A la découverte des tweens
Entre adolescence et enfance, un nouvel âge se dessine. Celui des tweens. Les 9-13 ans forment désormais une catégorie à part, ambivalente, assez difficile à cerner pour les directeurs marketing.
Je m'abonne«Préadolescents», «tweens» ou encore «ado-naissants»... Les termes ne manquent pas pour désigner les 9-13 ans. Une profusion de qualificatifs qui dissimule une méconnaissance de cette cible, difficile à définir. Freud parle de cet âge comme d'une «période de latence», car il n'y a pas de bouleversements en termes de sexualité, et Dolto le qualifie d'«âge de passage». Ni enfants ni adolescents, les 9-13 ans ne savent pas vraiment eux-mêmes qui ils sont! « Ils se posent des questions fondamentales sur leur personnalité et leur caractère », note Armelle Le Bigot Macaux, fondatrice de la société d'études ABC+, dédiée aux 0-20 ans. En quête d'autonomie, ils aiment, paradoxalement, ne pas être totalement livrés à eux-mêmes. Si le cercle d'amis est de plus en plus important, la famille reste un refuge. Ce qui caractérise finalement le plus cette cible est son caractère indéfini, dû à sa quête d'identité... Difficile à appréhender pour les marketeurs! Si bien que l'on tombe assez rapidement dans les caricatures, souvent négatives: celle de l'enfant tyran pour les garçons ou de la lolita pour les petites filles... Autre difficulté: il s'agit d'une « cible qui n'est pas homogène, rappelle Armelle Le Bigot Macaux. Les neuf-dix ans sont encore des enfants, à qui l'adolescence fait peur, alors que les 11-13 ans sont véritablement des préados, qui commencent à prendre de la distance par rapport à leurs parents. » Une cible faite de micro-cibles, donc. « Ces micro-cibles correspondent à une réalité concernant la construction physique et psychique, insiste Armelle Le Bigot Macaux. Il est très important de respecter les différentes étapes. » Ainsi, il ne faut pas commettre l'erreur de vouloir faire grandir les tweens trop vite et donc de croire que les produits pour adolescents leur correspondront. « Pour mieux connaître ces cibles, il faut réacquérir des connaissances sur le développement des individus », souligne Christine Pollet, fondatrice et directrice des études stratégiques du cabinet d'étude de tendance Inter-View Innovative. Et on redécouvre ainsi que l'adolescence, tant sur le plan physique que psychique, commence à 14 ans. Pas avant...
Armelle Le Bigot Macaux (ABC +)
Armelle Le Bigot Macaux (ABC +):
«Les préados se posent des questions fondamentales sur leur personnalité.»
Une cible hétérogène, au caractère indéfini... Les 9-13 ans présentent également des caractéristiques bien déterminées. Première particularité: ils sont nés avec Internet et le téléphone mobile. Selon l'étude «EU Kids online», l'âge moyen du premier accès à Internet serait de neuf ans en France. Et un tiers des Européens de neuf-dix ans irait surfer sur le Web quotidiennement. Une utilisation d'Internet qui a souvent lieu sans les parents: selon une étude Aegis Media France, 40 % des huit-dix ans et 75 % des 11-14 ans surfent seuls. Et près de 20 % des 8-12 ans ont un compte Facebook
Des packagings «branchés»
- Et si, pour séduire les 9-13 ans, on utilisait les nouvelles technologies sur les packagings? C'est le pari qu'a fait Chocapic, en lançant, en 2010, un paquet de céréales qui permettait de jouer à un jeu en réalité augmentée. « Au lieu d'une prime plus classique, nous offrions la possibilité de vivre une expérience en 3D », explique Philippe Nougaret, chef de groupe céréales enfants / ados chez CPF Nestlé Céréales. Autre exemple: la société américaine Fulton Innovation propose des packagings illuminés grâce à une alimentation électrique par induction. De quoi briller dans les linéaires! Les nouvelles technologies peuvent aussi être utilisées à des fins pédagogiques: on peut, par exemple, utiliser des flashcodes sur ses packagings pour délivrer des informations sur le produit.
