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En théorie, le marketing, créateur de marque, devait sans cesse innover et
se renouveler… En pratique, depuis 15 ans, il s'est systématisé et complexifié.
En théorie, la publicité, créatrice de désir, devait être subversive et lutter
contre la faiblesse de la pensée… En pratique, les spécialistes la trouvent
triste et sans aspérité. Les annonceurs sont-ils trop craintifs ou trop
agressifs ? Les agences sont-elles trop conservatrices ? Est-il encore temps de
ré-initialiser le tout ? Combien d'annonceurs français ont-ils lu la dernière
version du Publicitor ? Pour les agences de publicité, la réponse pourrait se
résumer à une phrase : le marketing doit se simplifier, s'auto-éliminer ou se
cacher. « Même si on peut penser que le marketing ne cessera jamais d'exister,
il doit pourtant évoluer », proclame Bertrand Suchet, président en charge de la
création de Louis XIV DDB. Mais comment ? En faisant sortir les directeurs
marketing des salles de réunion ! Faibles consommateurs médias, trop focalisés
sur les résultats financiers, ils sont déconnectés du “vrai” monde, celui de
leurs clients. Un conseil ? Qu'ils résistent aux tensions des actionnaires et
de leur hiérarchie et évitent de répéter indéfiniment la formule qui a fait le
succès du produit précédent. Dans un monde qui se copie et se recopie, les
agences de publicité affirment se battre contre la pensée conforme et unique :
moins de manipulation et davantage d'adhésion. « Même s'il est soumis à des
informations multiples et incontrôlables, le public sait, décode et a besoin
d'arguments », déclare Jean-Pierre Villaret, co-président de l'agence
Devarrieuxvillaret. Pour faire sortir la marque de son territoire, pour
davantage jouer avec l'état de l'opinion qui ne cesse d'évoluer, on peut
renverser le marketing en imaginant des programmes qui s'adressent à des
communautés spécifiques, en ayant un discours publicitaire relationnel pour que
les individus sentent qu'ils sont traités de façon différente. La
solution serait de créer un supplément d'âme et donner corps aux fameuses
valeurs de la marque exprimées à travers son contrat relationnel ou social.
Instruments du bonheur, les marques ne s'adressent plus à un ensemble de
consommateurs mais à un seul client, à un individu, ce client devenant le
meilleur prescripteur de la marque. « Dans le douloureux passage de la
Communication à la Relation, de l'Economie du bien à l'Economie du lien, ce
fameux lien entre les consommateurs et les marques est devenu stratégique »,
souligne Marc Smia, associé de Kea & Partners, conseil en management. La
puissance des marques est allée au-delà de leur volonté. Elles occupent
l'espace de la cité, on les interroge sur leur engagement sociétal. On exige
d'elles une véritable cohérence entre intention et action. Et si c'était la fin
de l'hégémonie des marques ? Personne ne veut l'entendre. A priori, le travail
du publicitaire peut paraître simple : “entrer” dans la tête des gens pour voir
ce qu'ils pensent et surtout comment ils réagissent. Le but est de trouver le
levier, “l'insight” qui va les inciter à acheter, à consommer un produit
spécifique. Dans cette optique, pour créer de nouveaux référents (qui naissent
souvent de frustrations) ou de nouvelles impulsions (pour que le consommateur
dépense davantage), « la publicité peut vouloir inciter le consommateur à
penser différemment de ce qu'il fait actuellement », estime Walthère
Malissen, directeur du planning stratégique de JWT.
Sortir de l'académisme
Mais les méthodes de stratégie créative en publicité
n'ont guère évolué : copy stratégie, star stratégie et autre saut créatif ont
plus de vingt ans. On regrette l'époque qui permettait à des créatifs d'être…
créatifs. Pour Nicolas Bordas, vice président de TBWA\ France, « Si la
publicité est un éclairage sur ce qu'une marque apporte de différent, elle a
oublié son devoir de base : construire la marque et vendre un produit en même
temps. » Si l'innovation et la communication sont les deux moteurs de la
marque, l'hyper-segmentation annihile la créativité. Les vraies innovations qui
font progresser un produit (ou le service autour d'un produit) prennent le pas
sur les simples innovations marketing qui finiront par lasser le consommateur.
Pour Thomas Stern, vice-président en charge de la création de FCB, il faudrait
arrêter d'appliquer toujours les mêmes recettes, et sortir de la vacuité
théorique de ce métier… N'ayant pas un rapport assez simple à la publicité, les
créatifs français recherchent en vain un style de communication en phase avec
leur époque. La publicité doit davantage influencer que convaincre, et
retrouver de la charge émotionnelle, de l'excitabilité. Même constat de Pascal
Grégoire, nouveau président de CLM/BBDO : « Avec ses méthodes classiques, la
publicité snobinarde, conservatrice et archaïque marche sur de vieux réflexes
et n'est plus adaptée. » Comment émerger dans un monde où les signes sont
omniprésents, où l'encombrement média et publicitaire est majeur ? En intégrant
la communication en amont dans tous les projets, en ouvrant les agences à
d'autres cultures, en réinventant la structure des équipes créatives avec un
troisième homme, plus opérationnel et surtout, expert des nouvelles
technologies. Exemples.
Idée n°1: plus de pragmatisme et de réalité
Pour sortir des publicités françaises, molles et
consensuelles, Gabriel Gaultier, co-fondateur de l'agence Leg, s'interroge : «
A quand la prochaine révolution créative ? » Sa solution : montrer de vrais
gens, raconter des histoires réelles. Pour lui, il y a moins d'idées dans un
tunnel de pub que dans un épisode des Simpsons ou de Friends. Et de rappeler
qu'avec un bon cost-controler, la Tour Eiffel ne ferait que 50 mètres de haut !
