche d'opérations de ce type pour faire émerger leur marque», remarque Caroline Mériaux, directrice marketing et communication de Clear Channel France. Le groupe, qui met actuellement en place une cellule dédiée à l'événementiel, leur propose également un certain nombre d'outils pour créer de l'impact dans la rue, déformatage, habillage, adhésivage, showcase, électroluminescence, etc. Par exemple, pour le retour de Perrier en communication après deux années sans prise de parole sur sa marque mère, Clear Channel a opté pour des panneaux habillés d'une bâche, elle-même entourée d'une moulure qui reprenait l'effet «fondu», thème de la campagne print et télévisée. L'idée créative de l'affiche? Démontrer que Perrier est le rafraîchissement le plus désirable quand le monde est en train de fondre sous la chaleur. Les mobiliers «déformatés» étaient installés aux endroits stratégiques proches des courts de Roland Garros. Le groupe joue également la carte de l'événementiel en indoor, dans les centres commerciaux et les parkings. Le moins joueur en la matière serait enfin CBS Outdoor. «L'affichage événementiel offre effectivement un intérêt pour émerger différemment, mais, même s'il continue de se développer, il n'est pas devenu le plus gros vecteur de communication, estime Christian Darquier, directeur général adjoint en charge de la stratégie. C'est un complément pour des impératifs très particuliers et c'est comme cela que nous le vendons.» Le groupe n'en a pas moins créé CBS Outdoor ID, structure dédiée à la commercialisation des offres événementielles et au développement de nouveaux produits. Ce pôle ID a notamment imaginé pour Sony Pictures, un dispositif spectaculaire pour l'avant-première du film Terminator 4. Une affiche géante du film a été installée à l'entrée du cinéma Le Grand Rex, à Paris. Yeux illuminés, de la fumée sortant du nez, le personnage principal provoquait la frayeur des passants. Le département ID de CBS Outdoor a également déformaté des panneaux pour faire sortir du cadre et mettre en avant les sept années de garantie exclusives proposées par le constructeur automobile Kia Motors. «On peut tout imaginer dans la rue et, pour l'affichage, c'est une vraie force d'être le média de la rue, relève Thomas Jamet. Bienfait, bien pensé, un dispositif peut générer beaucoup de sympathie et faire le lien avec les autres médias.»
Chez JCDecaux, on pense également qu'il peut faire le lien avec d'autres opérations événementielles. Le groupe a ainsi créé, il y a quelques mois, Solutions, «un département qui ne travaille que sur des opérations innovantes, animations, concerts mais qui sont toujours associées à une campagne d'affichage. En effet, le groupe n'est pas une société d'événementiel», explique Albert Asseraf, directeur général stratégie, études et marketing de JCDecaux.
Pour le lancement du mobile Walkman W995 de Sony Ericsson, JCDecaux a associé le showcase, le showscreen et le MP3case afin de diffuser des parodies de séries, comme ici Grey's Anatomy.
Pour Perrier, Clear Channel a habillé des panneaux avec d'une bâche, elle-même entourée d'une moulure afin de donner un effet «fondu».