Les tweens sont adeptes du multitasking
S'adresser à cette cible requiert donc d'utiliser les nouvelles technologies à bon escient. Un site internet à destination des bambins constitue un minimum. Des actions de communication utilisant les nouvelles technologies fonctionnent encore mieux. D'autant plus qu'elles permettent de communiquer autrement, en créant un véritable univers et en interagissant avec le jeune consommateur. Citons Danone, qui fait voter le public sur son site pour choisir le parfum de la prochaine Danette. Au-delà du Web, on peut penser également aux nouvelles technologies, telles que les applications mobiles, les flashcodes ou encore la réalité augmentée. Certaines marques les utilisent par exemple sur leurs packagings (voir encadré «Des packagings branchés»). Mais l'usage des nouvelles technologies ne fait pas délaisser la télévision aux tweens: c'est leur quatrième activité préférée, derrière les jeux, la lecture, les jeux vidéo et le cinéma
Ainsi, quand on s'adresse aux 9-13 ans, il ne faut pas oublier que c'est une cible passionnée par l'information, qui aime se renseigner sur tout. Les actions de communication à leur intention doivent donc les informer sur la marque et ses engagements. D'autant plus que cette tranche d'âge s'intéresse à des domaines comme la nutrition (ils savent ce qu'est l'huile de palme et ne veulent pas en consommer) ou le développement durable (35 % des 8-12 ans se disent préoccupés par l'écologie). «Ce qui a changé, ces dernières années, c'est que les 9-13 ans ont un meilleur accès à l'information et qu'ils ne sont pas obligés de passer par le filtre des parents pour se renseigner», explique Sylvie Gassmann, directrice du département études qualitatives Ipsos ASI et coauteur du livre «Quand l'enfant pred ses marques».
Ainsi, sur le site oasisforfun.com, on retrouve des jeux et des vidéos mais aussi toute une rubrique consacrée à la nutrition. Philippe Nougaret, chef de groupe céréales enfants /ados chez CPF Nestlé Céréales, rapporte le souhait de Nestlé de «créer des activations ludo-éducatives pour que les enfants puissent échanger sur la nutrition avec leurs parents». Notons la dernière initiative de la Société Générale qui, à travers son site Abcbanque.fr, développé avec PlayBac Editions Spéciales, souhaite expliquer l'argent aux plus jeunes. La Caisse d'Epargne travaille, quant à elle, sur des vidéos pédagogiques diffusées sur son site internet, qui expliqueraient le fonctionnement de la banque aux 12-15 ans.
Le Web n'est pas le seul moyen d'apporter de l'information à ces jeunes. Les packagings constituent également un très bon média. Dans le secteur food, par exemple, il ne faut pas hésiter à mettre en avant de manière simple les ingrédients utilisés. La marque Innocent a très bien compris cela et assortit la description de la composition de ses smoothies de petits dessins qui rendent le tout très compréhensible.
Sylvie Gassmann (Ipsos)
Philippe Nougaret (CPF Nestlé Céréales)
Findus met en avant la mention «sans huile de palme» sur ses produits, ce qui ne manquera pas de sensibiliser petits et grands. Sensibles à l'écologie, les 9-13 ans apprécieront également les marques qui font des efforts pour réduire leurs emballages.
Du contenu aspirationnel mais rassurant
« Chez Hasbro, nous sommes centrés sur l'entertainment et non plus seulement sur le jouet », déclare Cyrille Guérin, directeur marketing de Hasbro. Pour dynamiser ses marques, la société leur crée un univers: films, jeux vidéo, tee-shirts... Hasbro possède même un studio à Los Angeles pour produire des dessins animés (Transformers et Beyblade). Donner du contenu à ses marques permet de créer un lien avec ses jeunes consommateurs sans jamais les lasser. Et ce n'est pas uniquement valable pour les jouets. Oasis, avec ses fruits amusants, ou encore Chocapic, à travers son chien Pico, ont également construit un univers qui parle aux enfants. « Nous changeons régulièrement nos communications TV. Raconter des histoires différentes, présenter nos mascottes dans des aventures multiples est un élément central d'agrément pour la cible des préados », rapporte Philippe Nougaret. Les publicités deviennent alors des mini séries. Encore faut-il que le contenu plaise à cette cible des 9-13 ans, qui ne sont plus des enfants mais pas encore des ados. Mattel fait un tabac auprès des filles de 8 à 11 ans avec ses poupées Monster High, grâce à l'univers étrange mais rassurant des webséries créées autour de ces poupées. « On interpelle sur quelque chose d'aspirationnel, l'univers mystérieux des monstres, et on rassure par le contenu très moral », analyse Christine Pollet, fondatrice et directrice des études stratégiques du cabinet d'étude de tendance Inter-View Innovative.