Les marques qui voudraient cibler la France d'En Bas regardent les Français de
haut. Et la promesse passe souvent au-dessus des gens. Les collectifs qui
rejettent la publicité (Aarrg !!, Marre de la Pub…) affirment que les marques
leur parlent pour ne rien dire. Les grandes entreprises comme GDF, La Poste ou
France Télécom, communiquent de la manière la plus œcuménique possible : en
fédérant l'interne, en évitant de heurter les syndicats… Résultat : des
campagnes très éloignées de la réalité des gens. Et l'on reste dans un immense
consensus pour plaire d'abord au président et aux actionnaires. Avec davantage
de pragmatisme, la publicité devrait se mettre à la place des consommateurs
pour se faire enfin vraiment remarquer. Rendre la marque sympathique, tel est
le credo de l'agence britannique Mother, repris par Gilbert Scher, président en
charge de la création de l'agence Enjoy. « Dans un monde plus complexe, avec
une offre pléthorique de produits quasiment tous identiques, ce qui va nous
faire choisir, ce n'est plus la promesse publicitaire de base mais un capital
de sympathie ».
Idée n°2: créer des modèles culturels et de nouvelles valeurs
Avec une marque de vêtements ou de chaussures de
sport comme modèle social, je peux laisser une part de moi et me définir, un
peu, par ma consommation. Avec une marque alimentaire, je peux prendre soin de
ma santé. Pour Philippe Lentschener, président de Saatchi & Saatchi France, «
La publicité reste ambitieuse puisqu'elle veut changer le monde de la
consommatrice, lui offrir un moment où elle s'échappe. » Mais pour avoir une
chance d'être captée et rester dans l'air du temps, la publicité doit créer des
modèles culturels pour que les consommateurs aient davantage de repères grâce
aux marques. « Nous vivons dans un monde de plus en plus virtuel, le rôle des
marques et de la communication est de rassurer les gens en donnant plus de sens
à leur vie », argumente Mercedes Erra, présidente de BETC. C'est une nécessité
pour les marques d'avoir un rôle valorisant pour les consommateurs. Si les
grandes marques sont davantage dans le rationnel que dans l'imaginaire, il faut
resserrer les liens, rester modeste et se rappeler que, si personne n'est
obligé de regarder la publicité, on se doit de construire nous-même notre
bien-être.
Idée n°3: penser par soi-même, pas grâce aux sondages
Dans une société en manque de repères, on ne veut plus
prendre de risque : on ne réfléchit plus, on demande l'avis des autres. Tout
est décidé en fonction de réunions de groupes de consommateurs ou de pré-tests
et modifié en fonction des post-tests : les sondages neutralisent l'avancée des
idées. Les innovations ne naissent pas nécessairement dans la tête des
consommateurs, elles arrivent à s'imposer peu à peu avec le temps. Parce
qu'ils n'obéissent pas aux mêmes règles, que le terrain d'expression devient de
plus en plus étroit, les annonceurs et les agences ne sont pas toujours sur la
même longueur d'ondes. Henry Ford disait : « La moitié des budgets dépensés en
publicité est inefficace, mais on ne sait pas quelle moitié ! » Pourtant, la
publicité omniprésente reste un baromètre pour mieux percevoir la condition de
notre société de consommation. Si la publicité devient excessive, c'est notre
société qui l'est aussi.
Contre-champs
Jean-Marc Lehu, maître de conférences en marketing à l'Université Paris 1 : « La relation agence-annonceur optimale répond à une subtile alchimie qui fait du temps son allié privilégié. La marque en a besoin pour capitaliser sur sa communication ; l'agence pour s'imprégner de l'univers complexe de la marque. Si cette vision à long terme est possible, le plus difficile reste à faire : ménager les sensibilités des acteurs. Tant par l'agence chez l'annonceur, si elle souhaite conserver la gestion du budget, que par l'annonceur chez l'agence , pour déclencher une véritable motivation créative en faveur de sa marque. Cet aspect humain est rarement au centre de la relation. Celle-ci ne peut pas être un simple lien contractuel si l'un ET l'autre veulent en tirer profit. » Marc Héraud, directeur de la communication de Fujifilm : « La publicité est d'abord une affaire de couple. Les agences sont souvent dans leur monde et trop éloignées de la réalité. En travaillant avec une agence de petite taille, le client est certain d'être proche du management. » Carole Zibi, directrice marketing de Yahoo : l « Le paradoxe réside dans la nécessité d'une évolution du discours de marque vers plus d'innovation, de surprise, d'idée, alors que le contexte économique encourage une prise de risque faible... Historiquement, a-t-on déjà vu de tels paradoxes se résoudre par la seule bonne volonté, le seul courage des uns (annonceurs) et des autres (agences) ? Ou a-t-on observé que l'évolution du discours a été le fruit d'un contexte économique de croissance ? » Bruno Paillet, Conseil & Annonceurs Associés, conseil en choix d'agences : « Si certaines difficultés relationnelles entre agences et annonceurs existent, elles sont probablement liées au fait que les annonceurs attendent, non seulement des recommandations sur les marques mais aussi un accompagnement élargi, pour intégrer les actions proposées dans un contexte souvent de plus en plus complexe qui est celui de l'entreprise !” Bruno Barbier, directeur marketing communication de Match TV : « Les agences ont souvent une idéé fixe : sortir des annonces créatives à tout prix. La créativité n'est pas toujours le meilleur moyen pour avancer. La meilleure agence, ce n'est pas obligatoirement celle ayant une approche créative à risque, mais plus simplement l'agence apportant la bonne réponse au bon brief. »