@ Marc Bertrand
Avis d'experts
Mais si les afficheurs disposent de structures dédiées, ils sont aussi appelés à s'adjoindre l'expertise de spécialistes pour la faisabilité technique de certaines opérations. Ainsi, le cofondateur d'Athem, Christophe Bourgois, reconnaît-il «nouer de temps en temps des partenariats amicaux avec Clear Channel», tandis qu'Olivier Moschino, directeur général de Quadriplay Communication mobile (Carlogo et Eurotaximedia) a conclu «un partenariat fort avec JCDecaux qui [nous] confie toute la partie hors-médias de ses campagnes d'affichage, comme ce fut le cas pour Kenzo Flower». L'un comme l'autre sont, en effet, chacun dans sa catégorie, experts «es événementiel». «Nous l'avons été dès le départ avec ce positionnement atypique qui allie l'architecture, le média et la publicité», indique Christophe Bourgois. L'entreprise spécialisée dans la mise en scène de la marque et de son univers sous forme de communication très grand format compte à son actif des réalisations qui parlent d'elles-mêmes: sur la façade du Printemps Haussmann, celle du centre commercial des Quatre-Temps à La Défense ou encore sur le majestueux «Totem» installé Porte de Versailles, en bordure du périphérique parisien. «Dès la fin mars, le Totem a été réservé et ce, jusqu'à la fin octobre», se félicite Christophe Bourgois. Cette catégorie de produits tire son épingle du jeu, même en période de crise, car elle incarne des valeurs statutaires qui permettent aux marques d'affirmer avec plus de force qu'elles sont là et bien là.» L'impact de toute cette gamme d'affichage spectaculaire est encore renforcé par un buzz qui se fait autour de ces opérations. Il est d'abord et avant tout orchestré par les départements relations publiques des afficheurs, mais pas uniquement. Les accros à la créativité de tous poils, et particulièrement les internautes, se chargent aussi de relayer l'événement pour le plus grand profit des marques.
Christophe Bourgois (Athem): «Notre positionnement atypique de spécialistes de l'événementiel allie l'architecture, le média et la publicité.»
Olivier Moschino (Quadriplay Communication mobile): «JCDecaux nous a confié toute la partie hors-médias de ses campagnes d'affichage.»
«L'affichage événementiel n'est pas la cerise sur le gâteau»
Trois questions à Matthieu Habra, directeur gênerai de Posterscope France, la première agence française entièrement dédiée à la communication extérieure.
MM: L'affichage événementiel n'est-il pas un peu la cerise sur le gâteau en période de resserrement des investissements publicitaires?
Matthieu Habra: La communication événementielle au sens large est un complément indispensable à une campagne d'affichage classique qui remplit son rôle de puissance, de couverture par rapport à une population cible dans l'univers de la rue. Cela passe par trois facteurs- clés: l'émergence, la théâtralisation des supports classiques qui est génératrice de buzz et de relations publiques, et l'interaction. C'est un travail de longue haleine car, en période de crise, les annonceurs ont tendance à revenir aux fondamentaux du média, à savoir la fonction première de couverture et de création de trafic de l'affichage, mais ils comprennent quand même notre philosophie, on sent une réaction de leur part. Les annonceurs de la teiepnonie mobile, des PGC utilisent ces dispositifs dans leurs campagnes out of home. Ce n'est pas la cerise sur le gâteau. Il faut même aller plus loin en mixant avec des opérations d'échantillonnage, de street marketing à proximité des dispositifs d'affichage.
Y a-t-il une vraie volonté de la part des afficheurs de sortir de leur premier métier?
Tous n'ont pas le même degré d'avancée dans ce domaine, mais tous se sont organisés pour se doter d'une structure spécifique qui réponde à nos demandes et les mette en oeuvre. Au-delà des revenus financiers qu'il génère, l'affichage événementiel permet de donner une image plus moderne au plus vieux média du monde. Et il est intéressant de constater que cet engouement a gagné le média affichage du point de vente qui propose un certain nombre de dispositifs pour créer de l'interactivité avec les consommateurs. Ce secteur se porte d'ailleurs très bien actuellement.
En revanche, l'ensemble du marché va mal. Comment voyez-vous la sortie du tunnel?
Tout ne va pas mal, l'affichage autour de la zone de chalandise et le média magasin sont par exemple en forte croissance. L'out of home connaît une chute de son chiffre d'affaires net malgré une bonne dynamique des opérations de street marketing et tout ce qui se passe autour du point de vente. Le curseur s'est juste déplacé des problématiques de notoriété à des problématiques de trafic, de ROI. Et oui, le marché reviendra, c'est cyclique. Je ne suis pas très inquiet car les marques recherchent toujours de la proximité. Si le marché a baissé, le nombre d'annonceurs est en progression grâce, notamment, au retour ^m en force des PGC.
Matthieu Habra (Posterscope France): «Au-delà des revenus financiers qu'il génère, l'affichage événementiel permet de donner une image plus moderne au plus vieux média du monde.»