Allier le pratique au ludique
Autre caractéristique de cette cible: son autonomie. Ces jeunes savent pour la plupart se préparer à manger seuls, ils gèrent leur argent de poche sans aide et surfent sur seuls sur Internet. Il s'agit donc de respecter ces premiers pas vers l'autonomie. Les banques ont très bien compris ce processus et ont lancé des cartes bancaires rechargeables, destinées aux 12-14 ans. Non-attachées à un compte, gérées par les parents, qui décident combien ils donnent à leurs enfants, elles conviennent très bien à cette cible de «petits grands». « C'est une première approche de la banque et de la gestion de l'argent », commente Romy Lecoq-Champeau, directrice adjointe du marché des particuliers de la Caisse d'Epargne. Les acteurs de la téléphonie mobile se sont aussi positionnés sur cette cible et proposent des forfaits bloqués.
Dans le domaine de l'autonomie, les packagings ont aussi un rôle à jouer pour que les 9-13 ans puissent vraiment préparer leurs repas seuls, en se servant d'un micro-ondes, par exemple. « Il faut faire des emballages adaptés aux petites mains pour que les enfants puissent se servir seuls », conseille Xavier Terlet, président de XTC, agence de veille et conseil en innovation. Citons l'exemple des croque-monsieur qui peuvent se faire réchauffer au grille-pain (Toast Up de Herta) ou des emballages de cacao avec bec verseur (Banania). Les ouvertures faciles réellement pratiques sont également appréciées.
Mais l'indépendance est toujours en acquisition. La tendance actuelle est le «faire ensemble», notamment pour les 9-11 ans, qui disent aimer passer du temps avec leurs parents. On voit ainsi émerger çà et là des cours de cuisine parents / enfants, des «ateliers d'art partagé»... Ce «faire ensemble» est également caractérisé par un véritable essor des jeux de société ces dernières années ( + 13 % depuis 2003, selon Inter-View Innovative). Car, il ne faut pas l'oublier, le plaisir et l'aspect ludique sont aussi des éléments importants pour les 9-13 ans. Ainsi, jeux et vidéos peuplent les sites des marques qui s'adressent à ces jeunes. Et leurs spots TV se veulent avant tout ludiques. Bien sûr, il existe toujours des jeux et jouets spécialement destinés à cette tranche d'âge. Dans ce domaine, la recette est de faire du neuf avec du vieux: la star des cours de récréation du moment est la toupie perfectionnée Beyblade, et les Lego séduisent les enfants depuis bientôt 80 ans.
En fait, les tweens attendent des marques qu'elles les respectent, qu'elles ne les considèrent pas comme des enfants mais qu'elles ne les assimilent pas non plus à des adolescents. La marque emblématique des tweens est Eastpak, dont les produits suivent leurs différentes étapes de développement: des sacs roses ou bleus pour commencer, puis des séries limitées et enfin la customisation. La presse et l'édition jeunesse, également, savent s'adresser à cette cible en quête d'identité, à travers des tests leur permettant de mieux se connaître mais aussi en proposant des histoires parlant vraiment d'eux et de leurs problèmes. De même, on pourrait imaginer des lignes de vêtements pour les 9-13 ans, proposant des produits qui ne font pas bébé mais adaptés à un corps d'enfant. Des produits qui s'adaptent aux spécificités réelles de cette cible. Encore faut-il s'y intéresser réellement, aller au-delà des clichés, les rencontrer, parler avec eux de leurs attentes... « Il faut organiser des tables rondes avec les enfants, les faire parler, leur faire manipuler les produits, insiste Xavier Terlet (XTC). Les écouter apporte beaucoup de réponses. »
Xavier Terlet (XTC):
« Il faut organiser des tables rondes avec les enfants. Les écouter apporte beaucoup de réponses.»